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La souveraineté européenne expliquée (Le Drian)

(B2) À Prague, dans un moment symbolique, celui de la célébration des 30 ans de la révolution de Velours * qui a vu la chute du gouvernement communiste, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a développé, avec passion, ses idées pour une Europe plus autonome. Un message envoyé par-delà l'enceinte pragoise

(crédit : MAE France)

Dans un très long discours, sérieusement charpenté, le tenancier du Quai d'Orsay s'est livré à une explication de texte passionnée de ce que l'Europe devait développer à l'avenir, tant au niveau de la sécurité que du numérique. Un exercice de conviction destiné à rassurer les partenaires est-européens, un peu déboussolés par l'offensive d'Emmanuel Macron à l'OTAN ou chagrinés par la réticence française à l'élargissement aux Balkans. Un terme que le Breton bannit de son langage préférant parler de « réunification de l’Europe » et de « liberté retrouvée » plutôt que « d’élargissement, qui nous éloigne les uns des autres ».

Subir ou s'affirmer

Aujourd'hui « l’Europe est face à une alternative : subir et risquer de se voir dicter ses propres choix ; ou s’affirmer pour peser à chaque fois que nécessaire, au service de son identité et de ses principes ». La réponse est claire pour celui qui a été tour à tour ministre de la Défense et ministre des Affaires étrangères. Il faut faire « de l’Europe un acteur de son destin ». Une maitrise du destin qui passe par deux éléments essentiels : la sécurité et la souveraineté numérique. Dans ces domaines, « notre défi, c’est de bâtir une véritable souveraineté européenne ».

L'autonomie stratégique = le partage du fardeau

L'assurance tous risques ne marche plus. « Chacun comprend que le temps où l’Europe pouvait confier entièrement à d’autres le soin de sa sécurité et se reposer exclusivement sur eux, ce temps-là est révolu. ». Il présente ce que les Français appellent de leur vœu  - « l’autonomie stratégique » - comme une autre face de « la notion de partage du fardeau ». Les Européens doivent se montrer « plus proactifs et  assure[r] davantage de responsabilités ». Cela doit se passer « à l’intérieur d’une alliance refondée et rééquilibrée ».

Initier un nouveau processus de désarmement

Le premier test de cette refondation doit être une initiative sur le désarmement. Les Européens doivent « se saisir des grands sujets stratégiques, militaires, nucléaires, qui concernent directement leur sécurité. Et parmi ceux-ci, la reconstruction d’un cadre de droit et de mesures de transparence doit permettre de limiter les risques d’escalade militaire involontaire, de fixer des contraintes sur les capacités de nos adversaires potentiels et de réduire ainsi la menace ». « Une réflexion des Européens [doit être] lancée prochainement, comme contribution européenne à la réflexion stratégique de l’Alliance atlantique ».

Un risque nouveau

Le risque ne doit pas être minoré d'un conflit, par accident ou par volonté. Avec le démantèlement progressif des différents instruments de désarmement — la suppression du traité sur les forces conventionnelles en Europe, la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) et les incertitudes sur le traité New START (d'ici 2021) —, c’est « un vide dangereux qui s’instaure et fait peser sur notre continent, de nouveau, le risque du conflit » alerte le chef de la diplomatie française. « L’Europe risque de se retrouver le théâtre d’une compétition militaire et nucléaire débridée, sans foi ni loi. »

Un dialogue nécessaire avec la Russie

Pour cela, il n'y a pas multitude d'interlocuteurs. « C’est avec la Russie qu’il faut que nous reprenions langue [...] Nous ne pouvons pas ignorer la géographie. » Cela doit se faire « sans complaisance, sans naïveté » avec un seul objectif : « défendre la sécurité de tous les Européens ». Sans oublier au besoin la pression, « en jouant des rapports de force chaque fois qu’il le faudra ».

Un lien transatlantique revisité

Le ministre tient à rassurer. La France a entend « préserver » le lien transatlantique. « Nous en avons besoin, politiquement, militairement, stratégiquement ». « C'est le cas notamment dans les opérations militaires conduites par la France au Levant (Irak et Syrie) et au Sahel ». « Cela n’interdit [pourtant] pas d’en considérer les évolutions avec lucidité et d’en tirer toutes les conséquences. »

Une solidarité française réaffirmée

La France, il en prend l'engagement, « respecte les intérêts de sécurité de tous ses partenaires et alliés européens, elle les fait entièrement siens. Elle les défendra toujours comme une priorité intangible. » Un engagement politique, mais aussi de sécurité, militaire. Le chef de la diplomatie européenne en fait le serment : « Nos alliés peuvent compter sur la France, sur son engagement, sur son armée. Toujours. »

La souveraineté définie

Ce terme de souveraineté européenne, utilisé régulièrement par les Français, « n’est ni le retour du Saint-Empire, ni le retour de la doctrine Brejnev à la mode bruxelloise » souligne aussi Jean-Yves Le Drian. C’est « la possibilité pour chaque État de rester indépendant dans un monde où la rivalité des puissances se fait sentir dans tous les domaines ». Cela « ne retranche rien à nos souverainetés nationales ». Une notion très sensible dans de nombreux pays qui ont recouvré leur « liberté » après 1989. « Dans un monde dangereux, dans un monde de compétition à outrance, elle les protège ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

Télécharger le discours de J.-Y. Le Drian en FR / ENG / DEU

* Lire : (1989) Révolution douce en TchécoSlovaquie

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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