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Réinventer les troikas, une manière intelligente pour permettre au Haut représentant de se réinventer - les ministres portugais (A. Santos Silva) luxembourgeois (J. Asselborn) et espagnol (J. Borrell) au dernier Conseil des Affaires étrangères, juin 2019 (Crédit : Conseil de l'UE)
'OuvertSEAE - Haut représentant

Repositionner le poste de Haut représentant dans une fonction plus stratégique

(B2) L'arrivée de Josep Borrell, un homme expérimenté qui n'est plus de prime jeunesse, pourrait être une occasion pour repositionner le poste de Haut représentant dans un rôle qui soit davantage stratégique que tactique (comme diraient les militaires). Et ce n'est peut-être pas plus mal

Retrouver la voie des troïkas, une manière intelligente pour permettre au Haut représentant de se réinventer - les ministres portugais (A. Santos Silva), luxembourgeois (J. Asselborn) et espagnol (J. Borrell) au dernier Conseil des Affaires étrangères, juin 2019 (Crédit : Conseil de l'UE)

Un enjeu : comment démultiplier l'action du Haut représentant face à un 'job impossible'

L'idée du Traité de Lisbonne d'avoir une voix unique et plus efficace pour la politique extérieure européenne n'a pas vraiment abouti avec le nouveau rôle dévolu au Haut représentant devenu en même temps vice-président de la Commission européenne. Entre un super diplomate qui court le monde, la présence scrupuleuse à la Commission européenne, la présidence des ministérielles (Affaires étrangères, Défense, Développement), sans oublier la présidence de l'Agence européenne de défense, etc. la fonction a de multiples visages et la charge est énorme. Cet inconvénient peut aussi être un avantage : toutes les interprétations de la nouvelle fonction sont possibles. Rien n'interdit au Haut représentant futur d'avoir une vision plus stratégique, en démultipliant son action à travers de multiples canaux. Il pourrait se concentrer sur les dossiers les plus emblématiques, et intervenir de façon ponctuelle, sur des dossiers thématiques si nécessité fait loi ou en cas de présence plus symbolique nécessaire.

Une présence plus visible au Conseil européen

Le rôle de membre du Conseil européen peut être développé pour faire remonter aux Chefs d'État et de gouvernement de façon plus régulière des dossiers internationaux. Le point 'affaires étrangères' devrait être systématiquement (re)mis à l'ordre du jour du Conseil européen, avec rapport du Haut représentant et débat sur un sujet d'importance. Rien n'interdirait non plus de convoquer, en parallèle des sommets européens, des réunions des ministres des Affaires étrangères (ou des ambassadeurs du COPS) pour préparer le débat des chefs, prendre des décisions dans la foulée ou adopter des conclusions particulières. Cela éviterait le ballet d'un Conseil européen qui renvoie au Conseil des Affaires étrangères ultérieurement ou, pire, d'un Conseil européen qui, faute de temps, ne discute pas des principaux points de politique internationale. Ce qui semble devenu, malheureusement, la norme (lire : Face à la situation dans le Golfe, l’Europe atteinte de céphalée stratégique). Les Chefs donneraient leurs orientations et les ministres retrouveraient ainsi un rôle et une utilité qu'ils ont perdus depuis leur 'élimination' des Conseils européens. L'Union pourrait ainsi récupérer ce qu'elle a perdu au fil des années : sa sensibilité diplomatique au plus haut niveau.

La coordination des ministres et diplomaties nationales

Plutôt que de courir le monde, le Haut représentant ne devrait-il pas courir l'Europe, discuter davantage avec ses homologues (ministres) des diplomaties nationales, comprendre leurs intérêts, mais aussi satisfaire leurs ambitions. L'unité européenne a un prix : devoir s'investir davantage, un peu comme l'a fait avec succès Michel Barnier. Le couac entre l'actuelle Haute représentante et la France sur la conférence sur le Proche-Orient reste dans toutes les mémoires, tout comme les différences d'appréciation (le mot est faible) entre Paris et Rome sur le dossier libyen qui n'ont réussi qu'à atteindre un objectif : affaiblir la position européenne dans la zone.

Des plénipotentiaires de haut vol

Rien n'empêche un Haut représentant de se doter d'assistants, comme le secrétaire d'État US, en puisant pour cela, soit dans les commissaires déjà en poste (cf. ci-dessous), soit dans d'autres personnalités pour certains dossiers thématiques (Défense, Aide humanitaire, Afrique). Il pourrait également confier certaines négociations à des plénipotentiaires de haut vol, d'anciens ministres des Affaires étrangères ou responsables internationaux, pour démultiplier son action. Un retour au principe de base des représentants spéciaux — comme l'avaient été Carl Bildt et Lord Ashdown en Bosnie-Herzégovine ou Miguel Ángel Moratinos sur le processus de paix au Moyen-Orient — qui faciliterait le rôle de la diplomatie européenne.

