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[Entretien] Les Russes ne sont pas les rois de la guerre. Ils sont usés mais restent dangereux. Le moment crunch c’est l’été (Ben Wallace, Royaume-Uni)

Ben Wallace (Photo : MOD Italie)

(B2) La guerre en Ukraine n'est pas terminée. Mais l'été sera décisif. Sur terre comme sur mer. Le ministre britannique de la Défense nous livre son analyse. Sur l'usure de l'armée russe (25.000 morts), sur le moment clé de la guerre (l'été), sur les armes que le Royaume-Uni peut livrer (missiles anti-navire notamment), sur le blocage maritime en Mer noire et la manière de s'en sortir, sur le renforcement décidé dans les pays baltes, sur l'augmentation décidée du budget de défense et son affectation.

La guerre en Ukraine

À combien estimez-vous les pertes russes ? 

— Nous estimons que plus de 25.000 soldats russes sont décédés. Si on se rappelle qu’ils ont perdu 15.000 hommes en dix ans en Afghanistan… Cela donne une idée de l’attitude qu’ils ont envers leurs propres forces.

Donc ils ne sont pas "les rois de la guerre" pour reprendre votre expression ?

— Ils ont montré qu'ils n'étaient pas les maîtres de quoi que ce soit. Ils restent toujours très dangereux parce qu’ils nous font face. Mais ils ont du mal à progresser. Les niveaux d'avancement se mesurent en mètres ou en kilomètres par jour. Ils capturent peut-être parfois quelques villages vides. Parfois ils se font repousser. Mais ils perdent énormément d’équipements et de personnel en faisant cela. En 120 jours, ils n’ont atteint aucun de leurs objectifs majeurs. S'ils bombardent les infrastructures, comment vont-ils soutenir leur armée ? Ce n'est généralement pas une bonne chose de détruire l'approvisionnement en eau et en nourriture. Donc ils n'occupent pas de territoire. Tout ce qu'ils occupent ce sont des champs de mines et des bâtiments rasés...

Quelle comparaison faites-vous entre les armées russes et ukrainiennes ?

— L'infanterie ukrainienne est bien meilleure que la russe. Les Russes ont une meilleure artillerie. Ou plutôt, avaient une meilleure artillerie. On voit maintenant une meilleure application du processus de ciblage des Ukrainiens. Nous les avons formés. Et ils commencent désormais à frapper toutes sortes de pans clés de l'infrastructure russe. Vous avez vu cinq dépôts de munitions exploser, un certain nombre de quartiers généraux. C'est forcément une mauvaise nouvelle pour les Russes pour être en capacité de mener une action offensive.

Considérant toutes ces pertes et destructions, combien de temps la situation peut-elle continuer avant qu'on arrive à un moment décisif et que l'Ukraine prenne l'avantage ?

— Il est toujours difficile de prédire quand une armée continuera sur sa lancée ou s'effondrera. Je soupçonne les Russes d'arriver à un point où, dans le courant de l'été, ils se soumettront, se regrouperont, et essaieront de faire autre chose. Et ensuite ça sera au tour des Ukrainiens. Est-ce que les Ukrainiens vont contre-attaquer ou faire des offensives à l'automne ou au printemps ou l'année prochaine ? Je ne sais pas. Notre objectif est de donner à l'Ukraine une position de force.

La situation en Mer Noire

L'autre enjeu de cette guerre c'est de faire sortir les céréales d’Ukraine : c'est une mission pour les militaires ?

— Il faut mettre cela en perspective. Quand l'Ukraine fonctionne à plein régime, cela représente environ 3 millions de tonnes par mois. Tandis qu'actuellement 23 millions de tonnes sont à sortir ! Donc il faut limiter les attentes. Même si il y a un cessez-le-feu, ou un passage sécurisé en Mer Noire, ce ne sera pas facile. Le rôle du Royaume-Uni pourrait être l'ISR (Intelligence, surveillance, recognition). Nous connaissons la disposition des champs de mines. Nous pouvons aider à profiter de la partie sud de la Mer Noire pour protéger les Turcs qui travaillent à une solution avec l'ONU et la Russie. C’est donc possible. Mais nous n'allons pas envoyer nos navires en Mer Noire, parce que cela voudrait dire que nous demanderions aux Turcs de lever le blocus sur les navires de guerre étrangers. Cela profiterait aux Russes qui pourraient se réapprovisionner ou faire venir des renforts.

Les Ukrainiens ont accepté de lever les mines...

