Stabilisation - Paix

[Entretien] Nous resterons au Mali. La sécurité de l’Europe c’est à 360 degrés (Jüri Luik)

(B2 à Berlin - exclusif) Très engagée au Mali, l'Estonie occupe une place à part dans le panorama européen. Naturellement notre conversation avec son ministre de la Défense a porté sur ce sujet. Mais aussi sur la situation en Biélorussie

Jüri Luik à l'informelle défense de Berlin (crédit : MinDéf Estonie)

Né à Tallinn le 17 août 1966, membre du parti Isamaa - Pro Patria (PPE), Jüri Luik, est un habitué du siège de ministre de la Défense du petit État balte. Il l'a occupé juste après l'indépendance, de 1992 à 1994, puis à nouveau de 1999 à 2002 et se trouve de nouveau en poste depuis 2017.

Comment voyez-vous le coup d'état des militaires au Mali ? Cela va-t-il entraîner un changement ?

— Ce que nous voyons aujourd'hui est évidemment un développement plutôt négatif. L'Estonie, comme la communauté internationale, a profondément condamné le coup d'État. Nous espérons que l'état de droit et qu'un gouvernement civil seront restaurés aussi vite que possible. C'est très important pour plusieurs raisons. Le conflit au Mali n'a pas de solution militaire. C'est le rôle d'un gouvernement civil de coopérer avec les différents pans de la société malienne, les différents groupes du Nord et du Sud. Vous avez besoin de bâtir un consensus. Et vous ne pouvez pas faire cela avec des règles militaires. Rappelez-vous le coup d'état de 2012, c'était catastrophique à cet égard.

L'Estonie reste et ne change pas son engagement notamment dans la force Takuba alors ?

— Ceux qui sont à la tête du Mali aujourd'hui [NDLR les militaires] ont demandé à la communauté internationale de rester et de continuer toutes les opérations au Mali. Et si les troupes internationales quittent le Mali, cela laisserait la main à de possibles terroristes. Ce qui serait négatif. Nous resterons et continuerons notre travail. Mais nous suivons pour l'instant la situation très étroitement.

Pourquoi l'Estonie est-elle aussi engagée au Mali ? Ce n'est pas tout près...

— Nous avons un réel engagement c'est vrai : nous avons des troupes dans la Minusma [opération de maintien de la paix de l'ONU], dans EUTM [la mission de l'UE de formation de l'armée malienne], dans Barkhane [l'opération française anti-terroriste], et aussi dans la force Takuba [la nouvelle force chargée de renforcer l'armée malienne]. Nous sommes persuadés que la région du Sahel joue un rôle dans la sécurité européenne. C'est une route de transit pour les activités criminelles. Nous croyons aussi vraiment que la sécurité de l'Union européenne doit fonctionner à 360°. Il faut faire face aux risques du Sud. C'est vital pour nos alliés. Et nous présumons que nos alliés comprendront aussi nos préoccupations sur l'Est. L'année prochaine, des unités françaises arriveront en Estonie, pour dissuader la Russie.

Vous pensez qu'être présent au Mali est une manière d'avertir la Russie, de la dissuader d'agir, car votre armée est entrainée ?

— Oui bien sûr. On ne souhaiterait pas évidemment voir une telle situation se reproduire ailleurs. Mais cela donne à nos soldats des expériences de situation de combat intermittent. Cela renforce nos forces, leur donne une endurance.

Autre sujet, la Biélorussie, un de vos voisins. Quel est votre sentiment sur la situation ?

— Nous sommes extrêmement inquiets. Car il est clair que les élections ont été très falsifiées. La volonté de la population n'a pas été respectée. Il est important que l'Union européenne souligne toujours et encore qu'elle ne veut pas reconnaitre ces élections et avance vers des sanctions. C'est important pour la population...

... Ce ne sont pas juste des mots ?

— Non. Ces gens dans la rue suivent de près ce que nous disons. La Biélorussie est un pays assez ouvert en termes de flux d'information. Répéter notre position joue donc un rôle important. C'est un encouragement fort pour la population, qui attend notre soutien. Il ne faut pas baisser les bras.

Le gouvernement de Minsk parle notamment de menaces à sa frontière pour justifier sa répression ?

— Alexandre Louckachenko [le président biélorusse] joue avec des menaces imaginatives, en déployant des troupes près de la frontière avec la Lituanie. Il se crée en quelque sorte des tensions, comme s'il pensait que cela va remédier aux problèmes du pays. C'est dangereux. Car il y a toujours des possibilités de malentendus. C'est pour cela que nous disons fermement à Loukachenko : il ne doit pas tenir ce genre de propos, utiliser ce genre de tours. La position de l'OTAN et de l'UE est vraiment claire : il n'y a pas de dimension, ni de solution militaire à cette crise. La question posée [pour le régime Loukachenko] est juste de satisfaire la volonté démocratique.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Entretien réalisé à Berlin, le 27 août 2020, en anglais

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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