[Reportage] Exercice Orion. Les Européens s’exercent, aussi, à la haute intensité
(B2) Pour la France, l'exercice Orion est d’une envergure inédite depuis la Guerre froide. Avec pas moins de 1700 Européens et Alliés, déployés sur le terrain. Particulièrement ces derniers jours. Une simulation de conflit de haute intensité, au niveau d'un corps d'armée. « Enthousiasmante » de l'avis de tous.
L’entrainement a permis de jouer 70.000 soldats au total, du côté allié et un ennemi aux capacités comparables. Une bonne partie est simulée par ordinateur mais 12.000 militaires étaient présents sur le terrain, jouant les uns le rôle des « gentils », les autres les « méchants ». Les Belges, les Américains, les Britanniques, les Allemands, les Grecs et les Espagnols ont envoyé des contingents allant jusqu’à plusieurs centaines de militaires accompagnés de leurs matériels. Les Pays-Bas, le Canada, la Roumanie et l’Italie ont également détaché quelques officiers au sein de l’état-major.
Des Belges enthousiastes
« Nous aussi, nous nous refocalisons sur la haute intensité, explique le lieutenant-colonel Frédéric Thiry, chef de corps du bataillon de Chasseurs ardennais, à quelques pas de sa section postée dans un village champenois. C’est l’exercice parfait pour cela. Pour travailler toutes ces choses qu’on ne peut pas tester quand on s’entraine à petite échelle. » « Nous sommes totalement clients, complète son adjoint, le commandant Éric. Nous exécutons des missions qui sont confiées par l’échelon supérieur, sans savoir ce qui va se passer les vingt-quatre prochaines heures. Ce genre de combat a été peu pratiqué ces dernières années. »
Sur les 650 Belges présents dans l’exercice, l’essentiel compose deux compagnies d’infanterie mécanisée sur blindés Piranha et Dingo. Il est rare que Bruxelles déploie des détachements aussi important sur des manœuvres de ce type. Ils sont également présents sur des fonctions de renseignement, de santé, de génie, de logistique ou encore d’état-major. Sur le terrain, les Chasseurs ardennais ont dû faire face à des affrontements parfois musclés avec la force adverse. Jusqu’à perdre une compagnie complète, 140 hommes, sous le feu de l’artillerie… simulée.
Dans les villages du nord-est de la France, ils ont découvert la sympathie des riverains habitués à voir crapahuter des militaires en manœuvre. « Je suis très surpris de l’hospitalité envers les militaires, se réjouit le commandant Eric. On nous accueille facilement, en nous laissant hangars et accès aux sanitaires lorsqu’il pleut. » De quoi durer un peu plus pour les soldats confrontés à une dizaine de jours de froid, de pluie, de boue et de fatigue.
Une interopérabilité déjà rôdée
Les Français ne cessent de se féliciter de l’efficacité de l’interopérabilité avec les différents contingents alliés présents. Le colonel Charles-Louis Tardy-Joubert, chef de corps du 40ème régiment d’artillerie, note ainsi que les Belges utilisent le système de transmission Atlas qui permet de demander des appuis feux sans même avoir besoin d’échange radio.
« Nous voulons renforcer notre relation stratégique avec l’armée de terre française, confirme le lieutenant-colonel Thiry. Comme CAMO [NDLR : 'Capacité Motorisée', une coopération binationale visant à équiper à partir de 2025 la Belgique des engins du programme Scorpion, le Griffon, le Jaguar ou encore le Caesar], la participation de mon bataillon à Orion y contribue. »
Même écho chez les Espagnols, qui ont déployé sept hélicoptères dans la brigade d’aérocombat française, ainsi qu’une section d’infanterie. 80 hommes en tout. Engagés tous les jours, les équipages des Forces aéromobiles de l’armée de terre espagnole, la FAMET, ont régulièrement volé en patrouilles mixtes d’aéronefs des deux pays. « Nous échangeons beaucoup sur nos procédures, témoigne le capitaine Alvaro Vidal. C’est notre coopération la plus proche. Peut-être parce que nous sommes voisins. »
Une coopération d’autant plus simple que les deux pays ont de nombreux aéronefs en commun : des NH-90, des Cougar ou encore des Super Puma. Les Espagnols apportent un peu d’exotisme avec un Chinook, hélicoptère de transport lourd qui suscite la jalousie des Français. Ces derniers contribuent à renforcer la technique de leurs collègues, peu habitués à voler à basse altitude.
Le regard du géant américain
Pour les Français, l’enjeu est de démontrer qu’ils sont capables de commander un corps d’armée de 70 000 hommes, dans un contexte international, divisé en trois divisions. Face aux caméras, les officiers ne cessent de le répéter : il n’y a que Washington qui soit capable d’un tel déploiement de force et Paris pourra désormais revendiquer de jouer dans la même cour. Les Américains ont d’ailleurs déployé un petit détachement d’une soixantaine d’hommes et femmes venus de la 34th Infantry Division, les 'Red Bull' du Minesota, pour simuler leur division de 23 000 hommes.
« Nous sommes ici pour soutenir le commandement français dans cet exercice, explique le général Steve Schemenauer, membre de la Garde nationale, avocat dans le civil au sein d’un grand cabinet. Conduire des exercices d’envergure avec toutes les composantes est assez commun. Dans notre division, nous le faisons cinq à six fois par an. »
Le symbole est intéressant : la 34ème a été la première à débarquer en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale. Les réservistes qui la composent, venus de huit États, ont l’expérience du feu, auquel ils ont été confrontés en Afghanistan ou en Irak. Près de la moitié d’entre eux ont été déployés en opérations extérieures et ils considèrent de plus en plus l’hypothèse d’un affrontement inter-étatique. L’officier assure souhaiter que son pays continue de participer à cet exercice Orion que les Français ont promis d’organiser tous les trois ans. « J’espère être invité de nouveau, sourit le général Schemenauer. J’adorerais. Et mes hommes aussi. »
(Romain Mielcarek, en Champagne et dans l'Aisne)