— Oui, on peut créer des passages en mer. Mais l’Ukraine a besoin de l'assurance de l'ONU et des Turcs que la Russie n'utilisera pas cette ouverture comme une arme.

Ou alors ils ont besoin d'armes pour pouvoir au moins cibler les vaisseaux...

— Il y a déjà beaucoup de missiles anti-navires en ce moment le long de la côte. Comme le Neptune [le missile de fabrication ukrainienne], dont la portée est d'environ 200 miles nautiques. La clé c'est une combinaison de mines, et une garantie que les navires ne seront pas bombardés. Or, les Russes font aussi un travail particulièrement habile en essayant de tirer des missiles sur des zones urbaines. Si vous êtes capitaine d'un cargo libérien, par exemple, vous avez ainsi peu de chances d'être assuré, vu le risque. Le Royaume-Uni a proposé de souscrire une partie des risques d'assurance. Mais nous devons, avant tout, voir comment le travail entre les Nations Unies, la Turquie et la Russie progresse.

Pensez-vous fournir des armes anti-navires à l'Ukraine ?

— Nous en avons toujours parlé. Nous avons déjà signé un sorte de protocole d'accord sur la vente de certains navires à eux en incluant déjà des Brimstone. Ca c'est pour les missiles anti-navires de courte-portée. Pour la plus longue portée, nous avons des missiles anti-navires Harpoon. Nos missiles Harpoon sont certes différents de ceux mis à disposition par les Danois [NB : qui les ont utilisés en batterie terrestre au lieu de les utiliser sur des navires]. Mais nous pouvons les adapter. Si nous pouvons le faire pour des pays tiers, nous le pouvons le faire pour l'Ukraine. Nous sommes ouverts à ça.

Comment se profile la formation de la Marine ukrainienne ?

— Nous avons débuté la formation de la navire ukrainienne à Portsmouth. Ce sont des équipes de chasseurs de mines. Selon moi, ils auront terminé leur formation d'ici la fin de l’année.

Positionnement à l'Est et budget de défense

Quelle est la position britannique actuelle sur le flanc Est de l'Alliance ?

— Nous avons 2000 troupes actuellement en Estonie. Nous en avons ajouté 1000 après le 24 février qui doivent rester jusqu'à Noël. Nous allons ajouter une autre brigade, donc environ 1000 personnes, en stand by depuis le Royaume-Uni. Nous mettons en place un One Star Headquarters [Un quartier général de brigade] pour faire les entraînements et également un quartier général de division. La suite dépendra des plans régionaux établis d’ici à la fin de l’année, selon les conseils du SACEUR (le commandant suprême des forces Alliées). C'est lui qui dira quelle guerre nous allons faire en Europe. Il s’agit d’une logique militaire. Par ailleurs, nous augmentons la présence sur Chypre. Et je veux étendre notre escadron actuel en Roumanie pour avoir une meilleure couverture de la Mer Noire et du flanc sud de l’OTAN.

Êtes-vous en mesure de le faire avec budget actuel de défense ? 

— Comme l’a dit le premier ministre Boris Johnson aux Alliés (1), l’objectif d'allouer 2% du PIB aux dépenses de défense (décidé en 2014 au Sommet de Galles) date d'une autre époque. Nous avons annoncé 1 milliard £ de budget pour soutenir l’Ukraine [1,3 milliard £ précisément, NDLR]. Cela ne vient pas du budget du ministère de la Défense. Mais peu importe d’où vient l'argent. Ce que nous dépensons nous rendra davantage en sécurité. Une armée russe usée est un avantage certain et immédiat comme à long terme pour le Royaume-Uni.

Comment ce milliard supplémentaire va-t-il être dépensé ? 

— Pour de la défense aérienne, des munitions, des formations comme celles déjà en cours...

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet, à Madrid au sommet de l'OTAN)

  1. « Les 2 % ont toujours été conçus comme un plancher, et non comme un plafond, et les Alliés doivent continuer à se mobiliser en cette période de crise », a ainsi déclaré Boris Johnson devant ses homologues. Lire la déclaration de Boris Johnson aux Alliés. Mais le niveau d'investissement fait débat. Le premier ministre ne voudrait plus atteindre 2,5 % pour 2028. A contrario de son ministre de la Défense qui voudrait plus d'investissements.

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Entretien réalisé mercredi (29 juin), en présentiel, en anglais, avec des médias britanniques (dont The Financial Times, Daily Mail, the Economist, the Times, the Guardian), en marge du sommet de l'OTAN

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