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Un accord avec l’Ukraine. Le pointillé reste de mise

(BRUXELLES2) La signature d'un accord d'association avec l'Ukraine au Sommet du Partenariat oriental à Vilnius des 28 et 29 novembre est toujours en pointillé.  « Aucune décision n'est à attendre du Conseil » affirmait avant la réunion un haut diplomate européen. Un sentiment partagé par plusieurs ministres des Etats-membres. Mais « les Etats membres doivent travailler dans un esprit de plus grande souplesse car c'est nécessaire dans cette négociation », explique ce haut diplomate. Autrement dit, il faut que chacun abandonne des positions trop idéologiques, pour interpréter de façon souple les critères édictés lors de la réunion des ministres en décembre 2012. La Haute représentante a ainsi préféré réserver la réunion du lundi aux ministres seuls, sans conseillers ni diplomates, afin de favoriser le dialogue politique.

Conformité imparfaite

Les conclusions temporaires de la mission parlementaire sur l'Ukraine, annoncées le 13 novembre par Pat Cox, ancien président du Parlement européen et  Aleksander Kwasniewski, ancien président de la République polonaise, révèlent en effet que les mesures prises par l'Ukraine ne sont pas « encore complètement conformes » aux attentes de l'UE. Le rapport définitif a été repoussé à la semaine prochaine, à la veille du sommet Partenariat oriental. Dans un communiqué les deux parlementaires évoquent la peur d'une impasse dans les négociations : « Le Conseil risque (...) d'aboutir à une impasse et un jeu de blâmes contre-productif ». 

Des ministres peu optimistes

A leur arrivée au Justus Lipsius, le bâtiment abritant la réunion des ministres, lundi, le ministre britannique chargé de l'Europe, David Lidington a été le plus dur. « Nous voulons un accord à Vilnius. Mais ce n'est pas garanti. Les réformes doivent être permanentes et irréversibles. Pas juste pour Noël. »

Même sentiment pour le ministre letton, Andris Teikmanis, il est « vital que l'Union européenne fasse comprendre à l'Ukraine que nous voulons voir une signature au Sommet de Vilnius et de plus grands progrès (...) en vue la signature de l'accord ». Le ministre suédois, Carl Bildt, considère quant à lui que « tout est dans les mains du président Yanukovich ». « Nous avons une politique, je ne suis pas sûr qu'il en ait une » ajoute t-il.

Certains souhaitent voir s'accélérer les négociations en vue de l'accord. Le ministre irlandais, Eamon Gilmore, affiche ainsi clairement sa volonté de voir «l'accord d'association avec l'Ukraine signé ». Il convient que « des progrès ont été faits dans de nombreux domaines », mais  « non sur la question de la justice sélective et le cas Timochenko ». « Beaucoup de travail doit être fait entre aujourd'hui et fin novembre » a t-il ajouté. 

Le ministre lituanien des affaires étrangères, Linas Antanas Linkevicius, est plus conciliant « Tout reste ouvert dans les négociations ». Mais « nous attendons des progrès, notamment de la part du Président Ukrainien Yanukovich ».

Une décision possible en dernière minute

Personne n'exclut donc si aucun accord n'est obtenu lors de la réunion des ministres le 18 novembre, de revenir sur le sujet y compris la veille ou le jour même du sommet de Vilnius. « On peut prévoir que toutes les législations nécessaires n’auront pas été adoptées lundi. Il y aura donc besoin de davantage de temps pour voir comment les choses vont évoluer en Ukraine » confirme un haut diplomate. Il y aurait alors plusieurs possibilités permettant de prendre une décision en dernière minute. « La décision peut être prise au niveau des ambassadeurs en Coreper par une procédure écrite ou être avalisée par une autre formation du Conseil », avance un diplomate européen. La diplomatie européenne cherche en fait à éviter l'impasse : « L'Union européenne ne souhaite pas s'aventurer dans la politique intérieure de l'Ukraine (...) Toutes les options sont ouvertes ».

Les trois conditions et les points de blocages

Le Conseil des ministres avait posé, en décembre 2012, trois conditions à la signature de l'accord d'association avec l'Ukraine (télécharger les Conclusions). 

Première condition : élections parlementaires libres et équitables

L'Ukraine doit mettre en place des réformes électorales, afin d'assurer « des élections parlementaires conformes aux normes internationales » libres et démocratiques. Il s'agit notamment de réformer le bureau du procureur, véritable copier-coller des vieilles lois soviétiques. « Un projet de loi sur la fonction publique du procureur et un projet de loi modifiant la législation sur les élections législatives ont été adoptés avec succès lors de la première lecture au Parlement vendredi 8 novembre dernier, avec le plein appui de l'opposition » assurent les deux présidents de la mission. « La deuxième et dernière lecture de ces lois doivent avoir lieu (...) lors de la session parlementaire qui commence le mardi 19 novembre 2013 ».

Deuxième condition : des "progrès dans la justice sélective"

L'Ukraine doit ainsi faire des progrès sur la question de la « justice sélective et prévenir sa réapparition ». Par exemple, une personne ayant exercé des hautes fonctions ne devrait pas être systématiquement mise en cause pour des décisions prises lors de son mandat. Au centre du débat, c'est le cas de Ioulia Timochenko qui occupe les esprits. L'ancienne Premier ministre ukrainienne, condamnée à 7 ans de prison en 2010, est directement concernée par la procédure. « Après plusieurs mois de réflexion et de discussions sur les différentes options, la mission a suggéré le pardon partiel de Ioulia Timochenko comme la manière la plus viable de résoudre le problème restant d'une justice sélective ». affirment les deux parlementaires. « Toutefois, le président Viktor Ianoukovitch a indiqué sa préférence pour une loi alternative spéciale qui permettrait un traitement à l'étranger , pour des raisons sanitaires et humanitaires, des personnes reconnues coupables, y compris Ioulia Tymoshenko. »

Ainsi, le Parlement ukrainien devait légiférer pour permettre à une personne condamnée, d'être soignée à l'étranger. Souffrant d'hernies discales, Ioulia Timoschenko, devait ainsi avoir la possibilité de partir à l'étranger. Réuni en session extraordinaire le 12 novembre, le parlement ukrainien n'a cependant pas réussi à trouver un terrain d'entente sur la question. Les deux parlementaires affirment « ces dernières semaines, un certain nombre de projets de loi sur le traitement médical à l'étranger a été enregistré à la Verkhovna Rada, mais aucun n'a gagné le soutien conjoint du gouvernement et de l'opposition ». Tout se joue ainsi sur l'appréciation du "progrès" en matière de justice.

Troisième condition : la mise en oeuvre des réformes définies dans l'agenda d'association

Cette troisième condition n'est pas considérée comme un « point de blocage », selon des diplomates et ne fait donc pas l'objet de discussions plus approfondies. Parmi les réformes qui doivent être entreprises, on retrouve notamment les questions de gouvernance, du climat des affaires (lutte contre la corruption, suppression des entraves pour l'investissement et les entreprises étrangères,...) et la coopération énergétique.

NB: Ces dernières semaines, le président Yanukovich a en effet envoyé des informations contradictoires. Selon une information révélée le 13 novembre par le  journal estonien, Eesti Päeveleht, le président ukrainien « aurait tenu plus de trois réunions secrètes avec le président Poutine ces dernières semaines ». La pression exercée par la Russie, notamment sur le gaz (Lire sur B2: La Russie présente à l’Ukraine la facture), n'y est pas étrangère. Et beaucoup redoutent un retour de veste de la part de l'Ukraine.

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