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'OuvertDéfense UE (doctrine)

[Verbatim] Une défense européenne, toujours introuvable (Entretiens de la défense)

(B2) En dépit des tensions croissantes sur la scène mondiale, de la guerre en Ukraine et du conflit israélo-palestinien, la défense européenne reste un mirage. L'Alliance atlantique se renforce. Et les Européens se montrent toujours aussi incapables de concevoir leur autonomie stratégique.

Tel est le constat pessimiste qui ressort des Entretiens européens de la défense, dont la cinquième édition s'est tenue lundi 23 octobre à Bruxelles.

L'OTAN est en train de réaliser ce dont l'UE a toujours rêvé

Le diagnostic de Sven Biscop, directeur de programme "L'Europe dans le monde" chez Egmont et professeur à l'université de Gand, est sans appel : les Européens ne disposent que d' « armées bonzaï », la coopération structurée permanente n'a produit aucun résultat tangible et le plan de développement des capacités comme les Headline goals ont été superbement ignorés par les autorités nationales et les états-majors. « Paradoxalement, ce qui peut nous conduire à avancer, c'est la nouvelle structure de force de l'OTAN », estime-t-il, avec ces plans de défense régionaux qui prévoient davantage d'intégration et la constitution de paquets de forces et de capacités.

Ne pas devenir le souvenir d'une grandeur disparue

S'il reconnait partager le pessimisme de Sven Biscop sur les progrès de la défense européenne, le député européen Bernard Guetta (Renaissance/Renew) estime que les Européens n'ont pas d'autre solution que d'approfondir leur union pour faire face au double écueil de la relation sino-américaine. Sans intégration accrue, ils pourraient être aussi bien victimes de la compétition entre les États-Unis et la Chine que de leur coopération, a-t-il expliqué. L'Europe risquant alors de devenir « un souvenir historique » à l'instar de la cité des doges, « une nouvelle Venise » en marge de l'histoire.

Forces et faiblesses des forces européennes

« L'UE ne dispose certes pas de 12 porte-avions, mais elle compte plus de frégates que les États-Unis » et les forces navales européennes sont comparables à la Navy en nombre de vaisseaux, sous-marins compris, a expliqué le général français Michel Yakovleff pour illustrer les forces européennes. Il reconnaît qu'il existe aussi des faiblesses, comme l'absence d'un processus de décision politique clair et efficace. De la même façon, il existe une solide industrie de défense en Europe, mais elle est trop fragmentée et, à l'inverse des États-Unis où il est normal d'investir dans ce secteur, « en Europe, c'est comme investir dans la drogue ou le porno ».

L'autonomie stratégique est une question de volonté

L'ancien chef d'état-major adjoint du commandement allié en Europe (SHAPE), qui se présente lui-même comme « fédéraliste », constate que l'OTAN se comporte comme « un père » sermonnant « son enfant » sur le partage du fardeau de la défense et que dans beaucoup de domaines, à commencer par la mobilité militaire, l'UE s'exécute et « porte le fardeau ». Alors que la priorité affichée par les États-Unis est clairement le Pacifique et que « l'Amérique devient transactionnelle », les Européens, eux, peinent à concevoir une autonomie stratégique qui n'est pourtant qu'une « question de volonté ».

Consacrer 2% du prochain MFF à la défense

À l'instar du minimum de 2% du PIB que les Alliés se sont engagés à consacrer à la défense, il faudrait que l'Union européenne consacre 2% de son prochain cadre financier pluriannuel (à partir de 2028) à la défense, suggère l'eurodéputé allemand Michael Gahler (CDU/PPE). Il ne voit d'ailleurs pas pourquoi, alors qu'il y a une guerre de haute intensité sur le continent, on ne reviendrait pas au niveau de dépenses de la Guerre froide, à savoir 4%.

Consolider la demande pour soutenir la BITDE

Nathalie Errard, head of Airbus Public Affairs à Bruxelles, a dressé une liste des mesures qui permettraient de renforcer l'industrie européenne de la défense, à commencer par la consolidation de la demande associée à des volumes plus importants d'équipements répondant à des spécifications militaires identiques. S'y ajoutent : des financements accrus pour l'innovation ; une reconnaissance ESG [le système de notation des performances environnementales, sociales et de gouvernance NDLR] pour l'accès au financement ; la simplification des règles à l'exportation (1) ; la préférence européenne (2) et une exemption de TVA dont dispose l'OTAN.

(Olivier Jehin)

  1. À commencer par les transferts intracommunautaires.
  2. La préférence européenne est déjà présente, sous différentes formes, dans le fonds européen de défense et dans le règlement ASAP, mais elle se heurte à des réticences de certains États membres et un très fort lobbying américain.

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