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[Entretien] Face aux défis, l’OTAN doit passer des paroles aux actes, s’impatiente le Royaume-Uni (David Quarrey)

(Photo : Gov UK)

(B2 — exclusif) La Chine, la Russie, l'espace, les dépenses de défense, la Turquie. Autant de menaces ou de défis décryptés par David Quarrey, ambassadeur britannique auprès de l’OTAN. Entretien.

David Quarrey a pris son poste en avril. Il était auparavant au cabinet du premier ministre Boris Johnson, occupant les fonctions de conseiller pour les affaires internationales et conseiller adjoint à la sécurité nationale (biographie).

L’Alliance et ses défis 

Les ministres des Affaires étrangères se rencontrent à Bucarest, avec la Chine à l'ordre du jour. Dans le dernier concept stratégique, la Chine est qualifiée comme un défi et non pas une menace. Mais chaque allié a sa vision différente. Que doit faire l'Alliance ?

— Plutôt que de passer trop de temps à nous demander en quoi notre évaluation est différente de celle de l'allié X ou de l'allié Y, le plus important est de passer à l’action. Dès maintenant nous devons commencer à traduire ces paroles en actes. Nous aimerions ainsi que l'OTAN prenne des mesures concrètes pour nous aider à renforcer notre résilience, au niveau national comme collectif.

Comment transformer "les mots en action" comme vous le dites, face à la Chine ?

— Il pourrait s'agir d'examiner des questions telles que la cybernétique, l’espace, la sécurité maritime, ou encore les chaînes d'approvisionnement. Il n'y a pas que la Chine. La sécurité mondiale se détériore et devrait continuer à se détériorer dans un avenir prévisible. Nous aimerions donc que l'OTAN continue d'approfondir sa compréhension des défis potentiels. Nous voulons aussi voir l'OTAN approfondir encore ses partenariats internationaux, y compris avec les Asia-Pacific Four (Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande), mais pas seulement.

Un travail qui prendra du temps donc ?

— Ce sera le travail de plusieurs années, en effet. La situation évolue rapidement. Les capacités nucléaires de la Chine se développent à un rythme très significatif. C'est un sujet que l'OTAN doit donc suivre de près. L'OTAN n'est peut-être pas la première à répondre à nombre de ces défis, mais pour toute question susceptible de menacer la sécurité euro-atlantique, l’Alliance doit comprendre ce qu'il se passe afin de pouvoir concevoir une action future.

Vous utilisez le mot « résilience », qui a une forte résonance « civile ». L'OTAN doit-elle aller au-delà du strict militaire ?

— Nous avons une vision globale des responsabilités de l'OTAN en tant qu'organisation primordiale pour la sécurité et la défense dans la zone euro-atlantique. Les défis en matière de sécurité sont de plus en plus complexes. Et ils brouillent souvent les frontières entre le civil et le militaire. Nous avons donc besoin d'une vision globale, qui tienne compte à la fois des instruments et de la puissance militaires, des instruments de puissance non militaires, des menaces qui se situeront au-dessus ou en dessous du seuil de conflit. C'est pourquoi nous parlons beaucoup de menaces hybrides.

... sur quels autres défis, l'OTAN devrait-elle donc se pencher ?

— La sécurité maritime. Cela va devenir de plus en plus important. La sécurité énergétique aussi est apparue très clairement cette année comme un défi majeur. L’espace, enfin. Qui contrôle l'espace ? Est-ce que nous utilisons tous l'espace de manière responsable ? Ce sont de nouveaux domaines de préoccupation pour la sécurité dans lesquels l'OTAN doit probablement jouer un rôle plus important au fil du temps.

Votre vision « globale » a-t-elle été affectée par le Brexit ? 

— Je ne vois pas d'impact significatif du Brexit. La crise avec la Russie et l'Ukraine, et le rôle de premier plan que le Royaume-Uni a joué dans la réponse, en défiant la Russie et en soutenant l'Ukraine, rappellent que nous sommes un contributeur net très important à la sécurité européenne. Nous sommes le plus grand allié européen en termes de contribution à l'OTAN.

La guerre en Ukraine 

La guerre en Ukraine reste en haut de l’agenda. Le soutien politique des Alliés à Kiev également. Mais lorsque l'Ukraine a présenté sa demande d'adhésion surprise à l'OTAN, l’Alliance a répondu que ce n’était pas la priorité. Un peu contradictoire ? 

