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Javier Nart, député “par accident”, baroudeur par conviction

(B2) A 71 ans, le catalan Javier Nart, député européen depuis 2014, sur les bancs de Ciudadanos, ne sait pas s'il va se présenter pour un autre mandat en 2019. Cet ancien avocat et photographe de guerre s'investit toujours à fond, les moquettes feutrées du Parlement n'ont pas engourdi son tempérament.

© ES / B2

Au pupitre 33 de l'hémicycle du Parlement européen à Strasbourg ou à celui de la commission des Affaires étrangères, à Bruxelles, où il siège le plus souvent, Javier Nart (ALDE) fait partie des assidus. Lui qui n'a découvert, à l'en croire, que "par accident" les bancs du Parlement européen. Solidarité, unité, égalité, liberté sont les quatre mots qui définissent son engagement politique depuis 17 ans. Et coups de gueule...

L'homme de terrain

Javier Nart a été 48 années de sa vie avocat spécialiste de droit pénal. Pendant 25 ans, il est en même temps correspondant de guerre (pour Sygma et Gamma). Il part « à Noël, l'été, à Pâques ou pendant les ponts ». C'est comme cela qu'il « couvre » nombre de guerres. A commencer par le Liban. « C'était facile d'aller à Beyrouth le vendredi et d'atterrir le lundi matin à Barcelone, où je me changeais sur le parking de l'aéroport ». Il lui est arrivé souvent de partir un dossier judiciaire sous le bras. C'est comme cela qu'un jour de retour du Tchad, en rouvrant un dossier à son bureau, des grains de sable s'éparpillent... « Même pendant la guerre, je travaillais mes dossiers. »

Le tour du monde

Cambodge, Laos, Birmanie, Afghanistan, la révolution d'Iran, le Yémen, le Liban, Libye-Égypte, le Tchad, le Sahara occidental, le Mozambique, le Zimbabwe, le Nicaragua... Le globe terrestre défile. 130 pays visités.  Il les a comptés. Le « pire », ce fut le Cambodge, une plongée dans l'enfer des Khmers rouges. Mais « toutes les guerres sont assez horribles, à cause de la violence », à cause aussi de "l'après". Comme au Nicaragua, où un peuple désespéré réussit à se libérer d'une dictature, aspire à la démocratie, pour finalement être « trahi ». « La victoire s'est transformée en un monstre oligarchique où certains se sont accaparés le pays, prostituant la révolution libératrice dans une dictature sous couvert de démocratie. C'est la situation d'aujourd'hui, avec Ortega et sa femme », assène le député, virulent, intransigeant. A ces conflits, il a consacré l'un de ses livres, en 2016 : « Nunca la nada fue tanto » (Never so much was nothing).

Un travail en solitaire

Sur le terrain, il part seul, ne voulant « pas risquer la responsabilité de la vie des autres ». D'autant qu'en reportage, il suit plus volontiers les mouvements de guérillas. Ce qui « m'oblige à emprunter des routes illégales ». « Cette discrétion, le fait que je puisse les accompagner, c'est à moi qu'ils l'accordaient. »

Le besoin de terrain toujours

Les missions de députés dans les pays étrangers comptent pour Javier Nart. Il faisait partie de celle de juin 2018 en Colombie et au Brésil, pour évaluer les conséquences de la crise migratoire et humanitaire au Venezuela. S'y sent-il suffisamment libre de tout voir ? tout dire ? « En tout cas, on arrive à en savoir plus, à rencontrer des gens. » Lui essaye toujours de rester « quelques jours de plus », pour approfondir et élargir ses contacts et rencontres.

L'expérience de la guerre

Lors d'un débat d'actualité au Parlement européen sur le Nicaragua, il lance à ses collègues : « j'ai combattu avec les Sandinistes. N'appelez pas Sandinistes aujourd'hui ceux qui dirigent le pays car ils ont trahi ». Le député s'emporte face à ce qu'il appelle le « racisme idéologique », « un certain gauchisme » qui le hérisse, de ceux qui exigent des droits en Europe mais n'osent pas critiquer ceux qui les bafouent ailleurs... La faute à la solidarité d'idéologie. Il exècre. Il redoute « quand l'idéologie transforme la réalité ».

