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[Analyse] Un sommet de Madrid victorieux pour l’Alliance atlantique

(B2) Le Sommet de Madrid s'achève en quasi-apothéose ce jeudi (30 juin) pour l'Alliance atlantique. Elle retrouve une pleine vigueur comme elle n'en avait pas connue depuis la chute du mur de Berlin et l'élargissement à l'Est. Effet cumulé de la guerre russe en Ukraine et de la confiance retrouvée entre alliés. Le temps de la mort cérébrale paraît loin. Mais attention au danger du surplus de confiance.

Une photo officielle qui traduit bien la réalité : des sourires entre Recep Tayyip Erdoğan (Türkiye) d'un côté, Mark Rutte (Pays-Bas) et Joe Biden (USA) de l'autre, qui ne cachent pas de solides divergences et explications en coulisses (Photo : OTAN)

Une pleine vitalité

Le retour de la guerre en Europe du fait de la Russie a dopé l'Alliance atlantique comme jamais. D'autant que les Américains ont retrouvé leur rôle de leader naturel.

L'unité retrouvée

L'arrivée du Démocrate Joe Biden à la Maison Blanche en janvier 2021 a fait taire toutes les dissensions qui pouvaient exister entre Européens et Américains (lire : Les Européens et Joe Biden au sommet. Plus que jamais partenaires !). La clause de défense mutuelle de l'article V n'est plus remise en cause. Elle est même étendue à une série de nouvelles menaces, comme le cyber, l'espace, les menaces hybrides, considérées auparavant comme des zones grises, infra-conflit. (lire : Le nouveau concept stratégique de l’Alliance version 2022. Plus dur avec la Russie. Plus étendu sur les menaces)

Un conflit avec la Russie par Ukrainiens interposés

Le soutien à l'Ukraine, dans sa guerre contre la Russie ne faiblit pas. Il est même devenu un mantra de l'Alliance. Les Otaniens ont ainsi fait leurs les mots du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Cette guerre est aussi la guerre du monde libre contre l'autoritarisme russe. Sans admettre l'Ukraine dans l'Alliance atlantique, comme demandé par Kiev, ils la soutiennent financièrement, politiquement, militairement à bout de bras. Ils ont fait fi de leurs préventions habituelles. Et après quelques instants d'hésitation, notamment en Allemagne ou en France, ils ont décidé de livrer des armes létales et offensives (lire : [Dossier n°93] Guerre en Ukraine : quand les Occidentaux livrent des armes).

Attaque, défense, reconquête 

L'objectif reste inscrit dans le cadre du droit à la légitime défense de l'Ukraine, reconnu par la Charte des Nations unies, face à « l'agression » russe. Mais il ne se limite plus à une question juste défensive face aux attaques. Il s'agit aussi de reconquérir les territoires acquis par la Russie depuis le début de « l'invasion » déclenchée en février. Les propos du ministre britannique de la Défense Ben Wallace à B2 sont sans ambiguïté sur ce point (lire : [Entretien] Les Russes ne sont pas les rois de la guerre. Ils sont usés mais restent dangereux. Le moment crunch c’est l’été).

Un ennemi clairement désigné

L'Alliance s'est dotée d'une nouvelle doctrine désignant clairement une menace, un ennemi : la Russie. Ce qui a le mérite à la fois de la clarté comme d'une réalité de sens commun. La nécessité d'une présence avancée sur le « front oriental » de l'Alliance, n'est plus contestée par personne. Même les plus réticents à placer des troupes fixes sur une zone considérée à la fin des années 2010 comme sans danger, se sont désormais clairement engagés. La France a pris ainsi le lead d'un bataillon/brigade en Roumanie. Et les Américains ont décidé de renforcer leurs effectifs en Europe, en franchissant un pas décisif : il y aura une présence « permanente » de forces US dans un pays d'Europe de l'Est (lire : [Actualité] Les Américains renforcent leur présence en Europe. La Pologne devient un point permanent des forces US à l’Est). Le fait de le dire est ici aussi important que le fait lui-même.

Une Alliance en ordre de marche

Un dopage aux hormones des budgets

Les budgets de défense, déjà à la hausse depuis quelques années, vont retrouver une ampleur inégalée depuis la chute du Mur de Berlin et ce qu'on a appelé les dividendes de la paix. L'objectif fixé en 2014 d'atteindre 2% du produit intérieur brut consacré à la défense d'ici 2024 semblait jusqu'à récemment encore un vœu pieux et théorique. Désormais, nombre de pays ont déjà franchi le cap ou sont en passe de l'atteindre (lire : Les dépenses d’équipement à la hausse en 2022). Et d'autres se sont engagés à le faire de façon accélérée, notamment l'Allemagne (lire : Les Européens réinvestissent massivement. Les budgets de défense à la hausse), voire même la Belgique, parmi les derniers de la classe (lire : [Analyse] Plan STAR, objectif de 2%).

