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[Verbatim] Le retour des stratégies de puissance en Méditerranée (Hervé Bléjean)

(B2) Les Européens doivent avoir un regard lucide sur leur environnement. Entre une Russie déjà agressive en Europe comme en Afrique, une Chine dont la présence en Méditerranée s'annonce, des pays africains qui ne supportent une approche trop paternaliste, une évolution s'impose.

Hervé Bléjean est le directeur de l'état-major de l'UE. Son intervention aux rencontres stratégiques de la Méditerranée à Toulon organisées par la FMES, fin septembre.

Le retour des stratégies de puissance

L'environnement géopolitique est « dégradé ». Il y a un « retour des stratégies de puissance », un « rejet des formes de multilatéralisme ». Nous sommes entrés dans une forme de guerre hybride, de faible équité. La prédominance du multilatéralisme international est « partout contestée au profit d'un rapport bilatéral ».

Le droit maritime international contesté

« Le droit international maritime (tel la convention de Montego Bay), — qui a été le ciment et aussi parfois la justification d'un certain interventionnisme —, est aujourd'hui contesté. Il n'est plus considéré automatiquement comme ayant force de loi et s'efface devant l'invitation bilatérale d'un État à intervenir à son profit. » Cela a des conséquences concrètes pour les Européens. « Nous avons des difficultés à obtenir le renouvellement des résolutions du Conseil de sécurité qui ont fait le fondement et le ciment » des interventions européennes (1).

Le bilatéral préféré au multilatéral

Par exemple, l'opération maritime européenne dans l'Océan indien (EUNAVFOR Atalanta) n'est « plus autorisée à pénétrer dans les eaux territoriales. Une demande des Somaliens qui ont refusé le renouvellement de la résolution du Conseil de sécurité ». Les Somaliens sont « d'accord pour que l'Union européenne reste, mais de manière bilatérale ». Les résolutions sur l'opération Irini [chargée du contrôle de l'embargo en Méditerranée centrale] « sont fragiles ». « Les Russes font du chantage. » Pour l'opération européenne en Bosnie-Herzégovine (EUFOR Althea), « il y a un vrai débat ». Et « les Russes nous maintiennent dans l'incertitude jusqu'au dernier moment. »

L'Europe au cœur du chaudron mondial

Avec « le contexte exacerbé de la guerre en Ukraine, la crise énergétique et la crise alimentaire qui l'accompagne, auquel s'ajoutent les dérèglements climatiques... » Au final, « on est dans un chaudron où tout est possible. Tout cela a créé des ambiguïtés que nos compétiteurs vont exploiter. »

Une Méditerranée, mer de tous les enjeux

En Méditerranée, on va « progressivement avoir davantage de bateaux, d'avions, de drones, des attaques dans le cyberespace. Le risque d'un mauvais calcul, d'une mauvaise interprétation est croissant. Il faut tout faire pour l'éviter, mais aussi tout faire pour s'y préparer pour réagir rapidement ».

La présence chinoise en Méditerranée imperturbable

« Comment en Européens, doit-on caractériser la relation avec la Chine ? » C'est une question importante. « Un partenaire sans doute mais aussi sûrement un compétiteur systémique. C'est-à-dire un compétiteur dans tous les domaines. » La Chine est aujourd'hui en « capacité de déployer une force permanente en Méditerranée. La question n'est pas « si », mais « quand ». » Qu'allons nous faire, « sachant qu'ils ont mis la main sur un certain nombre de facilités portuaires » dans cette zone ?

Écouter les Africains

Le message qu'ont envoyé les Africains « en s'abstenant ou étant absent lors du vote de la résolution condamnant la Russie à l'assemblée générale de l'ONU [en mars] doit être entendu » (2). Quand « un pays comme le Mozambique — prochain membre du Conseil de sécurité des Nations unies et qui abrite une mission PSDC — ou le Sénégal — qui préside l'Union africaine — s’abstient, c'est un message qu'il faut entendre ». Il faut « sortir de la vision paternaliste pour aller dans un partenariat d'égal à égal » (3).

Des Africains qui veulent une alternative

« Il y a une désinhibition dans les discours ». En Afrique, « quand on discute avec les chefs d'État, ils nous disent deux choses essentielles ». Premièrement, « nous ne pouvons avoir pour seul modèle l'Occident. Nous voulons des alternatives ». Deuxièmement, « les adversaires de nos partenaires ne sont pas nécessairement nos adversaires ».

Dénoncer Wagner

Face à cette situation, en Afrique, les Européens « doivent avoir un langage plus clair notamment sur Wagner ». C'est « une compagnie de mercenaires sans foi ni loi, qui sont en mode de prédation des pays qu'il sont sensés aider. Il faut le dire clairement et pas parler à mi-mot de forces affiliés. »

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Lire : L’opération Atalanta reconfigurée ?).
  2. Lire : [Analyse] Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Afrique se détache de l’Europe
  3. Lire aussi sur ce sujet le point de vue du Parlement européen : [Entretien] Corne de l’Afrique, Éthiopie, Somalie… Il faut cesser l’approche paternaliste (Fabio Massimo Castaldo)

Lire aussi : [Verbatim] Guerre russe en Ukraine : comprendre l’adversaire dans sa rationalité est un impératif (général Breton)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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