Les utopies déçues... 

Le front sandiniste était « une guerre inévitable, pour la démocratie, la dignité » défend-il. « Mais la tragédie a été que ce mouvement militarisé et discipliné, une fois la victoire, ses responsables devenus politiques se sont pliés devant l'obédience obligée »... comme trop souvent. Javier Nart s'emporte, il évoque tour à tour Cuba ou Franco, ces pays ou moments, « où il faut un guide illuminé pour instruire le peuple ». Le ton devient satyrique. La critique tragique comme à propos de l'Érythrée, où le mouvement « pourtant sans corruption, l'est devenu, corrompu, une fois au pouvoir ».

Et l'Europe dans tout ça ?

© ES / B2

« On fait ce qu'on peut », répond du tac-au-tac Javier Nart à propos du rôle de l'Union européenne pour prévenir les guerres, les dictatures, les corruptions. Comme aujourd'hui à propos du Nicaragua. « Il faut établir toutes les exigences pour obtenir un comportement correct du régime d'Ortega », commence-t-il à préciser. Puis s'arrête. Croit-il que cela suffit ? Le silence envahit son bureau du Parlement quelques secondes.

Trop de théorie, plus d'empathie

Le député aimerait que les politiques soient plus souvent en situation de vivre ce que vivent les personnes dont ils parlent, pour lesquelles ils prennent des décisions. C'est comme cela qu'il lâche ces mots, sur un sujet récurrent d'actualité, les migrations. « Les images que je vois à la télévision, ce ne sont pas celles que j'ai vécu dans le Sahara, les corps séchés, abandonnés. Ici, au Parlement, on a trop de théorie. » Et de citer aussi les Palestiniens. « Si les politiciens pouvaient vivre trois ans comme vivent les Palestiniens et après revenir au Parlement, je suis certain qu'ils auraient compris beaucoup de choses sur l'occupation, l'humiliation, le manque d'espoir. »

« Desearía que los políticos olieran diez minutos de guerra para aborrecerla y respetarla » (Il faudrait que les politiciens ressentent dix minutes de guerre, pour ainsi la haïr et la respecter)

Inquiet de l'avenir social de l'Europe

L'avenir de l'Europe l'inquiète, « car où est notre réponse ? », fait-il mine d'interroger.  Il a « diagnostiqué la maladie », « mais ne trouve pas de médecin ». « Je suis préoccupé par ce processus d'introspection dans des situations tragiques avec des partis politiques qui regardent le monde comme en 1990... Or, le plus important aujourd'hui, ce n'est pas la production, mais le contrôle de la commercialisation ». Il cite 'Amazon'. « Le plus important c'est d'avoir le réseau, c'est une économie presque métaphysique. Et les syndicats, ils sont à bicyclette contre des Formule 1. »

L'unité plus que nécessaire

L'échéance électorale de 2019 ne le rassure pas, persuadé que « le prochain Parlement aura un groupe populiste important si on ne propose pas de réponse ». Le risque qu'il entrevoit, c'est une Europe réduite à « une destination touristique et gastronomique », mais « politiquement et stratégiquement... ». Les points de suspension pèsent lourd dans l'atmosphère du bureau du député. Javier Nart « compte sur l'Allemagne, la France, le Benelux, l'Espagne pour se lancer vers une vraie coordination stratégique affaires étrangères et fiscale de l'UE ».

Dieu merci, nous avons Trump !

Quant à une « vraie politique extérieure », « Dieu merci nous avons Trump ! » lâche-t-il, attribuant au président américain le rôle « d'alarme ». « Il nous a réveillé. Je le remercie de sa brutalité, de ses déclarations qui ne laissent pas de doutes sur la réponse à donner. » C'est peut être d'ailleurs ce qui le motiverait à se représenter.

(Emmanuelle Stroesser)

Entretien réalisé en face à face à Strasbourg

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