Défense UE StratégieRussie Ukraine Caucase

[Entretien] Quand on nous demande, nous sommes là. D’accord pour augmenter la facilité européenne pour la paix (François Bausch, Luxembourg)

(B2) Pourquoi acheter en commun ? Peut-on investir plus ? Comment la défense européenne doit se transformer ? Quelques questions vitales se posent. Le ministre luxembourgeois de la Défense fait le point. 

François Bausch lors l'entretien avec B2 (Photo : MOD Luxembourg / M. Schuster)

Un entretien réalisé au sortir de la réunion informelle quasi intégralement consacrée aux munitions (lire : [Décryptage] Et un. Et deux milliards pour fournir des obus à l’Ukraine. Les 27 presque d’accord). Membre des Verts (dei. grang), Fr. Bausch est ministre de la défense et de la sécurité intérieure du gouvernement Bettel depuis décembre 2018.

La proposition du Haut représentant a finalement été acceptée ?

— En effet. Il y a une forte adhésion de tous les pays à la proposition du Haut représentant d'amplifier la mise à disposition des munitions, notamment les fameux 155mm. Mais il reste à clarifier qui va organiser les achats. Est-ce à l'agence européenne de défense ou avec le soutien d'États membres ?

Quelle est votre préférence ? Faut-il aller plus loin ?

— Avoir le soutien d'États membres, ce sera quand même la meilleure solution. Il faut l'expérience de pays comme la France ou l'Allemagne qui ont aussi des relations avec l'industrie. De notre côté, nous sommes prêts à renforcer ce dispositif en commun. Si on peut faire des commandes en rassemblant différents pays, nous avons alors une garantie que les différentes chaines de production sont utilisées.

Le Luxembourg qui dépense moins de 2% pour sa défense, peut-il fournir ?

— Nous n'atteignons pas les 2% [requis par l'OTAN]. C'est vrai, car pour un petit pays comme nous, c'est difficile d'atteindre cet objectif. Mais, quand on nous demande, nous sommes là. Notre pays a déjà dépensé 90 millions € pour fournir des armes létales à l'Ukraine. Et nous venons de livrer 10 camions de 155 qui viennent d'arriver en Ukraine, avec 3200 obus à bord [achetés par le Luxembourg].

Mais vous êtes remboursés par la Facilité ?

— Non. Nous finançons la Facilité. Mais nous ne demandons aucun remboursement.

Investir deux milliards suppose de renflouer la Facilité. Vous en êtes conscients ?

— Nous sommes prêts à donner ce qui est nécessaire pour la Facilité, pour augmenter à nouveau le plafond. Mais il faut des garanties. Si nous donnons de l'argent et que cela ne fonctionne pas, ce serait gênant.

On ne parle plus de livraison d'avions comme à l'OTAN il y a deux semaines ?

— Ce débat était un peu un débat fantôme. Chacun sait que pour la formation des pilotes, cela prend plusieurs mois, et pour la maintenance des avions de chasse, cela dure une année. Cela n'a aucun sens de faire de la surenchère comme çà. Il faut mobiliser tout ce qu'on peut sur les besoins concrets et immédiats : l'artillerie et la défense anti-aérienne comme le demandent les Ukrainiens.

Et la proposition estonienne ?

— On doit utiliser les instruments dont on dispose. Cela ne sert à rien de créer de nouveaux mécanismes. C'est important d'aider les Ukrainiens maintenant, d'aller vite. Nous avons assez parlé, il faut agir maintenant. Demain ce sera trop tard. Il faut arriver à défendre les lignes jusqu'à mars - avril, en attendant les renforts. Les Russes aussi le savent, c'est pour çà qu'ils essaient de casser la ligne autour de Bakhmout.

Les Ukrainiens vous semblent confiants ?

— Ils sont convaincus qu'ils peuvent garder le front, et très motivés pour préparer quelque chose au printemps. Avec les personnels formés par EUMAM Ukraine et les nouveaux matériels [Leopard, etc] disponibles fin mars, ils vont gagner en puissance. Cela peut changer la donne.

Où puiser les munitions nécessaires ?

— Nous n'avons plus rien dans nos stocks. En effet. Pour les recompléter, et pour fournir l'Ukraine, on achète. Il faut de grandes quantités. L'industrie est prête à ouvrir des lignes de production. Mais il faut des garanties, et des contrats à plus long terme. Les deux mécanismes proposés par le Haut représentant et la Commission sont ingénieux. Avec de plus grosses commandes, nous donnons une garantie, des perspectives plus longues à l'industrie. Celle-ci peut donc investir.

Si vous jetez un regard en arrière, en un an, quelle évolution retenez-vous ?

— On a aujourd'hui une guerre conventionnelle à nos portes qu'on n'aurait jamais imaginé. Revivre ce scénario de la première guerre mondiale, avec les tranchées, des tirs d'artillerie en nombre afin de démoraliser l'adversaire, était impensable.

Sur le plan de la défense européenne, quelle leçon en tirez-vous ?

— L'évolution est incroyable. Mais la situation donne aussi un aperçu de la faiblesse de l'industrie d'armements en Europe. Nous avons une bonne douzaine d'industriels, totalement dispersés, par rapport à une industrie plus concentrée côté américain qui produit en grosse quantité. Il faut maintenant faire jouer la solidarité européenne, regarder la cause commune, rassembler nos forces et nous mobiliser si nécessaire. Nous devons démontrer ce que pourrait être la défense européenne.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde, à Stockholm)

Entretien réalisé en tête-à-tête mercredi 8 mars, en français

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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