Fabio Castaldo
AfriqueDiplomatie UE

[Entretien] Ethiopie. L’Europe en position inconfortable (F. Massimo Castaldo)

(B2) Pour l'Italien Fabio Massimo Castaldo, rapporteur permanent sur la Corne de l'Afrique au Parlement européen, le conflit autour du Grand barrage de la Renaissance est un enjeu de taille pour la stabilité dans la région, ou à défaut, un risque majeur de scission

(crédit : Parlement européen)

L'Éthiopie s'enfonce dans une guerre civile, avec des témoignages d'hostilités vis-à-vis de l'Occident selon le ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, qui intervenait mardi (15 juin) en commission AFET (affaires étrangères) au Parlement européen. Vous avez émis des doutes sur l'option de se servir de l'Arabie saoudite comme médiateur. Pourquoi ce questionnement ?

— Je voulais avoir une clarification des propos tenus par le ministre lors de sa dernière mission, en avril, en Éthiopie. Il avait évoqué l'Arabie saoudite comme possible partenaire. Vu le nombre de résolutions adoptées par le Parlement européen condamnant la politique de l'Arabie saoudite en matière de droits de l'Homme, j'envisagerais d'autres pays plutôt que l'Arabie saoudite pour jouer un rôle dans ce domaine. Bien sûr, toute forme de soutien diplomatique si elle vise à rapprocher les parties en conflit est la bienvenue. Mais il reste difficile qu'un pays qui a lui-même des difficultés avec le respect des droits de l'Homme soit vu comme un exemple.

Vous n'avez pas vraiment obtenu de réponse...

— Non. Ce qui est clair, c'est que la situation en Éthiopie est tragique. Près de 350.000 personnes souffrent de famine. 1,7 millions de personnes en sont proche. Les accès humanitaires sont encore très serrés, c'est difficile pour les acteurs humanitaires.

Que peut et doit faire l'Europe ? 

— Il faudrait surtout aider le Tigré où il y a eu des destructions massives. L'instrument financier Global Europe sera utile pour la reconstruction. Mais à défaut d'accès à la région du Tigré, il est impossible d'engager le dialogue avec la société civile et la population locale. Nous pourrions passer par le gouvernement fédéral sauf que les tensions entre le gouvernement et le Tigré rendent cela compliqué. Nous sommes face à une contradiction. Si l'Union renforçait la conditionnalité de l'aide vis-à-vis du Tigré, cela risquerait de rapprocher l'Éthiopie de la Chine, qui deviendrait un partenaire fondamental. C'est une situation qui appelle à une certaine maîtrise diplomatique pour éviter d'un côté de ne pas dire, et de l'autre de paraître trop dur.

À cela s'ajoutent les élections du 21 juin ? 

— Une partie de la population ne pourra pas voter, soit les habitants du Tigré. Cela représente 15% des Éthiopiens ! Il apparaît donc d'ores et déjà évident que le processus électoral sera gâché. Il faudra la sagesse et la diplomatie européenne pour engager le dialogue pour ne pas perdre notre influence.

Vous dites qu'il est « impossible de résoudre les tensions sans solution sur le barrage (hydroélectrique) de la Renaissance » construit par l'Éthiopie et contesté par le Soudan et l'Égypte. Quelle serait cette solution ? 

— C'est un conflit qui remonte à plusieurs années. Ce qui m'inquiète, c'est que le conflit sur le partage de l'eau dégénère en tensions pouvant aller jusqu'à la confrontation... Car la polarisation est forte entre deux axes en place, d'un côté l'Égypte, avec le Soudan, la Tunisie, les pays d'Afrique du nord, et de l'autre, les pays de la Corne de l'Afrique, Éthiopie, Érythrée, Somalie. L'actuelle répartition est trop favorable à l'Égypte (près de 80 % des eaux du Nil), il est nécessaire de la rééquilibrer dans un sens plus juste pour la région. À mon avis, l'Europe pourrait jouer un rôle fondamental de médiation pour renégocier l'accord et faciliter une solution amiable.

(Propos recueillis par Emmanuelle Stroesser)

Interview réalisée par téléphone, en français


Un rapport d'initiative en chantier 

Fabio Castaldo envisage se rendre en Ethiopie dès que les conditions sanitaires le permettront. Il réfléchit à un rapport d'initiative sur la région de la Corne de l'Afrique, « car la situation en Somalie et les tensions avec le Kenya notamment sont très inquiétantes, de même qu'au Nord Soudan ».


Lire aussi :


 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.