[Entretien] L’OTAN devra revenir en Bosnie-Herzégovine si les Européens partent (Šefik Džaferović)

(B2) La présence internationale doit demeurer en Bosnie-Herzégovine. C'est une question de garantie de stabilité pour le pays. Si la mission de stabilisation de l'UE EUFOR Althea doit partir, faute d'accord à l'ONU, l'Alliance atlantique devra prendre le relais. Le président du collège présidentiel du pays, Šefik Džaferović en est certain.
- Šefik Džaferović (PPE/SDA, parti pour l'action démocratique) est le membre bosniaque de la présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine, dont il est actuellement à la tête au nom d'une rotation (tous les huit mois). C'est donc lui qui représente le pays dans les réunions internationales et est en charge de la politique étrangère.
- Il n'a pas été en personne au sommet de l'OTAN. C'est le ministre de la Défense, Sifet Podzic qui a représenté Sarajevo. Mais il a néanmoins rencontré Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN à Bruxelles le 25 mai dernier, pour préparer le sommet de Madrid.
Partagez-vous les évaluations et les préoccupations des Occidentaux vis-à-vis de l’instabilité politique en Bosnie-Herzégovine ? Et les répercussions qu’elles peuvent avoir sur la sécurité du terrain ?
— Notre pays a en effet traversé une grave crise politique cette année. Elle a, à certains moments, menacé de se transformer en une crise sécuritaire. Plus précisément, au début du mois de janvier, de nombreux harcèlements de Bosniaques de retour dans l'entité de la Republika Srpska ont été enregistrés. Des messages particulièrement inquiétants ont été diffusés lors de la parade organisée par les autorités de l'entité Republika Srpska dans le cadre de la célébration de la journée anticonstitutionnelle de la Republika Srpska, le 9 janvier. Une date qui symbolise le début des crimes de masse sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995.
Comment analysez-vous le rôle des Européens dans cette crise ?
— Par la suite, grâce aux sanctions imposées par les États-Unis et le Royaume-Uni, et aux mesures prises par les équipes du Haut Représentant de l’Union européenne, la situation s'est stabilisée. Malheureusement, l'Union européenne n'a pas imposé de sanctions, faute de consensus. Il est inquiétant que [le leader des Serbes de Bosnie] Milorad Dodik, bien qu'il se soit calmé, ne renonce toujours pas, comme il le proclame, à ses objectifs sécessionnistes. Les États-Unis, l'UE et le Royaume-Uni, ainsi que d'autres partenaires, doivent compléter le travail et exercer une pression supplémentaire sur Milorad Dodik. La stabilité à long terme peut être assurée en éliminant ses actions sécessionnistes, ou en retirant Milorad Dodik de la scène politique. Pour cela, la communauté internationale dispose de mécanismes.
Souhaitez-vous que la mission de l’UE de stabilisation EUFOR reste et que son mandat soit prolongé ?
— Les forces militaires internationales doivent rester en Bosnie-Herzégovine. Elles font partie intégrante de l'accord de paix de Dayton. Il fallait 60.000 soldats internationaux pour assurer la paix dans le pays, il y en a maintenant 1200. Il vaut mieux déployer plusieurs milliers de soldats internationaux et prévenir ainsi tout problème de sécurité, plutôt que de laisser la situation s'envenimer et d'avoir à éteindre le feu.
Son mandat doit il être révisé selon vous ?
— Le mandat de la force internationale doit rester tel qu'il est, pleinement exécutif et opérationnel.
Si la Russie bloque la prolongation du mandat d’EUFOR au Conseil de sécurité des Nations Unies en novembre prochain, avez-vous une alternative ?
— Si la Russie bloque la résolution sur l'extension du mandat de l'EUFOR, alors ce travail devrait être repris par l'Alliance atlantique. Selon les accords de Dayton, l'OTAN a le droit et l'obligation d'assurer la paix en Bosnie-Herzégovine. En plus, la Bosnie-Herzégovine, par le biais des décisions de ses institutions, a donné son consentement à la présence de l'OTAN, puis de l’EUFOR.
L’OTAN est donc le remplaçant logique ?
— Selon les résolutions du Conseil de sécurité, les successeurs légaux des missions initiales de l'IFOR et de la SFOR (1) sont l'EUFOR, mais aussi le quartier général de l'OTAN à Sarajevo. Par conséquent, le QG de l'OTAN existe déjà à Sarajevo. La seule chose qui est nécessaire en cas de besoin est le déploiement de soldats supplémentaires. La base légale pour la poursuite de la mission militaire existe et il est tout à fait certain qu'un vide sécuritaire ne doit pas être créé en Bosnie-Herzégovine.
La Bosnie-Herzégovine cherche-t-elle toujours à adhérer à l’OTAN ?
— La Bosnie-Herzégovine fait partie du plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN. À travers nos lois et notre stratégie de politique étrangère, nous avons défini l'intégration euro-atlantique comme une priorité de notre politique étrangère.
(Propos recueillis par Aurélie Pugnet)
Interview réalisée en anglais par échange de mails entre le mardi (28 juin) et le mercredi (29 juin), en marge du sommet de l'OTAN à Madrid
- L'Implementation Force (IFOR) a succédé à la force de l'ONU (FORPRONU) le 20 décembre 1995 avec la charge de restaurer la paix en Bosnie-Herzégovine (Operation Joint Endeavour) immédiatement après les accords de Dayton/Paris signés à Paris le 14 décembre. Elle a été remplacée un an plus tard par la Stabilization Force (SFOR) le 21 décembre 1996 qui a opéré sous deux mandats : restauration de la paix (Operation Joint Guard) et Maintien de la paix (Operation Joint Forge). Le commandant de la SFOR était un Américain, le numéro 2 un Français ou un Britannique, et l'adjoint commandant des opérations un Britannique.
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