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[Entretien] Décision terrorisme. Un équilibre entre préserver la sécurité et nos libertés (Roselyne Lefrançois)

RoselyneLefrancois(Archives B2 *) L'eurodéputée française Roselyne Lefrançois, native de Saint-Malo, adjointe au maire de Rennes et membre du parti socialiste, vient de boucler son premier rapport sur le terrorisme. Sept mois pour aboutir à une nouvelle décision européenne entrant en vigueur en 2010.

Pourquoi une nouvelle législation anti-terroriste au niveau européen ?

Nous devons nous adapter. Les conditions du terrorisme ont changé. Les terroristes profitent aujourd’hui d’internet pour échanger des informations. On assiste à de vraies formations en ligne sur le terrorisme. Et ils s’en servent comme d’une tribune pour promouvoir leur action. Nous ne pouvions pas laisser faire. Face à ces conditions, il fallait adapter la législation européenne, donc réviser la décision cadre de 2002. On s’inspire de la convention du Conseil de l’Europe. On a donc mis au point trois infractions : la provocation publique, le recrutement et l'entraînement à des fins de terrorisme, qui seront définies de la même façon dans les 27 États membres.

Quel a été le sujet essentiel de débat ?

Renforcer la sécurité sans être répressif pose toujours débat. Tout a porté sur une question de vocabulaire : la provocation publique est ainsi un mot nouveau. Personnellement, j'aurai préféré le mot « incitation » qui est un terme plus classique, dans le droit pénal. La Commission européenne voulait garder le mot « provocation ». Ils voulaient insister sur le côté sécurité.

Vous trouviez l'approche de la Commission trop sécuritaire ?

Oui. La Commission avait dans sa proposition une approche plus sécuritaire. Elle voulait trop insister sur le côté sécurité à notre goût. Nous devons rester vigilants. Il faut lutter contre le terrorisme, sans état d’âme. Mais il ne faut pas que soit au prix de nos libertés. Il n’y a pas derrière chaque citoyen un terroriste qui sommeille. Cette vision est dangereuse.

Vous réglementez aussi internet, quel est le danger ?

En réglementant ces délits sur Internet, nous ne devons pas attenter à des libertés aussi fondamentales que le droit d’association, de presse, d’expression. C'est un point sensible. Car on saisit la circulation d’information sur internet, pas l’acte en lui même. On ne peut pas faire de l’investigation sur des échanges personnels mais en même temps il faut permettre aux polices européennes de travailler. Nous devons aussi protéger une jeunesse qui échange beaucoup sur internet.

Ce n’était pas évident d’avoir une approche commune ?

Effectivement. Il y a des différences d’approche entre chaque parti. Mais aussi entre chaque pays. C'est un sujet extrêmement sensible en Espagne et au Royaume-Uni, qui étaient très attentifs à avoir une législation efficace en matière de sécurité. A l'inverse, les Finlandais, les Suédois, les Grecs, les Italiens étaient eux très sensibles à la préservation des libertés. Les nouveaux États membres étaient plus attentistes. Il a fallu donc rechercher un équilibre. C'était très intéressant, même si ce n’était pas  toujours facile. On sentait que c’est important. Une cinquantaine de députés ont pris part au débat en plénière. Ce qui est un grand signe d’intérêt. Mais finalement, il y a eu une grosse majorité : 556 voix sur 665 votants ! NB : tous les membres des grands groupes du Parlement ont voté, à une exception près. Les Travaillistes britanniques se sont abstenus (sur instruction de leur gouvernement).

Comment travaille-t-on pour rassembler une telle majorité ?

Nous avons beaucoup échangé. Depuis 7 mois, on a mis en place une table ronde pour échanger sur ces questions, notamment avec Gilles de Kerchove, le monsieur Antiterroriste de l’Union européenne, les magistrats d’Eurojust, les policiers d’Europol. Nous avons aussi associé des représentants de 22 parlements nationaux. C’est important car ce que nous adoptons n’est qu’une directive. Il faudra ensuite la transposer. Et ce seront les parlements nationaux qui ont cette responsabilité. C’est aussi l’anticipation d’une disposition très intéressante du traité de Lisbonne qui permet d’associer les parlements nationaux aux travaux du Parlement européen.

Quel est votre prochain sujet de travail ?

Je repars sur un autre rapport, sur le mandat européen de preuve. Tout ce qui est la coopération judiciaire européenne m'interpelle. C'est une réflexion que l'on doit avoir sur la conciliation entre un espace de liberté et de sécurité. C’est nécessaire d’avoir un « vivre ensemble ». Il faut réellement une harmonisation sur ces questions.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Version longue d'un article paru dans Ouest-France

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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