(B2) Une nouvelle structure européenne destinée à réunir toute l'Europe élargie a déjà été pensée au lendemain du mur de Berlin. Par les Français et les Tchèques justement. La confédération européenne a sombré ensuite. Pourquoi ? Ce projet de Communauté sera-t-il plus durable ? Tout dépendra des vents et marées à suivre...
Les assises de la confédération européenne en session plénière (Télévision tchèque 1991 - Archives B2)
La Communauté politique a été inaugurée en grande pompe à Prague, le 6 octobre dernier avec la présence de 44 leaders venus de toute l'Europe (lire : Bienvenue à la Communauté politique européenne. Un champ des possibles s’ouvre). Malgré les apparences, elle ne suscite pourtant pas d'enthousiasme partout (lire : article à venir).
Une idée vieille de plus de 30 ans
L'idée est née au lendemain de la chute du Mur de Berlin en 1989. Et contrairement à ce qu'on peut penser, elle n'a pas duré qu'un printemps et n'était pas le fait uniquement de la France. Elle a été peaufinée d'ailleurs durant plus d'une année. Et elle a donné lieu à des Assises se déroulant sur plusieurs jours... à Prague.
La confédération, une idée bien française
Le président français François Mitterrand lance l'idée le 31 décembre 1989 lors de ses vœux aux Français clôturant une présidence française de la Communauté économique européenne (CEE) bien mouvementée. Aux côtés de la Communauté, à Douze alors, il voit, comme une « deuxième étape » à la réunion du continent, naître une « organisation commune et permanente d'échanges, de paix et de sécurité », fondée sur les accords d'Helsinki de 1975. Une simple idée, selon son conseiller de l'époque Jean Musitelli qui travailla sur le sujet. Le président français n'ayant pas vraiment consulté ni son entourage, ni son compère allemand Helmut Kohl. Elle se précisera ensuite. En particulier, avec le Chancelier allemand, invité à Latché, la résidence personnelle du président. L'Allemand étant le premier d'une longue suite d'entretiens.
Un contexte d'effondrement de l'Est
Le discours français s'inscrit dans un contexte bien particulier. Fin 1989, l'unité allemande est encore dans les limbes, le Pacte de Varsovie, alliance militaire de l'URSS, toujours existant. L'Union soviétique est bien campée sur ses pieds. Et les chars de Moscou toujours bien présents dans la plupart des pays de l'Est. Ceux-ci ont à peine retrouvé une certaine liberté, mais les structures démocratiques n'ont pas encore été affermies ni même rétablies. Nicolae Ceaușescu vient de mourir quelques jours plus tôt, exécuté à Bucarest, le jour de Noël.
Idée à laquelle adhère Vaclav Havel
L'idée est reprise à la volée par alter ego tchèque. Volonté affirmée un an plus tard, en septembre 1990, à Prague. Devenu président de la république fédérale Tchèque et Slovaque, après les premières élections démocratiques de son histoire, Vaclav Havel confirme son soutien au processus lors d'une visite à Paris le 19 mars 1991.
Une organisation informelle
La volonté affichée ressemble étrangement à celle d'aujourd'hui : ne pas se substituer aux institutions existantes ni au processus d'adhésion, et permettre des discussions « informelles » entre tous les Européens.
Des assises à Prague
Les premières assises de la Confédération se tiennent entre les 12 et 14 juin 1991 à Prague. Elles rassemblent non pas les États ou les institutions mais 150 personnes, issues de différents bords, y compris du continent américain. L'ambition : être un « forum », « un lieu de rencontres et de débats » comme le disait François Mitterrand pour élaborer aussi des solutions concrètes. Un secrétariat doit gérer la Confédération qui comprend deux étages : celui des chefs et celui des ministres pour aborder des thèmes précis : l’énergie, l’environnement, la recherche ou la culture... Elles demeurèrent cependant sans lendemain.
Restée inachevée
La présence potentielle de la Russie, comme l'hostilité marquée des États-Unis, les hésitations de l'Allemagne et les réticences d'une partie des pays de l'Est eurent raison du projet. Quelques jours après les Assises, l'Allemagne ouvre d'ailleurs en grande pompe à Berlin le 19 juin la CSCE, prélude à sa transformation en organisation, la future organisation pour la coopération et sécurité en Europe, l'OSCE, suite de la Charte de Paris de novembre. Le Secrétaire d'État US, James Baker, y défend une « communauté euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok ». Quant aux pays de l'Est, ils regardent vers la CEE pour leur avenir économique et l'OTAN pour leur garantie de sécurité et ne veulent à aucun prix se retrouver dans une nouvelle structure qui les bloque dans ces deux objectifs, stratégiques pour eux. Bref la Confédération est vidée de son sens.
