[Éditorial] Une présidence polonaise qui se termine en queue de poisson
(B2) Partie sur les chapeaux de roues, pour une épopée européenne qui était dans son ADN, la présidence polonaise de l'UE dirigée par le centre-droit Donald Tusk s'est fracassée sur la réalité politique de son pays.
Un succès pour la défense
Disons-le tout net, la présidence polonaise de l'UE a obtenu de bons résultats sur son thème fétiche : la défense et la sécurité. « Le (sujet) le plus important de la présidence polonaise », comme l'avait indiqué dès le début le Premier ministre polonais, Donald Tusk (lire [Verbatim] 5% du PIB pour la défense ? Pour Donald Tusk, l’Europe n’a tout simplement pas le choix !).
Le texte SAFE, permettant des prêts pour le secteur, a été bouclé rapidement (lire [Actualité] Les 27 adoptent l’instrument de prêt SAFE. Entrée en vigueur dès jeudi). Et le dossier EDIP est sorti des limbes du Conseil, l'heure étant aux trilogues avec le Parlement européen. Tandis que Varsovie a revivifié le triangle de Weimar et s'est arrimé avec un traité politique de première importance à la politique française (lire [Actualité] Mariage franco-polonais à Nancy. La Pologne dans la cour des grands). Donc d'un point de vue technique, Varsovie a effectué le job. Et très bien.
Il est vrai que le terrain était favorable. Les présidences précédentes, belge et hongroise en particulier, avaient bien préparé le terrain. La Commission européenne — le couple von der Leyen-Kubilius qui font partie du même parti (PPE) que le dirigeant polonais — poussait. Et le Parlement européen, ayant réglé ses problèmes internes — en créant une commission Défense —, était volontaire. Tandis que la "tornade" Trump conduisait les 27 à resserrer les rangs et montrer leur volonté de dépenser davantage pour leur défense.
Un manque d'initiative diplomatique
Au niveau de la politique étrangère, le constat est beaucoup moins glorieux. Il est vrai que la présidence tournante n'a plus le rôle d'antan. Le traité de Lisbonne est passé par là. Et, d'un point de vue institutionnel, le sujet est désormais aux mains du président du Conseil européen (A. Costa) et, surtout, de la Haute représentante de l'UE (K. Kallas). Même si cela n'a jamais empêché un État membre de mener la danse.
Or, malgré de belles paroles, durant sa présidence, la Pologne a été avare en matière d'initiatives que ce soit vis-à-vis des États-Unis de Donald Trump, d'Israël de B. Netanyahu, du conflit entre la Russie et l'Ukraine, etc. À la place, on a observé un président français, Emmanuel Macron, hyper actif, au point qu'il a effacé d'un trait la présidence polonaise de l'équation politique.
Au final, les Européens ont été balayés de plusieurs tables de négociation : sur le conflit ukrainien, mais aussi sur le nucléaire iranien, et même sur la résolution des conflits en Afrique. Peu glorieux. Quant à la volonté annoncée d'avancer sur la voie de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, elle est restée inachevée. Aucun chapitre de négociation n'a ainsi été ouvert malgré la promesse faite d'accélérer le processus. En fait, depuis la conférence intergouvernementale de juin 2024 qui a ouvert formellement l'adhésion, celui-ci fait du surplace.
Une déroute politique
C'est au niveau politique que la présidence polonaise a le plus failli. L'élection présidentielle polonaise a été perdue début juin par le camp au pouvoir. Pourtant son candidat, Rafal Trzaskowski, le maire de Varsovie, partait favori, avec même une large avance dans les sondages. Mais il a commis un péché d'orgueil et une erreur tactique.
Pour gagner quelques points de plus, il a durci son discours : sur l'immigration, sur l'Europe, etc. Quitte à décevoir une partie de son électorat. Au final, ses adversaires, le parti Droit et justice conservateur (PiS/ECR), aidé de l'extrême-droite, l'a finalement emporté. Son leader Karol Nawrocki a regagné, point par point, son retard dans les sondages au terme d'une campagne hargneuse mais concrète.
Selon le vieux principe que l'électeur préfère souvent l'original à la copie, le parti de Donald Tusk a finalement perdu une élection (1) vitale pour lui comme pour la Pologne. Non seulement il bloque toute velléité de réforme en matière d'état de droit mais aussi induit une nouvelle orientation en matière de politique étrangère (lire [Décryptage] Élection présidentielle en Pologne. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN bloquée à double tour).
Une défaite européenne
Pour l'Europe, cette déroute est fatale. Car Varsovie formait avec Berlin et Paris, un triumvirat apte à faire avancer certaines réformes ou certaines priorités. Il sonne aussi comme une bascule dans quasiment tout les pays du Visegrad (Hongrie, Slovaquie, Pologne) qui ont désormais à leur tête un homme favorable à une "pacification" des relations avec la Russie.
Ne reste que l'élection tchèque à l'automne pour 'parfaire' la donne, où le milliardaire Andrzej Babis qui a aussi un faible pour Moscou est donné favori. Et un tournant stratégique favorable pourrait opérer... en douceur. Les quatre de Visegrad pouvant former une minorité de blocage sur toute velléité de sanction supplémentaire notamment.
La fin de cette année pourrait être bien différente du début de 2022 qui avait vu les 27 comme un seul personnage soutenir le combat des Ukrainiens contre les Russes.
(Nicolas Gros-Verheyde)
- L'élection est aujourd'hui contestée formellement notamment par Donald Tusk qui a demandé un recomptage des voix. La Cour suprême, arbitre de l'élection, a déjà ordonné la révision des bulletins de vote dans 13 commissions électorales. Plusieurs milliers de contestations ont déjà été déposées, selon le porte-parole de la Cour suprême, Aleksander Stepkowski, cité par Euronews.
Lire aussi :
- [Décryptage] Pologne, la « première armée européenne », entre ambitions et illusions (Etude)
- [Actualité] Défense. Pologne et Allemagne signent leurs fiançailles. Un moteur alternatif au couple franco-allemand
- [Décryptage] L’instrument SAFE : 150 milliards à prêter aux Etats membres pour financer leurs projets de défense (V2)