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[Reportage] Indo-Pacifique : des porte-avions américains pour dissuader ou pour provoquer ?

(B2 en mer des Philippines) Au cours d’un entraînement d’ampleur mobilisant trois bâtiments à larges ponts, Américains et Japonais ont exercé début novembre leur interopérabilité et leur partage d’information. Derrière l’entraînement, il s’agissait surtout d’adresser un message à une Chine de plus en plus véhémente dans la région. Tout l’art de la manœuvre étant de dissuader, sans que cela puisse passer pour une provocation. Une limite ténue que B2 a pu observer à bord des navires américains.

Des F-35 sur le pont de l'USS Carl Vinson. (B2/Romain Mielcarek)

Prudente sur tous les aspects de ces opérations, l’US Navy reste volontairement ambiguë sur les dates exactes de l’exercice. Ce dernier a mobilisé au moins huit navires de guerre, dont deux porte-avions américains, l’USS Carl Vinson et l’USS Ronald Reagan, ainsi qu’un porte-hélicoptères japonais, le JS Hyuga. Plus de 11 000 hommes et femmes et 150 aéronefs qui ont fait une démonstration de force en mer des Philippines.

Dissuader n’est pas provoquer

Défendre une zone Indopacifique « libre et ouverte »

L’objectif de cet exercice, selon le contre-amiral Pat Hennefin, commandant du Carrier Strike Group 5, est de montrer un « symbole clair et visible de l’engagement profond de nos nations envers le cadre juridique international de liberté de circulation, de paix et de prospérité sur l’océan et dans les airs ». Sans que Pékin ne soit directement mentionnée, c’est clairement à la Chine qu’est adressé ce message.

Dissuader

Lorsqu’on demande aux commandants de clarifier ce message, ils décrivent la posture générale : « Ici, nous sommes concentrés sur notre mission, explique le commandant Matthew C. Thomas, pacha de l’USS Carl Vinson. Il s’agit de travailler avec nos alliés, d’être dissuasifs et de maintenir la sécurité. » Dissuader, donc. Pour l’officier, ces déploiements de force doivent convaincre tout adversaire potentiel que les forces américaines et leurs alliées sont à un niveau de performance et de réactivité suffisamment élevé pour qu’il ne soit pas intéressant de tenter une aventure militaire. Au menu des exercices : défense aérienne, patrouille maritime, coordination des manœuvres et des frappes.

Ne pas provoquer ?

En face, les Chinois, dénoncent régulièrement ces manœuvres comme des provocations. Comment distinguer une éventuelle provocation de la dissuasion assumée par les Américains ? « Nous allons là où le droit international nous autorise », précise le commandant Thomas. A propos de récentes altercations avec les Chinois, frôlant leurs aéronefs, il complète : « Ce type de comportement est très dangereux. Nos pilotes ne feraient jamais quelque chose de ce type. J’ai confiance en eux. Je sais qu’ils volent de manière professionnelle. » En attendant, les Américains référencent et documentent les mouvements considérés comme problématiques.

Les Chinois durcissent le ton

Démonstrations chinoises…

Exactement en même temps que les porte-avions américains, la marine chinoise faisait manœuvrer du 28 octobre au 5 novembre un groupe aéronaval composé de neuf bâtiments de guerre, dont le porte-avions CNS Shandong, dans le voisinage de Taïwan. Tout comme les Américains, ils ont multiplié décollages et appontages, jusqu’à 420 fois selon les forces japonaises.

… ou provocations ?

C’est dans ce contexte d’activités de grande envergure, qui se multiplient de part et d’autre depuis plusieurs mois, que les Chinois ont mené une interception particulièrement risquée. Le 24 octobre, un chasseur J-11 chinois a effectué un contrôle sur un B-52 qui se trouvait, d’après Washington, dans l’espace aérien international au-dessus de la mer de Chine méridionale. Le chasseur chinois s’est approché à trois mètres du bombardier américain, de nuit. Pour l’occasion, le commandement Pacifique américain a communiqué des images, dénonçant un énième cas, sur plus de 180 référencés depuis 2021.

« C’est pas nous, c’est eux »

Pékin tente de rétorquer en communiquant sur le même thème. Le 26 octobre, le porte-parole du ministère de la défense nationale chinois, le colonel Wu Qian, accuse un navire américain d’avoir coupé la route à un bâtiment chinois, de manière dangereuse, à proximité des îles Paracels. « La vidéo prouve que ce sont les Etats-Unis qui provoquent, prennent des risques et embrouillent les choses, déclarait l’officier. C'est le côté américain qui est venu jusqu'à la porte de la Chine pour provoquer et semer des troubles. » Ce dernier prétend avoir d’autres « preuves similaires » mais ne pas pouvoir les montrer, « faute de temps ». Il faut dire qu’il s’est passé plusieurs mois entre cette déclaration et l’incident, daté du 19 août, soit quasiment trois mois plus tôt.

 

L’apparence de la routine

Le paradoxe de la normalité

Le discours des Américains est assez ambivalent. Tout en insistant sur l’ampleur des manœuvres conduites, ils relativisent en affirmant que ces exercices sont habituels. « Nous opérons ici, Etats-Unis et Japon, depuis des décennies, tente de relativiser le contre-amiral Hennefin. C’est très commun. J’ai servi dans le Pacifique à trois reprises et j’ai régulièrement vu des manœuvres de ce type depuis les années 1990. C’est un processus normal dans la préparation militaire. Toutes les armées du monde le font. »

Mobilisation des alliances

C’est notamment sur l’interopérabilité entre alliés que Washington fait des efforts pour monter en gamme. Les Américains sont conscients que même si les Etats-Unis conservent - de loin - le budget de défense le plus élevé au monde, les Chinois rattrapent progressivement le retard technologique. Et ils disposent de ressources humaines considérablement plus élevées, avec plus de deux millions d’hommes. Alors il faut chercher d’autres solutions pour accroître les effectifs : les alliés, notamment japonais. En juin dernier, l’USS Ronald Reagan, cette fois accompagné de l’USS Nimitz, opérait déjà avec le JS Izumo japonais. En octobre, le Ronald Reagan et le Hyuga s’entraînaient avec la marine sud-coréenne. Régulièrement, des bâtiments australiens, canadiens ou encore philippins sont intégrés dans ces démonstrations.

(Romain Mielcarek)

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