(B2) Le changement climatique est à l'origine de nombreuses menaces pour la sécurité. Qui sont autant de menaces pour la sécurité même des missions de l'Union. Tandis que les militaires et les missions participent à ce changement climatique. Bref, il faut stopper l'emballement, plaide l'eurodéputé écologiste Thomas Waitz. Sur cette question, les militaires ne sont pas les plus en retard, observe-t-il...
(crédit : Thomas Waitz)
L'eurodéputé autrichien, membre des Verts, porte depuis plusieurs mois le rapport sur « la feuille de route du SEAE sur le changement climatique et la défense ». Le document a été adopté mardi 7 juin par la plénière du Parlement européen, à une petite majorité de 356 voix 'pour', 159 'contre' (ECR, ID et une partie GUE) et 114 abstentions (dont une majorité PPE).
— Certains m'objectent que nous avons des questions de sécurité plus importantes en ce moment, et à court terme, effectivement. Mais à moyen et long terme, nous devrons tous faire face aux effets du changement climatique. L'enjeu, c'est le développement de la politique européenne de sécurité et de défense. Car il serait tout simplement irresponsable, mais aussi non fondé, d'ignorer les effets du changement climatique.
Ces effets sont pourtant pris en compte dans la feuille de route du SEAE que vous jugez plutôt satisfaisante ?
— J'ai découvert que toutes les institutions sont partiellement prêtes à travailler sur les liens entre sécurité et changement climatique. L'OTAN le fait, le Fonds européen de défense (FEDef), le Service d'action extérieure (SEAE) aussi. C'est l'aspect positif. Le côté négatif, c'est que la plupart d'entre elles ne coopèrent pas ensemble et ne partagent pas leurs connaissances. Or il est urgent de former une stratégie cohérente qui s'appuie sur la coopération entre les institutions de l'Union européenne, mais aussi avec l'OTAN.
Vous avez rencontré beaucoup de militaires pour ce rapport. Sont-ils sensibles à cette question ?
— J'ai eu plusieurs conversations avec des généraux. Et la compréhension est bien plus grande que ce à quoi on pourrait s'attendre. J'ai été un peu surpris. En fait, ils sont confrontés à des conditions météorologiques, des chaleurs extrêmes par exemple qui peuvent clouer au sol des Rafale, car elles empêchent l'ordinateur de démarrer. Nous avons des équipements qui valent des milliards, et nous ne pouvons tout simplement pas les utiliser !
Vous posez aussi la question du carburant...
— Oui, car l'approvisionnement en carburant, est l'une des principales failles de sécurité de nos troupes sur le terrain. On l'a vu en Afghanistan, on le voit au Mali. En raison de l'insécurité des déplacements par la route, le carburant doit être apporté par hélicoptère, alors que l'hélicoptère utilise la moitié de la quantité de carburant qu'il est capable de livrer.
L'alternative, c'est donc de développer de nouveaux équipements comme le solaire ?
— Cela peut sembler être une plaisanterie, mais je me souviens de conversations très sérieuses avec des généraux qui voyaient très bien l'avantage sécuritaire de produire leur propre carburant avec des panneaux solaires sur la base, quelque part dans la zone sahélienne, pour faire fonctionner certains de leurs équipements, sans dépendre des livraisons de combustibles fossiles.
Vous appelez aussi à une consommation plus respectueuse des ressources par les missions ?
— C'est notamment pourquoi nous demandons d'inclure des experts en climat et en environnement dans nos missions. Beaucoup de conflits qui peuvent sembler ethniques ou religieux après un certain temps, ont pour origine principale, une concurrence pour les ressources, l'eau, la terre. Inclure ces aspects environnementaux dans nos renseignements, dans notre planification, dans la manière dont nous organisons les missions, sert la population, sert nos objectifs et augmente la sécurité de notre personnel sur le terrain.
Vous voulez mesurer et cartographier les émissions de gaz à effet de serre des missions de l'UE. Vous proposez que l'opération EUFOR Althea serve de mission pilote. Pourquoi elle plutôt qu'EUTM Mali au Sahel, une région que vous décrivez justement comme l'une de celles particulièrement concernées par l'effet multiplicateur du changement climatique sur les menaces ?
— Nous proposons la Bosnie-Herzégovine parce que le pays est très proche. Il est beaucoup plus facile donc d'apporter une technologie pour voir si nous pouvons la faire fonctionner et ensuite la remplacer à nouveau, ou de tirer des leçons rapides d'expériences.
À quoi cela doit-il servir ?
— Soyons francs, beaucoup d'infrastructures, de logements, des services militaires européens sont en très mauvais état, avec des fenêtres des années 70, qui émettent beaucoup de chaleur, où nous gaspillons beaucoup d'énergie, sans isolation, et aussi des systèmes de chauffage qui sont loin d'être modernes, sans parler du combustible utilisé. Il y a tellement de possibilités de passer à des systèmes de chauffage renouvelables, par exemple. La Commission européenne, dans le cadre du Green Deal, a clairement indiqué que l'intégration du climat, c'est-à-dire la réduction des émissions de CO2, est une tâche qui nous incombe à tous, dans tous les secteurs.
Les armées des États membres sont donc aussi concernées ?
— Oui. D'ailleurs, nous demandons également un accès aux informations sur leurs émissions. À quelques exceptions comme le Luxembourg, ces informations sont encore trop souvent considérées comme un secret d'État, de peur que quelqu'un puisse tirer des conclusions sur le nombre de troupes ou de chars ! Or il ne s'agit pas de petites quantités. Pour voir les progrès accomplis, il faut d'abord savoir d'où l'on part.
Est-il possible de concilier une augmentation des dépenses de défense — tendance actuelle accentuée avec la guerre en Ukraine — et une réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
— Plus de 50% des émissions de CO2 proviennent de la climatisation et du chauffage, 20 à 22% supplémentaires proviennent des marchés publics et des services. Plus de 70 % des émissions globales de nos services militaires ne sont pas liées aux chars, ni aux navires, ni aux avions. Il y a donc de la marge pour penser à la façon dont nous pourrions faire des changements sans toucher aux capacités réelles !
Le rapport soutient qu'il faut davantage investir dans une défense verte. Existe t-il une façon écologique de faire la guerre ?
— Malheureusement, la guerre est l'un des plus grands polluants environnementaux que l'on puisse avoir. Et nous pouvons le constater en Ukraine aujourd'hui. Il n'y a donc aucun moyen de rendre la guerre écologique. Mais nous pouvons repenser les choses pour combiner les intérêts plutôt que les opposer, de telle sorte que la prise en compte de ces aspects écologiques servent l'environnement et le climat mais aussi la population locale, et nos relations avec elles, mais encore la sécurité, l'activité et la capacité de nos troupes.
(Emmanuelle Stroesser)
Pour une vraie commission défense !
Thomas Waitz (die Grünen) rejoint le groupe (informel) des promoteurs de la transformation de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen, la SEDE, en une commission permanente. Les questions de défense prennent «un sens différent aujourd’hui » justifie-t-il, le travail sur ces questions nécessite donc de l’investissement et des ressources. Or, une sous-commission ne peut recruter des députés que dans sa commission de référence (en l’occurrence l’AFET). Ce qui la prive «de personnalités fiables et pertinentes pour soutenir ces politiques et en développer d'autres » estime-t-il. Elle ne dispose pas non plus des mêmes dotations en personnel pour le secrétariat. Pour Thomas, le renouvellement des commissions parlementaires au lendemain des prochaines européennes de 2024 doit être l’occasion à cette fois « ne pas manquer ».