— L’OTAN a un partenariat solide avec l'Ukraine depuis des années, bien avant le conflit actuel. Nous avons pris un engagement en 2008 pour son adhésion. Nous continuerons à parler de la manière dont nous pouvons approfondir la relation politique entre l'Ukraine et l'OTAN. Je ne prévois pas de mouvement en faveur de l'adhésion de sitôt. Le point central de la conversation en ce moment est l'unité des alliés pour le soutien à l’Ukraine, qui est solide comme un roc.

En termes de soutien pratique, le Royaume-Uni vient d'annoncer de nouvelles livraisons, dont des hélicoptères et des équipements pour l’hiver. C'est ce qui est important ? 

— Le point important est de livrer à l’Ukraine ce qui répond à ses besoins. Et d'être agiles et réactifs. Dernièrement, donc, nous avons fourni de nouveaux kits de défense aérienne et antimissile, des roquettes AMRAAM conçues pour abattre les missiles de croisière, des hélicoptères, des kits d'hiver.

Le sommet de Vilnius, en juillet 2023, déjà en perspective 

Les livraisons à l'Ukraine se poursuivent. Les stocks d'armes se vident. Quel est le rôle de l'OTAN ? 

— L'OTAN a un rôle important à jouer. Nous serions plus efficaces si nous pouvions joindre nos demandes aux industries. Et aussi, si nous pouvions avoir autant d'interchangeabilité que possible. C'est une bonne chose d'être inter-opérationnel, d'avoir nos différents systèmes qui peuvent fonctionner ensemble. C'est encore mieux si nous avons le même kit par exemple avec les munitions et l'artillerie. Je m'attends à ce que ce soit l'un des grands sujets de discussion avant le sommet de Vilnius en juillet prochain.

Cela amorce donc un changement pour l'OTAN ? 

— Oui, c'est une évolution. Les directeurs nationaux de l’armement (CNAD) se réunissent à l'OTAN depuis de nombreuses années sur les questions liées aux fournitures et aux stocks. Mais la situation actuelle a donné un aspect plus précis aux discussions. Et cela devra être le travail de nombreuses années, car nous continuerons à soutenir l'Ukraine pendant de nombreuses années encore. J'aimerais donc que des mesures soient prises dès maintenant, mais qu'un programme de travail à plus long terme soit élaboré, qui pourra être approuvé par le sommet. 

L’objectif de dépenses de défense de 2% semble atteint voire dépassé. Se pose la question de savoir si, c'est un plancher et non plus un plafond ?

— C’est une question incroyablement importante. Ce sera certainement aussi un des grand sujets pour Vilnius. Le débat n'en est qu'à ses débuts. Le Royaume-Uni est l'un des rares alliés qui a toujours atteint ou dépassé l'objectif de 2% depuis qu'il a été fixé au sommet du Pays de Galles en 2014. Nous continuerons. Le premier ministre Rishi Sunak a été très clair sur le fait qu'il y a de grandes décisions économiques pour le Royaume-Uni et sa décision des dépenses de défense sera pour début 2023. 

La Turquie bombarde le Nord de la Syrie. Elle bloque l'adhésion de la Finlande et la Suède à l'Alliance. En même temps, elle a réussi à trouver un accord sur l'exportation des céréales ukrainiennes en mer Noire avec Vladimir Poutine. Comment voyez-vous ce partenaire un peu turbulent ? 

— La Turquie est un partenaire vraiment important pour nous, tant sur le plan bilatéral qu'au sein de l'Alliance et elle apporte une contribution très importante à la sécurité transatlantique. Les Turcs ont leurs préoccupations de sécurité nationale. Nous les comprenons. Ils ont été incroyablement généreux en termes d'hospitalité envers les réfugiés syriens, et ont été confrontés à une menace terroriste très grave. Nous ne voulons pas voir une escalade en Syrie, car cela pourrait conduire à toutes sortes de problèmes de sécurité régionale. [Maintenant] nous attendons avec impatience le jour où la Suède et la Finlande deviendront des Alliés à part entière. Nous espérons que cela se produira aussi vite que possible. Car les deux pays pourront apporter une contribution extrêmement importante à la sécurité de l'Alliance et de l'Europe en général.

Un allié qui se rebelle (going rogue) ne risque-t-il pas de créer une fissure dans l’unité ? 

— Je ne suis pas d’accord avec la caractérisation. Le rôle qu'ils ont joué dans le Grain Deal est très important. Et tant sur le plan bilatéral qu'à travers l'OTAN, nous avons une forte relation de défense et de sécurité ainsi que politique avec la Turquie. Je n’imagine pas qu’elle changera.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé en anglais, en face à face, dans les locaux de la délégation du Royaume-Uni à l'OTAN, le jeudi (24 novembre).

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