Présentation du drapeau de l'ETAC à Saragosse devant un A400M (© NGV / B2)
AviationCoopération militaire

[Reportage] L’Europe se dote d’une école pour former ses pilotes au transport aérien tactique

Présentation du drapeau de l'ETAC à Saragosse devant un A400M (© NGV / B2)

(B2 à Saragosse) Le Centre européen de formation aérienne tactique (ETAC) a ouvert ses portes, ce jeudi (8 juin), à Saragosse (Espagne). Cette inauguration est un « moment important » pour l'Europe, a témoigné la Haute représentante de l'Union qui a fait le déplacement avec plusieurs hauts gradés européens. C'est « la marque d'un progrès impressionnant [...] d'une Union européenne crédible dans la sécurité et la défense » (1). La cérémonie à Saragosse a permis de symboliser le transfert du programme européen de formation de la flotte aérienne de transport (EATF), mené depuis 2011 au sein de l'Agence européenne de défense (2), à une structure autonome.

L'ambition européenne est que ce centre devienne une vraie place névralgique de la construction européenne aux côtés de l'EATC – pour la gestion opérationnelle de la flotte européenne de transport aérien –, et des structures de commandement des missions et opérations – comme la MPCC dont la décision vient d'être adoptée ce même jour.

Planifier et organiser les cours

Soutenu par onze pays — dix États membres de l'UE (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Rép. Tchèque, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal) et un État non membre (Norvège) qui ont signé le mémorandum – ce centre aura pour tâche de coordonner toute la formation du transport aérien tactique. Ces onze pays vont « partager la charge de planifier, organiser et assurer les cours aériens avancés (AAC Advanced Airlift Courses), les symposiums et entraînements », dans les différentes bases aériennes du dispositif — Plovdiv (Bulgarie), Orléans (France), Pise (Italie), Beja (Portugal) et Saragosse.

Un noyau de 11 officiers

Dirigé par le colonel espagnol José Luis Romero, le premier noyau d'officiers permanents du Centre sera assuré par onze officiers espagnols, italiens, allemands et français, qui seront relayés d'ici trois ou quatre ans par du personnel des autres nations signataires. Le budget du centre sera assez simplifié de l'ordre de 150.000 euros pour les coûts communs (chaque Etat supportant les coûts des personnels détachés, et l'Espagne apportant toute la logistique de la base aérienne de Saragosse).

Un vrai centre européen à l'image du centre américain

L'ETAC assurera le commandement et le contrôle permanent de cette structure. Ce qui représente une « nette valeur ajoutée » par rapport à ce qui existait jusqu'ici, sur plusieurs plans, a tenu à expliquer à B2 le colonel Moreno, chef de l'ETAC.

NB : Si quelques pays ont un centre propre de formation (la France à Orléans, par exemple), la plupart des pays n'ont pas de centre de formation propre. Les Bulgares, les Polonais, et même les Espagnols, doivent s'en remettre aux autres, surtout pour les formations les plus ardues – comme l'est le vol tactique, point clé pour l'engagement en opération.

Economiser des forces et de l'argent

Premier avantage du centre, il va permettre d'économiser. « Save the money » est l'intérêt premier, selon le colonel Moreno. En effet, la seule alternative à la formation en Europe est d'envoyer les militaires, et les avions, aux États-Unis. Ce qui représente un véritable engagement. « A 10.000 euros l'heure de vol environ pour un C-130, en comptant 7 heures de vol par jour, durant plusieurs jours, vous pouvez avoir une idée du montant nécessaire » précise un officier. « A l'heure où chaque sou est compté, chaque heure de vol réfléchie, pouvoir faire ces formations à Saragosse, Orléans ou Plovdiv est beaucoup plus rentable. On économise les hommes, la maintenance, et ... les avions qui ne sont plus tout jeunes ».

Des officiers entièrement dédiés à la formation européenne

Le centre de Saragosse va aussi « rendre plus fluide le travail, au quotidien, va permettre également d'affiner les formations, d'être plus souples et continus dans leur organisation » complète un officier. Jusqu'à présent, chaque officier avait « un double chapeau », restait dans son cadre national. « Nous décidions de préparer ensemble les formations. Mais il fallait se réunir, décider du travail préparatoire, cela prenait du temps, de l'énergie. Désormais les officiers présents dans l'ETAC seront à Saragosse, en permanence. La mission de préparer ces formations. » La base aérienne de Saragosse, recèle aussi des avantages intrinsèques sur d'autres bases, situées en zone plus urbaine. Les militaires y ont davantage de souplesse que ce soit dans l'utilisation des créneaux aériens comme de la possibilité de faire des exercices à basse altitude (du fait de la présence de zones désertiques notamment qui limitent autant les nuisances pour les riverains).

Faciliter l'interopérabilité

Enfin, le centre va faciliter « l'interopérabilité entre les différents officiers européens, au quotidien ». L'établissement d'un syllabus commun, l'échange de bonnes pratiques au sein des formations, l'habitude de travailler avec un formateur d'un autre pays oblige à peaufiner les techniques, à surmonter les tropismes nationaux. « C'est un véritable Erasmus militaire » jure un officier. A l'heure où le C-130 est devenu la norme d'équipement de l'aviation de transport, et où l'A400M va arriver dans plusieurs flottes européennes, ce centre était devenu une nécessité.

Bientôt, un centre identique pour les hélicoptères ?

Du côté de l'Agence européenne de défense, on réfléchit activement à répliquer ce modèle de Centre européen de formation pour les hélicoptères. « Quand vous changez d'une année sur l'autre de site, vous perdez en efficacité. Avoir ce centre permet d'avoir une qualité identique » a expliqué à B2 Jorge Domecq, le directeur de l'Agence, en marge de la cérémonie. Une quinzaine de pays participent à ce programme qui a montré toute son utilité dans les déploiements opérationnels, notamment en Afghanistan.

Objectif : libérer du personnel pour d'autres tâches

Pour l'Agence européenne, cette nouvelle transmission a un intérêt supplémentaire : « passer le relais d'un programme suffisamment mûr, où les États membres sont directement intéressés, à une nation-cadre, permet de libérer une partie de nos personnels pour d'autres tâches ». L'Agence doit, en effet, notamment concentrer ses experts aériens sur différents projets, en particulier le projet de « Ciel unique » qui requiert davantage d'efforts, car les États membres ont l'intention d'en faire une activité « cœur » de l'Agence.

Un centre de formation fin 2018, au Portugal ?

Ce centre pourrait voir le jour d'après nos informations d'ici la fin 2018 et pourrait être localisé à Ovar au Portugal, si le gouvernement portugais confirme son intérêt.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Télécharger le discours de la Haute représentante de l'Union et chef de l'Agence.

(2) Le dispositif de formation de l'aviation de transport (EATF), mis au point au sein de l'Agence européenne de défense, rassemble une vingtaine de nations participantes (Autriche, Belgique*, Bulgarie*, Espagne, Finlande, France, Grèce*, Hongrie, Italie*, Lituanie*, Luxembourg*, Pays-Bas*, Pologne, Portugal, Roumanie*, Slovaquie*, Slovénie, Suède*, Rép. Tchèque*+ Norvège*). Certains pays (marqués d'une *) ont signé également un accord permettant de simplifier les autorisations de vols militaires (diplomatic clearance).

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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