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[Portrait] Željana Zovko, une vie de politique étrangère au service de la paix

(B2) C'est une femme qui n'a pas sa langue dans la poche. Croate de Bosnie, Željana Zovko a porté la diplomatie bosnienne durant des années, avant de rejoindre le Parlement européen.

Z. Zovko au Parlement (Photo : PE)

De Mostar à Paris, en passant par Londres

Originaire de Mostar, dans le sud de l'actuelle Bosnie-Herzégovine, Željana Zovko a connu la guerre de Yougoslavie, qu'elle quitte pour « se réfugier à Londres ». C'est là qu'elle finit ses études et... apprend le français. Elle le parle, presque, parfaitement. Avant d'arriver au Parlement européen en 2016 sous les couleurs de l'Union démocratique croate (HDZ), au sein du PPE, elle a été ambassadrice de Bosnie-Herzégovine en France au début des années 2000, avant de servir en Espagne et en Italie. « La politique étrangère a influencé toute ma vie » confie-t-elle tout en sourire. « J'ai vu que la politique étrangère jouait un grand rôle sur la vie des gens, sur la paix. Alors, j'ai voulu prendre ma responsabilité parce que j’ai vu que je pouvais. »

Un mal-être balkanique ?

Elle regrette largement le manque d'intérêt pour la région. Certains ne prennent pas autant à coeur leur rôle en politique, se désole-t-elle. En particulier, dans ses Balkans d'origine.

Les politiques des Balkans obsédés par l'argent et leur survie politique

Dans les Balkans, les politiques sont « enfermés sur eux-mêmes et ne pensent qu’aux prochaines élections », notamment quand il s'agit d'utiliser les fonds européens. Pour être mesurés, ses propos n'en sont pas moins durs. « L'argent doit être utilisé pour les jeunes, pour leur donner envie de rester. Mais ce n'est pas le cas, et c'est hypocrite de la part des gens qui utilisent cet argent pour réaliser leurs propres projets, pour continuer à survivre à la tête des politiques... et des problèmes. »

La tendance centralisatrice à Sarajevo n'est pas bonne

Le pays est aujourd'hui emprisonné dans de graves difficultés politiques, mettant en jeu sa stabilité. Dernièrement, le président serbe du pays (1) a déclaré que les Serbes devraient se retirer des institutions étatiques. C'est une réaction au « centralisme qui augmente à Sarajevo, et mène à un séparatisme de la Republika Srpska, et où un peuple comme les Croates, qui faisait le pont [entre Serbes et Bosniaques] et donnait la perspective européenne, disparait ». « Les Bosniaques ont provoqué une crise. La réaction des Serbes a attiré l’attention de l’Union européenne et des États-Unis. Je trouve ça bien. La pire chose serait le statu quo ».

Une Bosnie-Herzégovine en recherche d'elle-même

Si Željana Zovko se permet de juger, c'est qu'elle connait la politique dans les Balkans. En particulier, en Bosnie-Herzégovine. L'eurodéputée fut membre du bureau du membre croate de la présidence Ante Jelavić (1999-2001) puis cheffe de bureau du membre croate Dragan Čović. Avant de devenir conseillère en politique étrangère auprès du président du Conseil des ministres (2012-2015).

En Bosnie il faut agir avec subtilité

L'Union doit réagir. Mais pas n'importe comment, prévient la députée ! La Bosnie-Herzégovine est un pays « fragile, où il faut réagir avec subtilité ». L'eurodéputée est « pour une approche sans préférence. Car si on choisit un préféré, quelqu'un va se sentir lésé ». « Dans les Balkans, il faut que tout le monde se sente un peu perdant ! », ironise-t-elle, pointant du doigt un aspect de la psychologie balkanique. Avant tout, il faudra « réfléchir à ce que l'on a fait mal ces dernières années pour que le pays soit plus faible, plutôt que plus fort ? ».

Comment l'Europe doit appréhender les Balkans

Apprendre des leçons de l'histoire, retrouver l'esprit du pays-pont

La Bosnie-Herzégovine « était le pays-pont dans la région [du temps de la Yougoslavie]. Les Serbes, Croates et Bosniaques s’entendaient bien là-bas... » Il faut prendre exemple sur les success stories au sein de l'Union européenne, où plusieurs communautés parviennent à vivre ensemble, telles que le Sud Tirol ou la Belgique, met-elle en avant, renvoyant à la résolution adoptée par le Parlement européen. Et, au final, « il faut que la décision soit européenne. Pas qu'elle vienne hors du continent », prévient-elle, avec presque dans la voix une once de mystère.

Un manque de vision sur l'élargissement

Sous un grand poster représentant la ville de Split, en Croatie, où elle vit maintenant — quand elle n'est pas à Bruxelles ou en mission aux quatre coins du monde —, la discussion s'engage naturellement tout de suite sur la relation entre les Balkans et l'Union européenne. Cette relation doit évoluer sous l'angle de l'élargissement. Elle est très ferme sur ce point. Mais les choses n'avancent que trop lentement. Elle regrette le manque d'engagement politique actuel. « Il n’y a plus une vraie volonté des autorités de l'Union européenne de prendre le lead ». « À cause du manque de vision, on voit que dans les Balkans, si on laisse la place vide, on laisse la place aux autres. La Chine, la Turquie, la Russie, prennent peu à peu la place des absents. »

Investir dans la jeunesse

Que faire alors dans les Balkans pour les emmener vers une perspective européenne ? Le plus important c’est « l'investissement dans le peuple ». Parce que « le pire est que les jeunes quittent les Balkans. Les fonds pour l'accession doivent leur donner une raison de rester. On construit des routes pour exporter la marchandise, mais pas pour la vie là-bas. » Conditionner les fonds européens à un respect de certaines valeurs et réformes est une mauvaise idée selon elle : « Comme vous ne pouvez pas recevoir de fonds européens si vous ne remplissez pas les conditions, alors ce serait ouvrir la porte aux investissements chinois, arabes, et autres. Cela se passe déjà en Afrique, en Amérique latine ».

La vie européenne

Si elle pouvait changer quelque chose au Parlement européen...

Rendre plus visible le travail européen

Elle ferait en sorte qu'il soit « plus impliqué dans la vie quotidienne des gens ». « Ce que nous faisons ici n'est pas visible sur le terrain. Pourtant, les décisions que nous prenons ont un grand impact sur la vie quotidienne des gens, mais ils n'en sont pas conscients ». Le manque de communication signifie aussi de « laisser la place aux gens qui communiquent de mauvaises informations» . Cela l’inquiète vraiment « la désinformation ».

Notre responsabilité d'Européens

Elle parcourt le monde. Après avoir été cheffe de la mission électorale dépêchée au Honduras, elle est partie aux États-Unis à l'ONU puis au Canada. De ces missions, elle tire une conclusion : ailleurs dans le monde, « on voit l'Union européenne comme une Union des valeurs, de l'espoir ». Ce « n'est pas une Union des des marchandises, mais bien des valeurs, de paix. » De manière générale, pourtant « nous ne sommes pas conscients de notre responsabilité de députés européens », regrette-elle. Elle dit porter « une grande responsabilité », chaque jour quand elle travaille au Parlement. « Et j’espère que le le fais bien » interroge-t-elle.

(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)

Entretien réalisé mercredi 10 novembre, en français, à Bruxelles

  1. le pays est dirigé par une présidence tripartite, serbe, croate et bosniaque

Voir la page web de Željana Zovko sur le site du Parlement européen, et suivre son fil twitter

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