[Entretien] Formation, armes, l’échec n’est pas une option pour les Européens dans leur soutien à l’Ukraine (Nathalie Loiseau)
(B2) La réunion des ministres de la Défense mardi (30 août) à Prague a démontré un certain consensus pour avancer sur un fonds d'acquisition d'armes en commun et continuer à soutenir l'Ukraine par différents moyens. C'est le sentiment de la présidente de la sous-commission Sécurité-Défense (SEDE) du Parlement européen, présente à la réunion.
Quel est l'élément essentiel occupant les 27 aujourd'hui ?
Nous avons une double priorité : tenir le rythme de l'aide à l'Ukraine, mais ne pas négliger les autres crises qui existent toujours et/ou sont aggravées par l'Ukraine.
... « Tenir le rythme », c'est-à-dire ?
Cela veut dire, notamment, remplir les stocks d'armes des 27. C'est la proposition qu'a présentée le commissaire Thierry Breton aux ministres pour des achats en commun.
Une proposition bien reçue ?
Oui. Il y a un clair soutien politique : à la fois pour agir en commun, pour le faire rapidement, et aider particulièrement les pays qui se sont le plus engagés pour soutenir l'Ukraine. On ne sent plus de clivage comme dans le passé (1). On a gagné en compréhension des enjeux par rapport aux précédentes discussions sur la création du Fonds européen de défense.
Une compréhension qui n'atteint pas cependant l'opinion publique ou les industriels ?
Cela a été mon message. Il faut expliquer, sans relâche, à nos concitoyens ce qu'on fait, pourquoi on dépense plus pour la défense, pourquoi on soutient l'Ukraine. Ce sera plus acceptable si cela crée des emplois. Il faut aussi dire aux industriels qu'ils augmentent leur production. Ils doivent clairement avoir pour les livraisons à l'Ukraine le même sens de la priorité que celle des politiques. Enfin, il faut bien avoir conscience qu'acheter en commun avec du budget européen signifie un contrôle parlementaire sur la façon dont le budget sera utilisé.
À ce propos, le budget européen atteint-il ses limites ?
Nous devons en effet nous interroger pour savoir si les budgets actuels dévolus au Fonds européen de défense (FEDef) ou à la facilité européenne pour la paix suffisent. Ces budgets sont trop limités aujourd'hui [dans le cadre budgétaire actuel (MFF 2021-2027)]. Quand on a discuté du MFF pour 2021-2027, on était encore trop sur une idée qu'on était en paix pour longtemps. Pour 2023, d'ores-et-déjà, nous allons anticiper la réflexion [à venir] pour avoir les budgets nécessaires.
Comment jaugez-vous la mise en place d'une nouvelle mission de la PSDC pour les armées ukrainiennes ?
Je la vois d'un bon œil. Surtout si elle apporte une claire valeur ajoutée. Il faut pouvoir apporter ce qui n'existe pas, par rapport à ce que font déjà les États membres de façon bilatérale, ce que fait le Royaume-Uni qui s'est positionné sur ce secteur avec beaucoup de force. Mais il reste beaucoup à faire car l'armée ukrainienne va devoir relever les hommes déjà engagés, en faire venir de nouveaux, les former. Il faut aussi tirer les leçons de ce qu'on sait bien faire dans nos missions et leurs défauts. L'échec n'est pas une option pour cette mission : il faut la mettre en place et la réussir...
Que craignez-vous ?
Nous connaissons tous les défauts [européens]. Le temps généralement trop long entre la décision et la mise en œuvre sur le terrain. Il faudra donc faire au plus simple sur la localisation de la mission et le commandement, commencer par l'établir dans les pays déjà prêts à la recevoir.
Les autres crises, comme les Balkans ou l'Afrique, passent donc au second plan ?
Dans les Balkans, nous voulons maintenir l'opération en Bosnie-Herzégovine EUFOR Althea. Il faut tenir bon pour renouveler le mandat au Conseil de sécurité. C'est un vrai challenge me direz-vous. Mais c'est important de ne pas partir défaitiste. En Afrique, il y a un vrai sentiment d'inquiétude. Tous en sont conscients, ce qui est nouveau. Il est vrai que le risque russe des Wagner est bien présent à l'esprit. Mais il faut aussi faire attention à ne pas claquer la porte. Un jour, il faudra revenir au Mali. Enfin, il faut faire davantage pour la communication stratégique, de lutte contre la désinformation, et mieux. On est encore trop dans la lamentation. Mais la réalité c'est qu'on n'en fait pas encore assez.
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde, à Prague)
Entretien réalisé en face-à-face en marge de la réunion des ministres de la Défense