(B2 — exclusif) Le dernier conseil des ministres de la Défense mardi (15 novembre) a largement été consacré au travail en commun sur les capacités de défense. Entretien avec la ministre belge, Ludivine Dedonder, qui entend défendre une vision européenne pour l'industrie de défense.
Le gros des discussions a porté sur les capacités et le travail en commun. Vous sentez une évolution ?
— En deux ans, il y a une vraie évolution. Chacun réinvestit, dépense davantage. Maintenant nous devons donc aussi mieux dépenser. J'ai un peu l'impression d'entendre parler du plan STAR [le plan belge de réinvestissement dans la défense] : il faut identifier les capacités lacunaires et renforcer la BITDE (la base industrielle et technologique de défense). Cela donnera forcément des opportunités aux industries, et pour interopérer davantage comme disent les militaires. En un mot, être plus efficaces entre Européens. Il faut avoir un vrai renforcement de l'Europe de la défense, pour des raisons économiques et opérationnelles.
Certains disent cependant que travailler en commun coûte plus cher, est plus lent et, au final, pas rentable. Est-ce votre avis ?
— Travailler en commun apporte un réel avantage. Nous en avons la preuve ! La Belgique a déjà une belle richesse de ce travail d'acquisition, d’interopérabilité et de maintenance en commun. En tant que petit pays, nous n'avons pas vocation à tout faire. Il faut donc travailler avec les autres nations. Nous faisons le terrestre avec les Français (avec le programme CAMO), la marine avec les Néerlandais et l'aviation de transport, l'A400M, avec les Luxembourgeois... Faire des marchés à plus grande échelle a un effet économique tout d'abord : éviter des doubles emplois, rentabiliser les investissements. Et mieux travailler.
Vous parlez beaucoup d'interopérer ?
— Il est fondamental de travailler ensemble, dès le début. Car nous serons ensuite déployés ensemble. Regardez en Roumanie, en ce moment : Belges et Français sont déployés côte à côte sur les mêmes matériels. C'est cela qui se développera à terme. Concrètement, sur le terrain, si nous ne pouvons pas communiquer en temps réel car nous n'avons pas les mêmes radios, nous ne sommes pas efficaces.
Le futur fonds d'acquisition EDIRPA devrait-il permettre de financer les achats hors-UE, comme plusieurs pays le soutiennent ?
— La proposition mise sur la table par la Commission européenne n'oblige pas à acheter européen. Nous pouvons fort bien acheter ailleurs. Mais il ne faut pas espérer alors avoir un incitant européen pour acheter non-européen tout de même...
... même si certains équipements ne sont pas disponibles ?
— C'est une réalité. Nous devrons bien acheter à l'extérieur ce qui n'existe pas en Europe. Nous n'allons pas nous priver de cette capacité. Mais ce qui est important ensuite, c'est d'aider l'industrie européenne à développer sur le futur les capacités qui manquent. Pour ne pas dépendre demain à nouveau de l'extérieur. C'est essentiel d'avoir cette culture européenne de défense !
Votre homologue ukrainien (Oleskii Reznikov) était là avec vous, par vidéoconférence, lors du déjeuner. Quel a été son message au lendemain de la reprise de Kherson... était-il optimiste, inquiet ?
— Il n'était pas inquiet, même si durant qu'il nous parlait, nous entendions les alarmes à Kiev. Il m'a paru surtout déterminé. Il nous a surtout demandé, comme toujours, de continuer notre soutien. Certes la situation est plus positive qu'il y a quelques mois. C'est encourageant. Mais dire que c'est gagné, certainement pas. [Malgré son recul], la Russie garde un dispositif d'escalade inédit et une capacité de nuisance. Et elle a intérêt aujourd'hui à demander un cessez-le-feu. Surtout pour faire une pause afin de regarnir leurs forces, s'approvisionner en matériel, former et redéployer ses troupes.
La mission EUMAM Ukraine vient d'être lancée justement. Quelle sera la contribution belge ?
— Nous participerons avec 50 à 100 militaires pour former des Ukrainiens. Les formations seront déterminées en fonction des demandes. L'état-major belge a identifié une vingtaine de domaines où nous pouvions apporter une aide et notre expertise : le déminage maritime, le soutien interarmes, le médical. Cela a été transmis aux instances européennes. Nous envoyons aussi deux officiers au commandement de la MPCC. Tout cela montre notre implication pour soutenir l'Ukraine comme notre volonté de renforcer l'Europe de la défense.
Dernier point, l'Europe semble aussi regarder sur son flanc Sud, que pensez-vous des projets d'une mission militaire d'assistance au Niger ?
— C'est une bonne chose. L'état d’esprit qui anime cette mission européenne correspond à l'état d'esprit dans lequel nous travaillons depuis des années. La Belgique a déjà une coopération bilatérale ancienne avec le Niger. Une coopération qui évolue et a été ajustée en fonction des besoins des Nigériens. Nous allons assurer ainsi la construction de la base de Torodi. Côté européen, nous espérons une approbation dès décembre et un démarrage l'année prochaine.
(propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien en face à face, en marge du Conseil des ministres de la Défense de l'UE mardi (15 novembre). Mis à jour avec la mention d'EUMAM Ukraine.
Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)