[Entretien] EUBAM Moldova-Ukraine. Face à la Transnistrie, il reste de la place pour l’amélioration (Sławomir Pichor)
(B2 à Chișinău - exclusif) Face à cette bande de terre, reconnue par aucun pays de l'ONU, sont présents des douaniers européens. Depuis 16 ans déjà. Quel est leur rôle ? Comment travaillent-ils au sein de EUBAM Moldova-Ukraine ? De quelle façon, la guerre toute proche impacte-t-elle la réorientation de la mission. Son chef, Sławomir Pichor, répond à B2.
- Issu des douanes polonaises, avec le grade de général, S. Pichor est depuis longtemps dans la région d'abord comme adjoint puis, depuis 2014, comme chef de mission (lire : Un nouveau chef nommé à EUBAM Moldova-Ukraine. Enfin! + Aux frontières de la Moldavie et de l’Ukraine : « il y a encore du travail »)
- EUBAM Moldova-Ukraine n'est pas strictement une mission menée au titre de la politique de la sécurité et de défense commune (PSDC), même si elle en a tous les atours, mais une mission financée par la Commission européenne (DG Near).
La Moldavie est candidate pour rejoindre l’Union européenne. Selon vous, comment la gestion des frontières par la Moldavie se situe-t-elle par rapport aux normes et standards de l’Union européenne ?
— La Moldavie a obtenu le droit au régime sans visa. C’est à dire que les Moldaves peuvent se rendre dans l’Union européenne sans visa. C’est une preuve de l’augmentation spectaculaire de la capacité de respecter les normes européennes. Mais il y a différents niveaux de conformité aux normes européennes. Pour entrer dans l’Union européenne, vous devez vous conformer à toutes les normes. Et strictement.
Où en est la douane moldave. Sont-ils à niveau ?
— Techniquement, les Moldaves progressent beaucoup et leur façon de penser et de fonctionner est assez similaire à celle de l'Union européenne. Ils ont fait de grands progrès et un bon travail pour avancer vers les normes européennes dans de nombreux domaines.
La présence d’une région non contrôlée par les autorités moldaves sur leur territoire, la Transnistrie, complique les choses cependant ?
— En effet. Car ce territoire n’est pas contrôlé par les autorités de Chisinau. Les Moldaves ont pris certaines mesures pour avoir une meilleure idée des flux migratoires qui passent en Transnistrie. Un accord signé avec les gardes-frontières ukrainiens, devrait fonctionner très bientôt. Il permettra que toutes les données enregistrées par les Ukrainiens de leur côté de la frontière avec la Transnistrie soient reçues à Chisinau. Des patrouilles et contrôles de frontières communs ont aussi été créés. Des bureaux du BMA (Bureau for migration and asylum), le long de la ligne administrative. Malgré ces mesures, il reste de la place pour l’amélioration.
Et en ce qui concerne le fret des marchandises ?
— Rien ne quitte la Transnistrie vers la Moldavie ou l’Ukraine sans contrôle. Côté moldave, les opérateurs économiques s’enregistrent auprès des autorités moldaves. S'ils souhaitent exporter des marchandises, ils doivent les dédouaner auprès des services douaniers moldaves, à Chisinau, la capitale. Parce qu'ils n’auront été contrôlés que du côté ukrainien jusque-là.
Êtes-vous toujours présents sur la ligne administrative avec la Transnistrie, du côté de l’Ukraine ?
— Avant la guerre en Ukraine, oui. Nous étions postés des deux côtés moldave et ukrainien de la Transnistrie. Mais, côté ukrainien, les postes frontières (BCP) ont été fermés pour des raisons de sécurité. Ils avaient déjà été fermés lors de la crise du Covid-19, quand la pandémie a explosé.
Mis à part les contrôles de Transnistrie, quels sujets attirent votre attention ?
— En Moldavie, n’importe qui peut acheter des stéroïdes anabolisants produits ici… Dans de nombreux États membres, leur achat n'est autorisé qu'à des fins médicales. Nous attirons donc l'attention de nos partenaires sur la nécessité d'un cadre réglementaire très solide, avec un potentiel dissuasif.
En Ukraine, vous vous impliquez aussi ? Sur la contrebande d’armes ?
