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[Entretien] Le renfort militaire à l’Ukraine, plus que jamais ! (Riho Terras)

(B2) L'ancien chef de la défense estonienne, devenu député européen en 2020, ne manque pas une occasion - notamment sur les réseaux sociaux - de louer la stratégie ukrainienne et d'encourager les Européens à accentuer leur aide militaire.

(crédit : Riho Terras)
  • Riho Terras a été commandant des forces de défense estoniennes de 2011 à 2018, promu général en 2017. Élu des Chrétiens-démocrates (parti Isamaa), il a rejoint les bancs du groupe PPE au Parlement européen en février 2020, suite au départ des eurodéputés britanniques.

Un tournant de la guerre en Ukraine ? 

En tant que militaire de carrière, comment jugez-vous la contre-offensive ukrainienne ?

— Je pense qu'ils ont eu beaucoup de succès, parce qu'ils ont été capables d'utiliser l'élément de surprise. Ils ont construit une bonne force. Ils ont attaqué dans la zone où personne ne les attendait. Maintenant ils se regroupent parce qu'ils en ont besoin pour consolider la zone qu'ils ont déjà gagnée.

La mobilisation des réservistes russes. Que dit-elle ?

— Je pense que leurs réserves ne vont rien changer. Parce qu'elle ne seront pas suffisantes du côté russe. Mais il faut que quelque chose se passe dans les semaines à venir, parce que très bientôt, le temps sera très mauvais, et les mouvements sur la ligne de front seront très difficiles.

Qu'est-ce qui pourrait se passer, qu'est-ce qui serait nécessaire ?

— Je suppose que la Russie essaie de pousser la zone de Donetsk pour attaquer à partir de là. Et les Ukrainiens font maintenant entrer de nouvelles réserves bien entraînées, qui sont formées par les pays de l'OTAN. Le contrat de prêt-bail proposé par les Américains a commencé à fonctionner en octobre. Ils vont donc recevoir plus d'équipements. Et ils vont essayer de repousser dans certaines zones. Ils ont besoin de surprendre à nouveau. On ne sait donc pas où ils vont commencer à reprendre l'offensive. Mais les Russes ne sont, eux, pas capables de commencer une offensive.

Pour quelles raisons ?

—  Parce qu'ils n'ont pas assez d'équipements, ni assez de munitions. Les réserves ne sont pas bien entraînées. Le confort et la compétence manquent. La volonté de se battre est très faible au sein des forces armées russes.

Et les bombardements russes sur les infrastructures civiles ukrainiennes ? Faut-il y voir un signe de panique ? 

— Les Russes ont effectivement été surpris. Alors ils ont tiré au hasard pour ne pas se faire tuer. Mais ce n'est pas un tournant à mon avis, parce que la Russie est encore assez forte pour défendre la ligne de front actuelle.

Qu'est-ce qui peut provoquer un tournant dans cette guerre ?

— La défense aérienne sera importante pour protéger la population civile. La Russie essaie de détruire l'infrastructure civile ukrainienne et son réseau d'énergie et d'approvisionnement en eau afin de faire souffrir la population en hiver, en espérant qu'elle se retourne contre le gouvernement. Mais cela n'arrivera pas. Les Ukrainiens sont vraiment très, très en colère contre les Russes. Et je pense que l'hypothèse russe selon laquelle l'attaque sur les infrastructures allait retourner la population contre le président Zelensky est fausse.

Le soutien militaire à renforcer, l'unité européenne à affirmer !

L'Ukraine réclame un appui pour sa défense aérienne. Qu'est-ce que vous attendez de l'OTAN ? 

— L'OTAN est concentrée sur la défense de ses alliances, mais des pays séparés comme les États-Unis, l'Allemagne, la France, seront capables de fournir des systèmes de défense aérienne et des avions à l'Ukraine. Et je pense que ce processus est en cours pour augmenter le soutien à l'Ukraine en matière d'équipements.

Votre pays, l'Estonie, continue-t-il à livrer des équipements ? 

— Nous avons soutenu l'Ukraine avec des armes depuis octobre 2021. Et donné des systèmes d'armes de haute technologie. Nous pensons que chaque missile Javelin en Ukraine est bien utilisé. Nous sommes le numéro un du soutien en armes et munitions (par habitant). L'Estonie a consacré plus de 2% de son PIB à la défense ces 20 dernières années. Donc nous avions assez de réserves. Mais nous sommes en train d'épuiser lentement nos stocks. Or, nous devons avoir assez pour défendre notre propre pays.

Vous dites que l'Ukraine devrait recevoir la permission d'attaquer des objectifs militaires sur le territoire russe. De qui ? Et pour quel genre d'objectifs ? 

