(Crédit : Caritas Syrie)
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[Entretien] L’impact des sanctions sur la population doit être pris en compte (Karam Abi Yazbeck)

(B2) Cibler certains régimes, pour infléchir leurs attitudes et pratiques ? C'est l'objectif des sanctions. Mais pour L'ONG catholique Caritas  l'impact sur les populations existe. Il est souvent oublié. Explications, avec le coordinateur régional de Caritas au Moyen-Orient. 

(Crédit : Caritas Syrie)
  • Karam Abi Yazbeck est le coordinateur régional de Caritas MONA (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Djibouti et Somalie), en relation avec les 15 antennes de l'ONG de la région. Basé à Beyrouth (Liban), il travaille notamment sur le plaidoyer concernant l'impact négatif des sanctions, auprès des Nations unies.

Un problème à prendre en compte

Caritas demande aux États de « considérer sérieusement l'impact des sanctions, des mesures anti-terroristes et de la « sur-conformité » des banques avec ces dispositions,  qui entravent l'accès de la population aux services ainsi que la qualité de l’aide et la possibilité de la fournir dans les délais requis » (1). « Nous ne nous positionnons pas sur le plan politique, s’il faut lever ou pas les sanctions... Mais sur le plan humanitaire », explique Karam Abi Yazbeck.

Les populations souffrent

Car pour l'ONG, les populations, « notamment les plus vulnérables », souffrent de ces sanctions. « Surtout, maintenant, en Syrie, en Iran, au Yemen, et au Liban. » Une récente étude de la rapporteure spéciale des Nations unies sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur les droits de l'Homme corrobore la critique sur les sanctions américaines en Iran.

Perte d'énergie et insuffisance de moyens humains dans les ONG

Concrètement, « au Liban par exemple, beaucoup de mesures ont été imposées aux banques libanaises pour contrôler l'origine des fonds reçus et vérifier que ces derniers ne soient transférés vers dautres pays comme la Syrie. À cela sest ajoutée la crise économique libanaise et la faillite des banques. » Une cascade d'incidents et de pressions qui compliquent le travail quotidien des humanitaires, rapporte-t-il.

Obtenir des exemptions un parcours d'obstacles

Surmonter ces obstacles se traduit par « une perte d'une grande partie du temps et de l'énergie, pour gérer des sujets banals : les transferts bancaires, les opérations courantes, et tenter d'obtenir les exemptions ». Or, les ONG n'ont « pas assez d’expertise ni de moyens pour embaucher des conseillers au niveau légal, comment contourner les sanctions, etc. » souffle Karam Abi Yazbeck.

Les banques font de l'excès de zèle

Les choses s'aggravent parce que « les banques, pour ne pas avoir de soucis avec les Européens ou les Américains, imposent, même à des associations comme la nôtre, des règlements qui ne sont pas même demandés par ceux qui sanctionnent », explique le coordinateur. « Ce sont des documents supplémentaires à fournir, des transferts qui sont arrêtés, etc. » Certaines redemandent des justificatifs d'identité tous les six mois. D'autres, « pour chaque transfert même minime, de moins de 5000 €, font une enquête, demandant papiers, contrats, projet ». En soi, cela pourrait presque sembler normal. Sauf que cette « enquête » est facturée. « Ils le font avec notre argent ! » s'emporte Karam Abi Yazbeck.

Exemptions humanitaires insuffisantes

Il le reconnaît, « les sanctions européennes sont beaucoup plus légères que les sanctions américaines. Ces dernières sont celles qui nous affectent le plus ». Son avis reste tranché et radical : « les sanctions unilatérales sont illégales. Seules les sanctions relevant des Nations unies sont légales ».

Quant aux exemptions mises en œuvre pour éviter que l'action humanitaire ne soit entravée, « elles sont respectées et presque claires ». Mais les procédures sont longues, « elles empêchent l’aide d’arriver à temps, surtout pour les urgences ». Et les ONG « n'ont pas toujours l'expertise nécessaire pour bien les comprendre et les utiliser ».

Des projets interrompus, d'autres bloqués

En conséquence, certains projets humanitaires, d'urgence ou de développement, doivent s'interrompre ou n'aboutissent pas. Car « souvent, les fonds collectés sont bloqués dans les banques étrangères ». Outre le fait que le projet est arrêté, « c’est aussi tout le personnel qui n’est pas payé. Donc le risque de devoir tout redémarrer si l’équipe s’en va ». Parfois aussi, l'argent arrive trop tard. « Cela n'a pas de sens de commencer au Printemps un projet prévu pour l'hiver... ». Karam illustre : « en Syrie, par exemple, on travaille sur les vraies urgences : la nourriture, l’eau, le fioul ! Les gens ne peuvent pas attendre pour se nourrir ou se chauffer. Ces retards affectent la réponse aux urgences ».

Des sanctions qui se cachent

Même si les sanctions ne sont pas prises, leur menace pèse sur les populations. Comme exemple, le cadre de sanctions qui a été décidé par l'Union européenne pour le Liban en juillet 2021. Aucun nom n'a encore été inscrit. Pourtant, Karam l'assure, le Liban souffre d'un « un embargo qui n’est pas déclaré ». Celui d'un « pays poussé vers la faillite, mais que personne ne veut aider, au risque d'entretenir la corruption » tant que les réformes ne sont pas engagées. Une ambiguïté qui « ne fait que participer à la destruction des services publics », accuse Karam, qui dénonce une forme d'hypocrisie. « La communauté internationale dit que l'argent ne doit pas passer par le gouvernement libanais. Soit. Mais comment cela va-t-il arriver au peuple libanais alors, sans autre intermédiaire que des ONG ? Or, même au sein des ONG, il y a de la corruption ! ».

Une réponse européenne attendue

« Je sais qu’ils écoutent », répond Karam en parlant de la réaction de Bruxelles à ces « observations ». « Nous avons même eu des réunions avec des experts, etc. Mais sur le terrain, personnellement, je n’ai pas vu de changement. » A minima, Caritas souhaiterait que l'Union européenne dédie des gens pour soutenir concrètement les ONG dans l'utilisation des exemptions.

(Emmanuelle Stroesser)

  1. Requête lancée à l'occasion de la conférence des donateurs pour la Syrie (les 9 et 10 mai)

Document : les recommandations de Caritas

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Entretien réalisé vendredi 13 mai, par visioconférence, en français

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