[Entretien] Lanceurs, Cloud, Observation de l’espace. Nous devons préserver l’autonomie stratégique européenne (André Hubert Roussel, Arianespace)
(B2) Pour le PDG d'Ariane Espace, l'Europe doit délibérément se positionner dans l'espace de façon ambitieuse et souveraine. Elle ne peut laisser à d'autres pays le soin d'être présent dans un domaine où elle a des atouts
Une autonomie stratégique
« Le concept d '«autonomie stratégique» n'est plus un tabou. Le rôle de l'espace est indispensable à l'économie de l'UE et en tant qu'infrastructure vitale que ce soit pour la fourniture de services publics ou pour soutenir une reprise verte et numérique; en particulier via Galileo et Copernic. »
Un soutien public à l'industrie
« Il est crucial que les agences spatiales, et les pouvoirs publics en général, soutiennent l'industrie spatiale, pour se connecter davantage aux entreprises numériques et aux télécommunications. L'étude de faisabilité lancée par la Commission et attribuée il y a quelques jours à un consortium composé d'acteurs spatiaux et numériques est définitivement un pas dans la bonne direction. »
Être plus réactif aux sauts technologiques
« L'Europe est connue pour faire plus avec moins, mais il est plus que temps de renforcer notre réactivité. Il faut environ six ans aux États membres européens et à l'UE pour investir autant dans l'espace - de manière non harmonisée - qu'il en faut aux États-Unis en un an. »
Mieux coordonner nos ressources
« Cela nécessite de mettre en œuvre une politique industrielle claire et ambitieuse pour l'espace, afin d'utiliser à bon escient nos maigres ressources. Nous avons également besoin d'une meilleure synchronisation entre les acteurs afin que les ressources soient capitalisées et non dupliquées ou gaspillées. »
Numérique et spatiale, deux enjeux de souveraineté
« La crise (du Covid-19) montré et exacerbé notre dépendance à l'égard d'infrastructures et de services de connectivité omniprésents, fiables et sécurisés; une situation où l'espace pourrait et devrait également apporter des solutions. Que ce soit avec Copernicus ou avec l'initiative de la Commission de lancer un système souverain de connectivité spatiale, de plus en plus de projets spatiaux sont étroitement liés au monde numérique. »
La connectivité sécurisée : attention à la concurrence américaine
« Une future connectivité sécurisée serait non seulement en mesure de fournir des services de communication sécurisés et une connectivité à large bande, mais elle fournira également un élément de base obligatoire pour un cloud numérique européen. Le récent partenariat entre Space X et Microsoft Azure ne peut pas nous laisser perplexe: l'Europe doit agir maintenant pour assurer sa souveraineté numérique. »
Idem pour la politique de lanceurs
« Il ne peut y avoir de politique spatiale crédible sans un accès autonome à l’espace. Les lanceurs européens sont aujourd'hui confrontés à deux menaces importantes : le creusement des conditions de concurrence équitables vis-à-vis de l'industrie spatiale américaine dont vous êtes tous conscients, mais aussi le manque d'unité au niveau européen. Cela nécessite un partenariat renouvelé entre les acteurs publics, mais aussi entre les secteurs public et privé, afin de renforcer la demande institutionnelle européenne, mais aussi d'améliorer la compétitivité. »
La surveillance spatiale : obligatoire
« Une capacité de connaissance de la situation spatiale est obligatoire pour l'Europe afin de protéger les infrastructures spatiales européennes contre les menaces actuelles et futures. Plus généralement, l'UE devrait saisir l'occasion d'être à l'avant-garde des discussions sur le thème de la gestion du trafic spatial. En étant proactive, l'Union européenne permettra au secteur spatial européen d'utiliser à son avantage les règles et procédures convenues. Par exemple, les réformes entreprises par l'administration américaine pourraient avoir un impact très significatif sur la capacité de l'Europe à accéder librement et à opérer dans l'espace ainsi que sur la compétitivité de l'industrie. »
(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)