Un élargissement stratégique

La Finlande et à la Suède rentreront dans l'Alliance. Cet élargissement sonne un peu comme une apothéose. Elle ne peut être comparée à l'élargissement en 1999 puis en 2004 aux pays de l'Est, consécutif à la chute du mur de Berlin. L'évènement avait une toute autre valeur historique, politique et symbolique. Finlande et Suède n'étaient pas jusqu'ici de « l'autre côté » du mur, et étaient assez proches des Alliés. Ce, tant au niveau des valeurs politiques que de échanges militaires, participant à quasi toutes les opérations de l'Alliance et à nombre de ses exercices.

Mais cet élargissement a une haute intensité stratégique, vis-à-vis de la Russie. Il « ferme » notamment la frontière au Nord de l'OTAN, consolide la zone Baltique, où les pays baltes apparaissaient isolés face à une Russie vindicative. Et l'Alliance bénéficiera de l'apport de deux pays, riches, dotés d'une expérience nordique très utile à l'heure de l'Arctique devenu franchissable, et de forces armées certes petites mais plutôt bien formées et équipées. Une réelle victoire stratégique pour l'Alliance sur son ennemi de toujours, la Russie (lire aussi : Le printemps nordique de la défense européenne a débuté. La première défaite stratégique de Poutine).

Une réconciliation avec l'Union européenne

Résultat combiné de tous ces facteurs, les deux organisations européennes, souvent rivales, se sont désormais bien calées autour d'une complémentarité assumée, à égalité.

À l'Alliance le soin d'assurer l'interopérabilité militaire et la défense territoriale de tout le continent européen face à la Russie (lire : Face à la Russie, l’OTAN se muscle), de coordonner le soutien militaire à l'Ukraine et la hausse concertée des budgets de défense. À l'Union européenne d'organiser le soutien à l'industrie de défense européenne, de mettre en place les sanctions les plus dures possibles contre la Russie, de financer une partie du soutien militaire aux pays du voisinage et de gérer de petites missions de structuration militaire (formation, capacités) et de post-conflit.

La première reconnaît à la seconde le droit à établir une politique de défense, comme les USA l'avaient indiqué (lire : Washington adoube la défense européenne). La seconde ne prétend plus intervenir sur des conflits d'intensité.

Deux dangers restent

L'éléphant turc

Dans ce tableau idyllique, il ne faut pas minorer cet élément perturbateur : Ankara. Son attitude reste ambigüe sur plusieurs sujets. Même si elle soutient militairement l'Ukraine, la Turquie n'a pas vraiment embrayé le pas sur les sanctions envers la Russie. Les hostilités à bas bruit continuent avec la Grèce, autre membre de l'OTAN. Et en Afrique, la Turquie mène un double jeu assez trouble, en Somalie, comme au Sahel, ou en Libye, cherchant à damner le pion aux Européens. Mais surtout, elle a failli gâcher la fête en imposant au forceps aux deux nouveaux entrants dans l'Alliance sa propre conception de la lutte anti-terroriste, assimilant dans un même paquet, le PKK kurde, les YPG syriennes et le mouvement Gülen (lire : Finlande et Suède reçoivent l’imprimatur de la Turquie pour adhérer à l’Alliance. Le détail de l’accord).

Le surcroît de confiance

Enfin, l'Alliance devra éviter le gros défaut qui avait marqué l'après 1989 : un surcroît de puissance et de confiance qui lui ont fait croire que tout était possible. L'intervention militaire décisive au Kosovo en 1999, en plein conflit avec la Serbie, a certes permis l'indépendance de l'ancienne province serbe. Mais elle a été aussi un signe extérieur clair d'une Alliance expéditionnaire et non plus seulement défensive qui est prête à bousculer les frontières acquises. L'intervention en Libye en 2011 a été encore plus catastrophique. Magistral succès militaire, il a abouti à un changement de régime qui n'était ni dans la lettre ni dans l'esprit des résolutions internationales. Au bout de dix ans, l'échec est total au niveau politique. La Libye ne s'est toujours pas relevée de cette intervention. Mais surtout le retentissement est énorme au-delà. La Russie en a conçu un revanchisme exacerbé. Certains Africains l'ont vécu comme une ingérence inacceptable. L'OTAN devra donc avoir le triomphe modeste si elle entend perdurer à être une référence et un modèle dans le monde.

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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