(B2) Le choix allemand de livrer des armes à l'Ukraine a pu surprendre. Car ce sont bien Die Grünen qui y ont poussé. Avec leur ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, en première ligne. L'eurodéputée Verte Hannah Neumann, très impliquée sur les questions de défense, apporte son décryptage.
Au Parlement européen, la députée est particulièrement active sur les thèmes d'exportation des armes et des droits de l'Homme (DR)
Avec la guerre en Ukraine, l'Allemagne livre des armes à Kiev, sans beaucoup de transparence. Alors que le parti allemand des Verts, Die Grünen, a toujours eu une politique très à cheval sur les livraisons et les exportations d'armes vers les pays tiers. N'est-ce pas un peu contradictoire ?
— Au contraire. Il y eu beaucoup de transparence dans le cas des livraisons pour l’Ukraine. Les règles sont claires : nous refusons les livraisons d'armes dans les zones de guerre où il y a un risque qu'elles soient utilisées en violation du droit international. Dans les situations comme en Ukraine, il est important de ne pas passer des contrats sous la table, sans que le grand public soit au courant – c'est aussi dans le programme des Verts allemands. Pour cela, il nous fallait un débat et une décision politique publics. C’est exactement ce qui a été fait. Et la décision est en accord avec le droit international, car Kiev utilise ces armes pour se défendre.
Les détails des exportations d'armes ne sont pour autant pas publics...
— Certes, il y a un manque de transparence dans le sens où l'on ne sait pas ce qui est envoyé. Mais la décision a été prise de manière transparente. Il y a eu un débat politique public, et des résolutions (Beschlüβe) du Bundestag et du Parlement européen concernant l'envoi d'armes lourdes, soutenues par une grande majorité. Après, qu'il s'agisse de cinq ou sept chars, desquels exactement... je pense que le gouvernement doit pouvoir décider de ça par lui-même.
La différence tient donc à la publicité des débats et l'approbation par le Bundestag ?
— En tant que Verts, nous sommes contre les décisions prises en secret, sans débat politique. Comme par exemple la décision du gouvernement d’Angela Merkel [précédent celui d'Olaf Scholz], de livrer des frégates à l'Égypte pour plusieurs milliards d’euros, sans consulter le parlement. Ça, c'est un gros problème.
Il ne s'agit donc pas d'un changement de position de fond ?
— Nous nous en tenons à nos règles. Certes, un vent nouveau souffle sur la politique de défense allemande, avec ces exports soutenus par les Verts. Et je trouve que c’est une décision grave qui a été prise. Elle a un impact sur la politique allemande. Mais ça ne veut pas dire que les Verts jettent leurs valeurs par la fenêtre. C’est simplement la conséquence d’une politique de protection du droit international et d'une solidarité avec l’Ukraine.
Les Verts ont-ils toujours la ligne la plus dure du gouvernement allemand face à la Russie ?
— Au début de la guerre, oui, c'était le cas ! Le FDP [les Libéraux] aussi suivaient une ligne dure, même si c'était moins visible, parce que la politique étrangère est dirigée par Annalena Baerbock, membre des Verts. Puis, les Verts ont un peu poussé le SPD...
La ministre des Affaires étrangères a beaucoup été sur le devant de la scène au début de la guerre. Elle a incarné la politique allemande à la place des sociaux-démocrates du SPD et leur Chancelier. Le SPD a-t-il un "Russland-Problem" ?
— Il existe différents courants au SPD : il y a ceux qui ont défendu Poutine jusqu’à la fin, comme Gerhard Schröder [ancien chancelier allemand de 1998 à 2005]. Mais il est maintenant largement isolé au sein du parti. Certains membres du SPD hésitaient à soutenir l'Ukraine, mais d’autres sont proches de nous. Les attaques de Poutine ont été très graves et il était important de prendre une position claire sur les livraisons des armes — davantage notamment que celle d'Olaf Scholz au début de la guerre. Quelques socialistes étaient un peu plus lents pour prendre position, mais maintenant nous sommes tous d’accord sur le principe. Même si pour moi, nous ne sommes pas encore assez rapide avec les livraisons concrètes. Du côté des Verts, nous avons toujours été davantage critiques envers Poutine. Nous avons demandé l'arrêt du projet de gazoduc Nordstream 2 reliant la Russie avec l'Allemagne dès le début du débat. Nous disions déjà que la dépendance énergétique était dangereuse. Nous continuons à le dire, et aujourd'hui nous sommes davantage crédibles.
(Aurélie Pugnet, à Berlin)
Entretien réalisé à Berlin le 13 mai, en face à face, en allemand