Europe Turquie

[Entretien] Relations avec la Turquie. Le moment du reset approche (Margaritis Schinas)

(B2 - exclusif) Comment ne pas interroger le vice-président de la Commission européenne, le Grec Margaritis Schinas, sur l'avenir des relations de l'Europe avec la Turquie... Sa réponse à la veille d'un Conseil européen primordial

Margaritis Schinas dans son bureau du Berlaymont (© NGV / B2)

Margaritis Schinas est vice-président de la Commission européenne, chargé de la promotion du mode de vie européen. Il a notamment en charge les dossiers migration et terrorisme (Lire sur ce sujet : Face au terrorisme, il faut défendre le corpus de la maison européenne)

Les relations avec la Turquie deviennent très compliquées ?

— Le moment approche, en effet, où l'Europe doit reconsidérer un peu toutes ses relations avec la Turquie. Tant l'agenda négatif que l'agenda positif. Ce qu'ils font mal et ce qu'ils peuvent faire bien. Sur le premier point, la liste est longue. En mer Égée, au Kurdistan, dans le Caucase, en Libye, les Turcs ne sont pas dans la partie qui résout les problèmes pour l'Europe. Ils sont plutôt dans la partie qui cause des problèmes à l'Europe. C'est un fait. En revanche, sur l'immigration, jusqu'à présent, la Turquie a tenu ses engagements, sauf à Evros [en février] (1). Avec notre argent, certes, mais correctement. Sur la sécurité, ils connaissent bien ce sujet. Et nous avons un intérêt réciproque. Il faut donc tout revoir dans sa globalité. Mais nous nous approchons du moment du 'reset' [NDLR. remise à zéro en terme informatique].

Les Turcs n'ont donc pas saisi la main tendue ?

— Au contraire. Ils donnent en quelque sorte raison à Jean-Claude Juncker [précédent président de la Commission européenne] qui disait : ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'éloigner de l'Europe. Comme s'ils demanderaient à l'Europe de leur fermer la porte. Ils ont réussi à vexer tout le monde : Israël, le monde arabe, la Grèce, Chypre, la France... Ils sont dans l'OTAN, mais que font-ils pour l'Alliance ? Ils achètent des S400 [russes] et travaillent partout avec la Russie !

Vous parlez de 'reset', la Turquie est-elle déjà perdue pour l'Europe ?

— Je préfère un peu attendre avant de donner un avis définitif. Le 'reset' ne s'est pas encore produit. Et je ne suis pas sûr de ce qu'il comportera. Tout d'abord, car nous sommes au début du processus avec le Conseil européen [jeudi et vendredi]. Ensuite, car on ne peut vraiment faire ce 'reset' sans l'implication de la nouvelle administration américaine [Biden]. Les principaux acteurs extérieurs et de la sécurité nationale de cette administration connaissent bien mieux la Turquie, sont plus honnêtes qu'un Donald Trump qui ne savait que flatter les Turcs.

Mais ne va-t-on pas au devant de difficultés ? Nous avons beaucoup de relations avec la Turquie...

— C'est vrai. Nous avons l'Union douanière, des échanges de 150 milliards de marchandises, un commerce, la coopération migratoire... Beaucoup de choses nous lient. Mais si la Turquie s'aligne géopolitiquement contre l'Europe, insulte le président français [Emmanuel Macron] en disant il est fou ou psychopathe, qualifie la classe politique allemande de hitlériens, dit aux Grecs 'on va vous bouffer' et continue de faire des forages dans les eaux chypriotes ou grecques... Tout ça, à un moment donné, aura des conséquences.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Lire : Evros, porte de l’Europe. La Turquie tire les ficelles aux frontières extérieures de l’UE

Entretien réalisé mardi (8.12) en français, en face à face

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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