— En Ukraine, il y a en effet un sujet autour de la disponibilité des armes auprès des populations. En Moldavie, c'est mieux réglementé. Mais nous attirons aussi l’attention sur le fait que le pays ne peut pas devenir une réserve pour l’Ukraine dans le cadre du conflit en cours [La Moldavie a proclamé sa neutralité NDLR]. Beaucoup d'armes vont être mises en circulation. Ce sera donc un défi pour l’Ukraine. C’en était déjà un lorsqu’il y a eu les premiers problèmes à l’Est du pays, en 2014. On volait, vendait des armes sans cesse. Le cadre réglementaire sur l'utilisation des armes n'est pas non plus très solide. Un projet de l'UE a été établi. Mais c’était avant le 24 [février, jour de l'offensive russe en Ukraine].
Travaillez-vous parfois en coordination avec EUAM Ukraine, la mission de l’Union de conseil aux forces de sécurité intérieure ukrainiennes ?
— Il y a eu quelques cas où nous leur avons demandé un soutien pour surveiller la prise de décision au niveau politique. Par exemple, sur la pénalisation des contrebandiers. La contrebande a été dépénalisée en Ukraine en 2014 — à l'exception des armes, des drogue et des biens culturels. Nous avons préconisé un alignement de l’Ukraine sur l’Union européenne, où la contrebande de produits hautement taxés (alcool, cigarette) est pénalisée, c’est un crime. Nous avons rencontré une résistance en Ukraine. Dans ce cadre, nous sommes en liaison et conseillons sur la meilleure façon de pénaliser les trafiquants. C'est important. Il faut avoir un bon niveau de sanction, qu'elle soit appropriée.
L’un des changements phares des dernières années en Moldavie a été le traçage des cigarettes pour réduire les risques de contrebande. Comment cela s’est-il passé ?
— L'année dernière, nous avons prêté beaucoup d’attention aux marchandises hautement taxables. Par exemple, le nombre de cigarettes importées en Transnistrie via la Moldavie excédait les besoins. Selon les statistiques, ils fumaient comme des fous. Même les enfants ! Alors nous avons vu que ces cigarettes ne portaient ni certificat, ni étiquetage approprié, ou avertissements. Donc elles ne répondaient pas aux normes. Première chose, nous l’avons fait savoir au niveau politique le plus élevé. Les Moldaves ont décidé de stopper les activités des entreprises en révoquant leurs licences. Puis, concernant l'offre excédentaire, ils ont introduit les étiquettes commerciales spéciales pour l'identification des cigarettes qui entrent en Transnistrie
Cela permet d’être en accord avec les standards de l’Union européenne ?
— Oui, c’est ce qui est fait dans l’Union européenne. Si une entreprise ne peut pas prévoir la traçabilité et la conformité avec le cadre réglementaire, et que ces cigarettes vont sur le marché noir, vous en êtes responsable.
Et pour le contrôle entre la Moldavie et l’Union européenne ?
— Nous travaillons également avec la Roumanie pour que ce projet réussisse. Nous renforçons la capacité de détection au point de passage de la frontière verte, donc. Mais sachez que les contrebandiers sont toujours très inventifs, ils trouveront un moyen, utiliseront les officiers corrompus… Il est donc préférable de stopper tout au niveau réglementaire. Parce que la prévention est très importante, certes, mais la prévention ne démantèlera pas le marché illégal.
Dernier point, où pouvons-nous voir, concrètement, la coopération entre les autorités moldaves et ukrainiennes, un des piliers de l’action de EUBAM ?
— À Palanca. C’est le point de passage de la frontière où les autorités de Moldavie et Ukraine sont présentes et effectuent le contrôle conjointement. Épaules contre épaules, dans le même bâtiment. C'est notre réussite, à EUBAM. Cette coopération a été établie suite à un accord intergouvernemental entre l'Ukraine et la Moldavie. Ce n'est pas seulement un point de contrôle conjoint, mais c'est le plus moderne, et il a été construit à partir de zéro avec des fonds européens. En somme, c’est une bonne chose, car cela signifie plus de sécurité, plus de coopération et plus de facilitation, et moins de corruption.
(Propos recueillis par Aurélie Pugnet, envoyée spéciale en Moldavie)
Interview réalisée le vendredi 11 mars, en face-à-face dans les locaux de EUBAM à Chișinău, en anglais.