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[Entretien] Le conflit éthiopien est dans une impasse. Une seule solution : négocier. L’Europe a un rôle à jouer (Pekka Haavisto)

(B2) Chargé d'une mission de bons offices par le Haut représentant de l'UE, le ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, revient du terrain

Pekka Haavisto (à droite) avec le Haut représentant Josep Borrell (à gauche) lors de la réunion du Conseil des Affaires étrangères (crédit : Conseil de l'UE)

Après avoir fait un rapport aux ministres des Affaires étrangères, lundi (22.02), le ministre a livré ses impressions à quelques journalistes (dont B2), mardi (23.02). La décision d'envoyer sur place le ministre finlandais avait été évoquée au conseil des Affaires étrangères le 7 décembre 2020

Une situation incontrôlable

Pour le ministre finlandais, la crise dans la région du Tigré, semble « hors de contrôle ». « La situation est militairement, humainement et sur le plan humanitaire, incontrôlable » résume-t-il. Avec « des violations répétées des droits de l'Homme, commises par toutes les parties. Des violations graves qui incluent des exécutions extra-judiciaires et des violences sexuelles ».

La nécessité de documenter les informations

Il insiste d'ailleurs sur une « recommandation », « à tous », de « documenter ces allégations ». Car si ses « discussions privées avec plusieurs interlocuteurs, prouvent ces violations graves », « beaucoup de rumeurs circulent ». Tandis que « le gouvernement lui même n'a pas une vue claire » et qu'il y a « beaucoup de difficultés à tracer un état des lieux ». Il évoque « des zones contrôlées par le TPLF (Front de libération du peuple du Tigré), auxquelles il n'est pas facile d'accéder », mais également « la présence de soldats érythréens ». Ce manque de clarté est « l'un des problèmes ».

L'Éthiopie a besoin de dialoguer aussi avec les pays voisins

Sa « conviction » est que l'Éthiopie « est en besoin de dialogue international ». « Je pense qu'il est très important que nous ayons un dialogue avec les pays voisins », « d'une formulation de nouvelles alliances ». Le ministre ajoutera plus tard que « si rien n'est fait, les conditions de vie vont s'aggraver et de plus en plus de réfugiés vont arriver ». Cela pourrait être « le début d'une autre crise des réfugiés potentiellement importante dans le monde ».

L'Europe doit s'impliquer

Interrogé sur le rôle et le message de l'Europe, le ministre estime que « l'Union européenne doit s'impliquer dans le dialogue et les soutenir ». Le « message principal est de faciliter l'accès de l'aide humanitaire et d'assurer le respect des droits de l'Homme ». D'ailleurs, dans un tweet, peu avant cette réunion, il expliquait que « la Finlande et l'UE exigent un accès sans entrave à l'aide et le respect du droit international. L'ONU et les organisations internationales ont un rôle clé à jouer dans l'acheminement de l'aide à la région ».

Trop tôt pour une mission de stabilisation

L'Europe peut-elle faire plus dans la stabilisation ? Comme une mission PSDC par exemple. La réponse du ministre est nette : « Nous n'en sommes pas là. C'est d'abord un problème africain. Et la solution africaine passera par l'Union Africaine ». « On peut apporter un soutien international notamment à l'ONU pour établir les faits ». Si les Européens ont « un rôle à jouer », « la première priorité est pour l'Union africaine».

L'implication de l'Érythrée évidente

« Le gouvernement d'Addis Abeba a appelé les Érythréens à l'aide ». C'est évident. Mais avoir plus de précisions est difficile La question des troupes érythréennes est extrêmement sensible. Nous n'obtenons donc pas de réponse claire sur l'emplacement ou l'ampleur de leur présence » reconnait-il. Pekka Haavisto explique que « nous avons besoin du feu vert du gouvernement éthiopien pour négocier l'accès aux zones contrôlées par l’Érythrée et aux zones contrôlées par l'opposition ».

Une erreur d'appréciation d'Addis Abeba

« La force de l'opposition a été une surprise pour le gouvernement. C'est mon sentiment » livre le ministre répondant à la question de B2. En déclenchant les hostilités, « le calcul du gouvernement était de (pouvoir) calmer vite la révolte ». Mais « cela fait trois mois que cela dure. Et l'opposition est toujours là ». Une solution « nécessite autre chose que des moyens militaires ».

... une seule solution : négocier

« Il faut négocier » insiste le ministre qui discerne « une multitude de défis pour le gouvernement ». Il n'y a pas d'autres solutions. « Je pense que nous allons assister à des négociations sur les questions soulevées. Mais l'accès aux zones qu'elle ne contrôle pas n'est pas encore réglé. »

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde - avec l'aide de J.S. Bareth st. pour la transcription)

Entretien donné, en anglais, dans le respect des règles sanitaires à une dizaine de journalistes de la presse internationale, dont La Stampa, Financial Times, Politico, Agence europe ...


Une constance européenne

L'activation des couloirs humanitaires fait l'objet d'une demande répétée de plusieurs responsables européens : Pekka Haavisto (déjà) et Janez Lenarcic en décembre (lire : Carnet 21.12.2020) ou le HCR (lire : Carnet 14.12.2020), la ministre italienne Emanuela Del Re (lire : Carnet 11.12.2020). La suspension des accords de coopération avec l'Éthiopie a été suggérée par plusieurs eurodéputés (lire : Carnet 07.12.2020).


Lire aussi  : Éthiopie. Situation humanitaire potentiellement explosive avec le conflit au Tigré (CICR)

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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