Déléguer certaines tâches aux autres commissaires

La Commission Juncker a déjà mis en place une coordination plus étroite en créant un groupe des commissaires en charge des questions extérieures sous la houlette de Federica Mogherini. Ce rôle peut être développé et renforcé, dans deux directions. Premièrement, en donnant au vice-président de la Commission / Haut représentant une autorité plus directe sur certaines DG (directions générales). Ce qui lui permettrait, au besoin, de pouvoir disposer de ressources financières supplémentaires ou de moyens humains, et d'éviter les doublons (un problème administratif qui devient une question politique). Deuxièmement, en déléguant clairement aux commissaires certaines tâches et certaines zones géographiques. Il serait ainsi logique que le commissaire chargé de l'Élargissement ait la main entière sur tout le dispositif : de la négociation de l'accord Belgrade-Pristina aux chapitres d'élargissement. L'intervention concurrente du Haut représentant sur ces dossiers n'est peut-être pas toujours source d'efficacité pour la politique européenne.

Des ambassadeurs partout dans le monde

Le Haut représentant dispose d'un réseau d'ambassades exceptionnel. 142 délégations de l'Union européenne fonctionnent de part le monde (avec les deux dernières ouvertures : au Koweit et au Turkménistan). Cela donne au Haut représentant au sein de l'appareil européen, et même au niveau mondial, un avantage compétitif. Au travers des télégrammes diplomatiques qui remontent, il peut influer réellement la politique européenne. Pour cela, des instructions doivent partir, plus réactives, plus précises (ce qui ne semble pas le cas actuellement). Rien n'interdit non plus de nommer à ces postes (ce qui a déjà été le cas dans le passé) des personnalités, des diplomates, des ministres, voire des écrivains (comme le fait la France de temps à autre) pour donner un peu de 'chair' à ces postes.

Des duos ou troïkas de ministres à l'œuvre

Tout l'autorise à confier à des duos ou trios de pays la conduite en son nom de négociations, comme le couple franco-allemand s'est imposé de fait sur le processus de Minsk. On ne tire pas profit aujourd'hui des différentes positions des États membres qui sont un avantage et non un inconvénient. On pourrait imaginer ainsi un duo hispano-suédois pour le Venezuela (1), une troïka maltaise-hongroise-italienne sur la Libye (2), une combinaison germano-tchèque sur la Syrie (3), etc. Pourquoi pas ? Cela permettrait à la fois aux États de s'impliquer davantage dans la diplomatie européenne, de pousser au maximum leurs contacts divers, d'exprimer la diversité de points de vues. Ces pays en tireraient profit au niveau national. L'Europe en bénéficierait en retour en renforçant le consensus.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Un portfolio élargi à la marge

A l'issue du Conseil européen, le 2 juillet, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez l'a assuré : le rôle dévolu à son ministre des Affaires étrangères Josep Borrell serait renforcé, et son périmètre élargi, englobant l'aide humanitaire, l'Afrique et le développement (mais pas le Commerce qu'il souhaitait apparemment voir rattaché à son périmètre, ni l'Élargissement). Précisons que la Haute représentante préside déjà les Conseils Développement, intervient régulièrement sur les dossiers développement ou aide humanitaire et coordonne l'action des commissaires dans ces domaines. Il faudra examiner dans la future Commission, ce que cela recouvre : s'agit-il juste d'un mot politique devant un public national pour glorifier un poste ou va-t-on plus loin avec un vrai champ de compétence élargi ? Deux éléments permettront concrètement de le savoir : la composition exacte de la future Commission européenne (les personnalités des commissaires choisis comme l'intitulé de leurs portefeuilles) et surtout la lettre de mission que recevra le nouveau vice-président de la Commission européenne. En attendant, toutes les interprétations sont possibles.

(NGV avec LH)


  1. L'Espagne de par sa position historique, la Suède car c'est un des pays les plus impliqués dans le nord de l'Europe avec la Norvège.
  2. Malte et l'Italie car ce sont les pays les plus proches et les plus connaisseurs de la Libye, la Hongrie car elle est un des seuls pays à avoir entretenu (au nom de l'UE) un ambassadeur tout au long du conflit de 2011, quand toutes les ambassades s'étaient retirées.
  3. La République tchèque a maintenu tout au long du conflit son ambassade et des liens, même distants, avec le régime Assad.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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