Un changement de contexte
Quelques jours après les assises, débute de la guerre serbo-croate, premier pan d'une guerre yougoslave de huit ans. L'URSS vacille et tombe. L'Allemagne s'est réunifiée et n'est pas en faveur de ce projet. L'Europe a choisi d'aller de l'avant et de s'intégrer. La Commission européenne propose deux projets : approfondissement politique et approfondissement économique et financier. Les États membres, France et Allemagne en tête, choisissent le second.
Les raisons de l'échec
« Elle n'était pas suffisamment préparée. Elle n'avait pas le soutien politique indispensable. Les nouvelles démocraties la considéraient comme une sorte d'Ersatz, comme une proposition fallacieuse pour ajourner l'adhésion », indique Vaclav Havel dans un entretien combiné avec Jacques Delors au Monde «Elle présentait deux inconvénients », témoignera-t-il : « elle incluait la Russie et ne disait rien des États-Unis. En même temps, elle aurait englobé des questions économiques de la compétence de la Communauté européenne ».
La Confédération versus 2022 renommée Communauté
François l'avait rêvé, Emmanuel l'a fait !
Il y a une nette filiation, entre le projet de 1991 (version François Mitterrand) et celui de 2022 (version Emmanuel Macron). Les motivations, la volonté d'affirmer qu'elle ne viendra pas en remplacement d'autres structures, la volonté d'avoir des projets concrets, etc. Les mêmes raisons qui ont conduit à l'échec de la Confédération permettraient-ils le succès de la Communauté aujourd'hui.
Un contexte favorable
Cette fois, la guerre a précédé l'organisation. Et la Russie est redevenue une menace suffisante pour solidifier un bloc. La Turquie comme le Royaume-Uni ne veulent pas rejoindre l'Union européenne. Et plusieurs pays, échaudés par des années de négociations, savent qu'ils ne la rejoindront pas de de sitôt. D'autres n'ont jamais fait la demande. En clair, le panorama est différent.
Un effet bloc contre la Russie
L'agression russe contre l'Ukraine permet aussi aujourd'hui ce qui semblait impossible hier. Dans cette Confédération nouvelle mouture, la Russie est d'emblée exclue, aucun quiproquo possible. La réunion des 44 membres du continent européen apparait en effet comme un geste fort vis-à-vis de Moscou. Le fait d'avoir un bloc de l'Europe élargie, sans la Russie et son allié biélorusse, montre davantage que tout autre l'éloignement de Moscou du centre européen.
Un mode de règlement des conflits
Cette Communauté offre un sacré avantage : permettre — ou tenter — de régler les conflits latents ou vibrants entre leurs différents membres. Un des moindres succès a ainsi été la rencontre Azéris-Arméniens. Même si elle pourrait rester sans lendemain, elle est un signe très net des Européens de réinvestir les conflits dans leur voisinage, sans l'appui des Américains, et pour contrer l'influence russe.
Dialogue avec les Britanniques et les Turcs
Enfin, cette communauté est aussi un moyen assez facile de renouer le dialogue avec le Royaume-Uni, d'un côté, autrement que par une discussion bilatérale avec l'Union européenne sur le respect des accords post-Brexit. Elle évite aux Britanniques de se dédire sur leur refus de conclure un accord avec les Européens sur la sécurité et pourrait le précéder. Idem avec la Turquie. Elle permet d'avancer sur certains sujets communs, sans remettre sur la table le sujet de l'avancée de l'adhésion qu'à Ankara comme dans plusieurs capitales européennes (Paris, Vienne, Berlin) on ne veut plus mettre au devant de la scène.
Le danger du concret
Reste que, passé l'euphorie du lancement, il faudra faire vivre cette Communauté. Le danger qui la guette est de commencer à vouloir embrasser tous les dossiers — économique, sécurité, jeunesse, etc. — pour arriver justement à des résultats concrets, de produire des réunions ministérielles dont l'important est davantage de déboucher sur une ou plusieurs décisions que de permettre la discussion. Pour réussir cette Communauté, elle devra justement s'abstraire du concret, du décisionnel réservé à d'autres enceintes. Une structure informelle, sans secrétariat ou mur d'enceintes, risque de mourir assez vite, quand leurs initiateurs (Emmanuel Macron, Charles Michel, etc.) ne seront plus aux commandes.
Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)