(B2 — exclusif) En amont de la proposition que s'apprête à faire la Commission européenne, B2 a tâté le pouls de plusieurs industriels. Tour d'horizon captivant. Une grosse divergence apparaît : sur la préférence européenne. Mais on trouve aussi de solides convergences. Comme une supplique aux institutions : faites simple, rapidement et oubliez vos querelles intestines !
Ces propos sont l'issue de plusieurs entretiens au téléphone menés sous le sceau du OFF entre la mi-juin et début juillet.
Une divergence fondamentale : sur la préférence européenne
Entre ceux qui privilégient l'urgence opérationnelle et la reconstitution des stocks d'armes, et ceux qui estiment qu'il faut en profiter pour consolider la base industrielle européenne de défense, et donc des achats purement européens, il y a un gouffre.
Bénéficier aux entreprises européennes seulement
C'est cette revendication qui revient le plus souvent aux oreilles de B2. Il faut que le programme ait un cadre juridique « suffisamment clair » pour pouvoir bénéficier « seulementaux entreprises européennes et pour du matériel européen », glisse un industriel à B2. Deux autres professionnels, d'un secteur différent, sont du même avis. Ils attendent aussi et surtout de l'instrument qu'il instaure « une préférence européenne » en matière d'armement. Le critère de l'urgence ne doit pas « ramollir les clauses d'attribution » et ainsi « ouvrir la porte aux matériels non européens ». Les industriels attendent que le fonds soit fait « avec de l'argent communautaire, au bénéfice des entreprises européennes et États membres », résume une source industrielle.
Ou assouplir les critères du FEDEF ?
Pour autant, prévient une autre source, le critère de la préférence européenne ne doit pas conduire à « se tirer une balle dans le pied ». Selon lui, le fonds d'acquisition devrait se baser sur les critères du fonds européen de défense (FEDef) (trois entreprises, européennes), mais sous une forme « légèrement revisitée ». Il plaide ainsi pour un assouplissement des conditions sur le caractère européen d'un matériel au nom du réalisme. En cause : ce fonds d'acquisition concernerait des matériels déjà existants.
Permettre une composante ITAR ?
Dès lors, il ne faut pas « mettre de barrières [à l'achat] de produits qui ont une composante ITAR (1) », au risque de « perdre en compétitivité ». D'autant plus que les produits américains sont plus rapidement disponibles sur le marché, car achetés sur l'étagère, que les matériels européens.
Être moins permissif sur les critères de l'entreprise
Le règlement devra donc être « moins permissif » sur la définition d'une entreprise européenne que dans le cas du FEDef. Ce qu'un interlocuteur de B2 résume comme : il faut être « plus strict sur le producteur » (par exemple, sur la nationalité, l'implantation des filiales...) « mais plus souple sur le [caractère européen du] produit » (la présence de composants non-européens).
Des convergences essentielles : faites simple et clair
C'est un point clair de consensus entre les industriels. Il faut un instrument « simple, dénué des tracasseries bureaucratiques habituelles », résume l'un d'eux. On peut résumer les recommandations des industriels à cinq en fait.
Ne faites pas complexe
Ce que chacun redoute, c'est la lenteur de contractualisation. Les industriels contactés par B2 se disent « très inquiets » là-dessus. Le dispositif mis en place dans le cadre du FEDef est en effet relativement lourd. Si dans le cadre d'un projet de moyen ou long terme de recherche et développement, on peut s'accommoder d'un délai de plusieurs mois (2). Ici, dans un instrument dédié à l'acquisition, les délais doivent être plus courts. Le tempo doit donc être différent. Et la procédure allégée. Chacun redoute ainsi la tendance « usine à gaz » de l'exécutif européen.
Clarifier le rôle de chacun
Autre source d'incertitude pour les industriels : le rôle qu'aura la Joint Procurement Task Force, mise en place mi-juin (lire : De nouvelles propositions défense bientôt sur la table), dans le processus. Car le fonds d'acquisition « sera adossé à la task force » explique un industriel. Il déplore déjà un travail « compliqué et mal piloté » entre l'agence européenne de défense (EDA), la Commission européenne et le SEAE. « Il n'y a pas de pilote clair dans l'avion », souffle un connaisseur.
Ne pas superposer les compétences mais les combiner
Le « plus efficace » serait la Commission européenne mais ce n'est pas de sa compétence. L'agence européenne de défense est « bien dimensionnée » mais elle doit savoir « faire des choix » et « hiérarchiser » ses propositions, juge notre interlocuteur. L'idéal serait pour lui une combinaison des deux. Et de conclure : la « gouvernance de la task force va avoir un rôle important » dans la mise en place et, in fine la réussite, du fonds d'acquisition. C'est elle qui doit définir les capacités prioritaires qui seront éligibles au fonds.
Avoir un effet de levier suffisant
Quant au niveau de financement adéquat, personne ne se risque vraiment à donner un chiffre. « Cela va dépendre du taux de financement » de l'achat par l'argent communautaire, explique t-on à B2. Un niveau de financement de l'ordre de 20% des coûts a l'air d'être le niveau attendu, car il se retrouve dans d'autres textes, comme le fonds européen de défense. Mais ce qui est sûr c'est qu'il faut avoir un « effet de levier » suffisant pour entraîner les États à acheter en commun.
Décidez-vous simplement
Enfin, comment ne pas mentionner l'impatience des industriels sur l'arrivée de ce fonds d'acquisition. « Nous attendons de voir exactement ce que sera la proposition. Mais c'est sûr nous l'attendons », résume l'un d'eux. Avec l'espoir de le voir arriver avant la pause d'été !
Dans le cadre du Fonds européen de défense, la période allant jusqu'à la contractualisation prend plusieurs mois (± six mois en moyenne) entre l'annonce de l'octroi de la subvention et la signature du contrat.