Le secrétaire d'Etat à la Défense Mike Penning en visite sur le terrain discutant avec des soldats britanniques et afghans (crédit : MOD.uk)
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Le programme de protection des auxiliaires afghans de l’armée britannique. Un échec total ?

(B2) Le sort des auxiliaires de l'armée britannique lors de leur engagement en Afghanistan dans les années 2000 n'est toujours pas réglé, s'alarme la Chambre des Communes. Son rapport particulièrement critique met clairement en cause le 'déni de réalité' des autorités afghanes et la faiblesse des solutions proposées par Londres

Intitulé « Lost in Translation? Afghan Interpreters and Other Locally Employed Civilians », ce rapport est le cinquième du genre sur le sort des interprètes afghans utilisés lors des opérations militaires en Afghanistan. Publié le 22 mai, il est particulièrement critique, en particulier sur un des deux dispositifs mis en place, pour assurer la protection des quelque 7000 « civils employés locaux » (LEC).

Soldiers of 1st Battalion The Duke of Lancaster's Regiment patrol behind members of the Afghan Uniform Police [crédit: Corporal Mike O'Neill RLC, Crown Copyright/MOD 2012]
Le contexte : deux régimes différents

Pour bien comprendre le contexte, il faut savoir que deux régimes ont été mis en place par les Britanniques pour protéger les auxiliaires qui ont servi l'armée britannique (dont la moitié était des interprètes) durant leur engagement en Afghanistan après son départ. Le premier régime (Redundancy Scheme) profite aux employés locaux qui occupaient des postes de première ligne à la date à laquelle le gouvernement britannique a annoncé le retrait des forces britanniques en Afghanistan (19 décembre 2012) et qui avaient travaillé pendant 12 mois ou plus. Mais l'option de réinstallation au Royaume-Uni a été offerte uniquement aux employés qui, en plus, ont servi sur la ligne de front à Helmand pendant au moins 12 mois. Le second régime (Intimidation Scheme) est, en théorie, ouvert à tous les employés. Il intervient en  cas de menace pour leur existence en Afghanistan (d'où le nom donné au programme). Mais l'accent a été majoritairement mis sur des solutions à l'intérieur de l'Afghanistan, que ce soit sous la forme de conseils de sécurité ou de réinstallations internes ; la réinstallation au Royaume-Uni a été traitée en dernier recours. Une erreur semblent dire les députés.

Un résultat contrasté sur les deux programmes

Pour les députés britanniques, malgré toutes les critiques dont il a été l'objet, le premier dispositif de licenciement/relocalisation (Redundancy Scheme) vers le Royaume-Uni a été plutôt « généreux et proportionné », amenant à la relocalisation d'environ 1150 auxiliaires et leur famille. C'est surtout le second dispositif (Intimidation Scheme) qui est critiqué.

Un échec total dû au gouvernement afghan

Les députés n'ont pas assez de mots durs sur ce point. « C'est un échec total » soulignent-ils. « Pas même un seul employé n'a été relocalisé au Royaume-Uni ». Un résultat qui les amène à s'interroger sur le rôle des dirigeants à Kaboul. Le gouvernement afghan, « qui a joué un rôle important dans la conception du système » rappellent-ils, « ne veut tout simplement pas admettre que le pays est trop dangereux pour garantir la sécurité des anciens interprètes et des autres employés locaux ».

Un déni de réalité persistant

L'argument de « l'absence de fuite des cerveaux », qui a dominé les travaux entre Londres et Kaboul, « est complètement hypocrite » dénoncent-ils. « S'il était authentique, il aurait également exclu le transfert réussi de centaines d'employés locaux au Royaume-Uni dans le cadre de [l'autre] régime. Aucune objection à l'idée de perdre 'les plus brillants et les meilleurs' semble avoir été soulevée à propos des délocalisations dans le cadre de ce régime. » De fait, le rapport met en cause « l'insistance du gouvernement afghan à nier la réalité locale ».

Un abandon coupable

Les députés préconisent ainsi que le gouvernement « abandonne sa politique consistant à laisser les anciens interprètes et autres membres du personnel loyalement exposés dans un pays jugé trop dangereux pour que ceux qui sont chargés d'évaluer leurs demandes puissent s'aventurer hors de leurs bases  ». Et ils demandent que le comité de certification présente des propositions pour mettre en œuvre ce programme (Intimidation Scheme) « de manière significative ». 

Des recommandations supplémentaires

Sur le premier dispositif (Redundancy Scheme), les députés ont deux recommandations : 1° « étendre ce programme aux anciens employés ayant quitté le service avant le 19 décembre 2012 » ; cette date couperet ayant été particulièrement critiquée comme discriminatoire. 2° « offrir des bourses et un soutien à la formation aux établissements d'enseignement ».

Une dette de gratitude

Pour les députés, assurer cette tâche « n'est pas seulement une question d'honneur ». « La façon dont nous nous comporterons maintenant enverra un message aux interprètes et aux autres employés locaux, dont nous aurons probablement besoin dans les futures campagnes militaires ». C'est leur fiabilité future qui est en jeu : « savoir si nous pouvons avoir confiance en eux pour les protéger contre la menace de représailles de la part de nos ennemis ». Le Royaume-Uni doit une « dette de gratitude » à ces hommes « souvent exposés à des situations extrêmement dangereuses ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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