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[Entretien] Grâce à l’Alliance, nous avons un petit peu plus de puissance que si nous étions seuls (Radmila Šekerinska, Macédoine du Nord)

(B2) La Macédoine du Nord se veut un élève modèle de l'Alliance. Dans le top des pays contributeurs en troupes (en ratio de population), en Afghanistan surtout, Skopje entend tourner la page définitivement des conflits et crises des années 1990 et 2000, comme se protéger de toute ingérence, notamment de la Russie. La dernière ratification pour intégrer à l’Alliance (l'Espagne) est attendue avec impatience. Radmila Šekerinska, sa ministre de la Défense, compte les jours

Radmila Šekerinska en septembre 2017 au siège de l'Alliance (crédit: OTAN)

Où en est votre procédure d’intégration à l’OTAN. Le long chemin se termine ?

Cela nous a demandé en effet beaucoup de temps et de patience. La Macédoine du Nord a commencé son chemin vers l’OTAN il y a bien des années. En 1993, il y a eu un quasi-consensus de notre parlement pour faire une demande d’adhésion. Il y a eu beaucoup de soubresauts. Finalement, au sommet de Bruxelles [en juillet 2018], nous avons obtenu une invitation. Nous avons bouclé très rapidement nos discussions d’adhésion. 28 des 29 pays membres ont déjà ratifié le protocole d'adhésion. De notre côté, nous avons ratifié le Traité de Washington le 11 février. Nous attendons juste que le Parlement espagnol le ratifie. Techniquement, il reste donc une dernière étape supplémentaire entre nous et notre objectif. C’est une affaire de jours maintenant.

Vous étiez présente, pourtant, à la table des ministres de la Défense les 12 et 13 février  ?

Depuis le moment où notre pays a été invité à rejoindre l’OTAN, nous avons eu la possibilité de participer à presque toutes les rencontres de l’Alliance. J’y étais 'comme si' nous étions un membre à part entière. La seule différence, c’est qu’au lieu d’être assise entre les Pays-Bas et la Norvège, ce qui sera le cas ensuite [dans l'ordre alphabétique en anglais], j’étais à la fin de la table entre les États-Unis et le secrétaire général adjoint. Avant cela, nous avons participé aux réunions de Resolute Support.

Vous venez d’un 'petit' pays. Comment arrivez-vous à trouver de l’espace pour vous exprimer entre des puissances plus importantes ?

Je suis une réaliste. Je sais que la règle des trois minutes dont bénéficie chaque pays dans la réunion ne représente pas l’égalité en termes d’importance. Mais je crois que c’est toute la pertinence de cette Alliance : vous avez un siège à la table. Malgré des différences colossales en termes de budget de défense, de taille de nos armées, de taille de nos pays ou de nos économies, nous avons la parole. Pendant de nombreuses années, nous avons été dans le top des pays contributeurs en troupes aux missions de l’OTAN, si l’on rapporte à la taille de la population. Dans le passé, la Macédoine du Nord a été souvent mise à la table de l’OTAN comme un problème, pendant la crise d’ex-Yougoslavie, puis pendant notre crise interne. Je crois que c’est un indicateur clair de notre avancée. D’un pays dont on débat, nous sommes devenus un pays avec lequel on co-décide. Grâce à l’Alliance, nous avons aujourd’hui un petit peu plus de puissance que si nous étions seuls.

Vous venez parler de l'Afghanistan. Que faites-vous concrètement ?

Nous sommes aux côtés des Alliés en Afghanistan depuis 18 ans. Près de la moitié de nos soldats ont participé à cette mission. Ce qui montre la cohérence de notre volonté de rejoindre l’OTAN. Nos 47 officiers et soldats sont aujourd'hui intégrés dans les contingents américain, allemand et turc. Certains, la majorité, font de la 'force protection'. D'autres officiers participent aux missions de formation, parce que nous avons de l’expérience en matière de conflits internes. Dans toutes les rotations précédentes, nous avons veillé à envoyer des femmes, qui sont précieuses dans certains contextes auprès des communautés. Nous pensons que lorsque l’OTAN s’engage dans une crise, il faut trouver des solutions, ou aider les locaux à trouver des solutions, avant de se désengager. C’est pour cela que nous avons plaidé en faveur d’un processus de paix et de négociation, mais avec un engagement ferme pour dire que les troupes resteront tant qu’elles sont requises. C’est l’engagement pris par tous les membres : adapter la mission ensemble et ne partir qu’ensemble.

La Russie reste l’une des grandes préoccupations de l'Alliance. À l'approche de l'adhésion, vous avez pu le tester vous-même. Des pressions russes ont été exercées sur votre pays ?

Pour parler honnêtement, la Russie n’a jamais été très présente dans notre développement économique ou politique. La situation a changé il y a quelques années, lorsque nous avons entendu pour la première fois des déclarations très fortes de la part des autorités politiques russes.

... et vous avez maintenu votre choix ?

Oui. Nous n’avons jamais vu cette candidature comme une expression d’hostilité à l’égard d’aucun pays, Russie comprise. Les choix stratégiques doivent être faits par le pays lui-même, et par ses citoyens. Nos citoyens ont fait ce choix il y a longtemps. Nous essayons de faire passer ce message. Nous avons montré une résilience interne, y compris lorsqu’il y avait des tensions politiques en interne, visant à nuire à nos discussions avec la Grèce. Nous avons survécu et nous sommes allés de l’avant.

Comment voyez-vous les relations avec la Russie dans l'avenir ?

Les Balkans ont, plusieurs fois, été une ligne de front. Nous aspirons à une meilleure relation entre l’OTAN et la Russie. Nous croyons que l’unité de l’Alliance est de la plus grande importance. Le dialogue est important. Mais c’est la force de l’Alliance qui sera la principale dissuasion de toute escalade.

(Propos recueillis par Romain Mielcarek)

Entretien réalisé le 13 février 2020 en face-à-face en anglais dans les locaux de l'Alliance

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