— Les pays qui donnent aux Ukrainiens les systèmes d'armes de missiles à longue portée ont mis une limitation dessus. Ces pays doivent leur permettre de les utiliser contre les établissements militaires, les infrastructures militaires, les grandes zones de logistique, les dépôts de munitions, etc.

Et vous ne craignez pas une escalade irréversible dans ce cas ?

— Des Russes tuent des civils dans les rues de Kiev. Pourquoi les Ukrainiens n'ont pas le droit d'attaquer leurs infrastructures militaires ?

Êtes-vous inquiet de la menace nucléaire agitée par Moscou ?

— Je pense que les Russes en parlent dans le but de créer le chaos dans la population européenne, mais je ne pense pas qu'ils l'utiliseraient. Cela n'a pas de sens et cela ne changera pas le cours de la guerre. La communauté internationale se retournerait contre la Russie. Surtout la Chine, qui n'est pas encore contre la Russie, parce qu'elle n'aime pas qu'on joue avec des armes nucléaires.

L'Allemagne doit prendre un rôle de premier plan dans la défense de l'Europe, c'est ce que vous attendez. Quels gestes et actions plus précisément ?

—  L'Allemagne devrait soutenir l'Ukraine en matière d'armes et devrait consolider l'industrie de défense européenne, qui est la plus forte en France, en Allemagne, pour commencer à produire plus de munitions plus de systèmes d'armes déjà existants, commencer à prendre l'initiative sur la défense européenne.

Pourtant vous utilisez l'expression de « Scholzisme », pour parler, d'une façon péjorative, de la politique menée par le chancelier allemand. Qu'est-ce que vous voulez dire ?

— Et bien, il dit une chose un matin, il dit l'autre le lendemain. Par exemple en affirmant que nous ne pouvons pas soutenir parce que nous n'avons pas d'armes, et puis que nous avons des armes mais que nous ne pouvons pas livrer. C'est très confus pour tout le monde en Europe. Or l'Europe a besoin d'une forte immunité ces jours-ci.

Qu'est-ce que vous attendez des leaders européens en ce moment, et du Conseil européen dans quelques jours ?

— L'unité ! Et donc des signaux très clairs d'unité. La dernière chose dont la Russie a besoin, c'est que les pays européens se battent entre eux. Donc l'unité est très importante : unité sur les sanctions contre la Russie, unité sur la défense européenne.

Et cette unité, existe-t-elle aussi au sein du Parlement européen où vous siégez ?

— Je la constate et je pense que la surprise est que les Européens sont justement plutôt unis. Seule la Hongrie joue son propre jeu, mais je suis sûr que les dirigeants européens sont capables de la convaincre.

Vous avez été très critique il y a un an vis-à-vis de Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE, suite à son déplacement en Russie. Vous avez même porté une pétition réclamant sa démission. Rétrospectivement, le referiez-vous ? 

— Rétrospectivement, je le referais, c'est sûr. Mais je suis heureux que Josep Borrell ait changé d'avis, envers la Russie, et je pense que notre lettre signée par près de 90 eurodéputés l'a aidé à comprendre que la Russie n'est pas un partenaire. Ses dernières déclarations sont très fortes et positives. Je pense qu'il est mieux maintenant qu'il y a un an.

Pensez-vous que l'Europe doit être plus attentive à la Chine ?  

— La Chine est une menace pour le monde à long terme. La Russie est un problème à court terme.

Vous critiquez les « signes de la sympathie » envers la Russie. C'est pour vous un signe de sympathie que d'accueillir les déserteurs russes ?

— Oui, je le pense. C'est très dangereux. Pour échapper à la mobilisation, certains deviennent contre la guerre, mais si vous voyez les interviews, ils ne disent jamais qu'ils sont contre la guerre de Poutine. Ils disent seulement qu'ils ne veulent pas en faire partie. On ne saura jamais quelle sera leur position politique. Je ne pense pas non plus que nous ayons besoin de recevoir les personnes qui fuient la mobilisation parce qu'alors rien ne changera en Russie.

Dernière question, liée à une autre actualité, celle de la révision du cadre financier pluriannuel réclamée par le Parlement européen. Il y a deux ans, lors de la négociation du MFF 2021-2027, vous avez plaidé pour plus de fonds pour la mobilité militaire. La demande de révision de ce MFF est-elle l'occasion de reprendre votre combat ?

— Oui ! J'espère que cette révision sera l'occasion d'augmenter la ligne actuelle. Car, je pense que c'était criminel. Criminel au sens où c'est irresponsable, que la moitié du budget ait été supprimée. Nous avons besoin de cet argent. Nous en avons besoin pour la construction d'infrastructures capables de transporter des équipements militaires. Il en faut partout, dans chaque nouveau projet d'infrastructure. C'est l'un des très rares projets où l'Europe a la possibilité de travailler avec l'OTAN.

(Emmanuelle Stroesser)

Entretien réalisé par téléphone, en anglais, jeudi 13 octobre

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