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Charles Michel aux voeux du Mouvement réformateur (Photo : RTBF - Sélection B2)
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[Analyse] Le rétropédalage inexplicable de Charles Michel. Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?

Charles Michel aux voeux du Mouvement réformateur (Photo : RTBF - Sélection B2)

(B2) Quel objectif poursuivait Charles Michel en se présentant aux élections européennes : une ambition de carrière ? une manigance politique ? Ou, dans un accès romantique, l'élégance de la geste ? Le renoncement à cette candidature, vendredi (27 janvier), n'en apparait que plus désopilant

La fonction même de président du Conseil européen paraissait rendre impossible un départ en campagne électorale durant le mandat (Lire : [Décryptage] Un rétropédalage nécessaire). Et pourtant l'ancien Premier ministre belge, âgé aujourd'hui de 48 ans, l'a fait. Pour des raisons qui ne sont pas toutes clarifiées.

Une volonté de se confronter avec l'électeur ?

À écouter Charles Michel, ou plutôt son entourage, la volonté du dirigeant libéral n'était pas de rechercher un poste. « Pas du tout », affirme même un de ses proches interrogé par B2, au lendemain de l'annonce de son départ en campagne électorale. Il s'agissait d'incarner un rôle plus politique de sa fonction. Une sorte de remise en jeu démocratique. Et plutôt que d'attendre tranquillement dans « ses pantoufles » qu'un poste se profile, il entendait défendre sa vision devant les électeurs. « Ne pas être candidat aurait été une forme de fuite. Être candidat, c’est la volonté d’assumer », assure l'intéressé lui-même sur la RTBF dès le 7 janvier lors des voeux du Mouvement réformateur (MR/Renew). « C'est normal de rendre compte devant les citoyens. » Bref : Charles Michel croit en une « démocratie authentique ». Louable a priori.

Combler le déficit démocratique ?

« Il m’a paru naturel, à l’instar d’un Premier ministre qui souhaite continuer à servir son pays, de me confronter au vote des électeurs pour défendre le projet européen », explique Charles Michel quelques jours plus tard dans son message sur Facebook annonçant son retrait (de la campagne). « Le déficit démocratique de l’Union européenne est régulièrement mis en exergue. À mes yeux, la démocratie, c’est la légitimité. Et pour un responsable politique, c’est l’élection au suffrage universel qui est la clé de sa légitimité. » Audacieux en apparence.

Un prisme trompeur

L'explication ne convainc pas tout à fait. D'une part, être tête de liste du mouvement réformateur en Wallonie est une très faible prise de risque, vu le score du Mouvement réformateur qui avoisine les 20%. Il en aurait été autrement si l'intéressé occupait un poste charnière (avec un risque d'être non éligible) ou pousseur de liste, en position non éligible. Cela aurait été plus glorieux. Ensuite, l'exercice démocratique européen n'a pas été conçu de cette manière dans l'esprit des rédacteurs du traité. C'est davantage le rôle président du Parlement européen, l'instance législative, ou celui de la Commission européenne, tous deux issus indirectement du résultat des élections européennes, qui ont à rendre des comptes aux électeurs sur la politique menée. Pas celui du Conseil européen qui n'est, selon les traités, pas responsable. Celui-ci est d'ailleurs tout sauf un « chef de gouvernement » de l'Europe (lire notre Décryptage). Il y a donc maldonne.

Garder une place au chaud ?

Rien n'interdit bien sûr certaines arrière-pensées. Au plan national, le retour de Charles Michel au bercail, chipant au passage la tête de liste à Didier Reynders, son grand rival de parti, ne faisait pas que des heureux. Mais il avait l'avantage de le remettre en selle au plan de la politique belge. Au plan européen, en démissionnant avant l'heure, Charles Michel espérait garder la place de président du Conseil européen au chaud pour un membre du groupe libéral : le Néerlandais Mark Rutte par exemple (au cas où le secrétariat général de l'OTAN lui échapperait) ou un autre. En mettant la pression sur ses pairs pour trouver un remplaçant avant que Viktor Orban ne doive assurer l'intérim (1).

Un duel au grand jour avec Ursula ?

Sa candidature peut aussi être mise en regard de la possible entrée en campagne de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Avec qui il entretient une rivalité exacerbée depuis plusieurs années déjà, au-delà de la compétition habituelle entre des responsables de deux institutions différentes. Un duel politique à la manière des mousquetaires du XVIIe siècle n'aurait pas été pour déplaire à Charles Michel qui rêve d'en découdre au grand jour (2).

Un objectif de carrière au Parlement ? plutôt étroit

L'idée d'avoir une porte de sortie était également dans toutes les têtes. Porte très étroite, selon nos informations du moins au Parlement européen. La présidence de l'assemblée parait, sauf surprise, hors d'atteinte des libéraux, les sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ayant pris l'habitude de se partager cette présidence en deux. Et le score attendu du groupe libéral (qui pourrait descendre de sa 3e place au mieux) ne lui permet plus de revendiquer ce que le libéral irlandais Pat Cox avait obtenu en 2002. Mais c'était une autre époque. Même la présidence du groupe libéral parait hors d'atteinte de Charles Michel. Ses camarades de parti ne goûtant guère un certain dilettantisme et n'ayant pas été les derniers à le critiquer.

Être député de base ? Pas assez ambitieux

Idem pour d'autres postes plus en vue. La présidence d'une commission parlementaire — telle que celle des Affaires étrangères — dépend de la fameuse règle D'Hondt qui organise la distribution des postes en fonction des rapports de force entre les groupes politiques, et parait réservée au parti populaire européen (PPE). Restait le travail habituel d'un député européen de base : les rapport, les dossiers, les interventions en plénière. Mais chacun a peine à imaginer le président du Conseil européen s'abîmer dans cette tâche ingrate. Lui qui est tout, sauf un homme de dossiers.

Rebondir ailleurs ? Limité

Reste l'ambition carriériste de rebondir sur un autre poste européen. Mais la nomination à la Commission européenne, dépend du futur gouvernement belge, qui sera aussi issu des urnes, au même moment que les élections européennes. Elle coûterait au Mouvement réformateur (MR), son parti, l'équivalent d'un poste de ministre (3). N'oublions pas non plus que pour le poste de Spitzenkandidat, lors des élections, les Renew ne semblaient pas vouloir de Charles Michel, préférant une autre personnalité, plus dynamique et à même de rassembler l'électorat européen (cf. Carnet 30.01.2024).

Chef de la diplomatie européenne ? Pas évident

Charles Michel aurait-il envisagé de devenir Haut représentant de l'UE ? Non seulement, la double casquette de vice-président de la Commission aurait entraîné des difficultés analogues dans le contexte de la future coalition en Belgique. Mais cette hypothèse est extrêmement fragile si un libéral occupait le poste de président du Conseil européen (hypothèse Rutte) ou si, à l'inverse, ce poste était dévolu aux libéraux (le Conseil européen étant occupé par un social-démocrate). D'autant que ce poste a jusqu'à présent toujours été occupé par d'anciens ministres des Affaires étrangères. Ce que n'a jamais été Charles Michel. Bref, l'avenir européen de l'intéressé n'était pas automatiquement facilité par l'entrée en campagne.

Commentaire : un certain amateurisme

Aucune des explications rationnelles données ne colle réellement à cette entrée en campagne électorale. Et pas davantage au retrait quelques jours plus tard. Charles Michel ne s'en est que peu expliqué finalement, mis-à-part quelques mots dans la presse nationale ou sur les réseaux sociaux. Mais renonçant à venir en débattre avec les eurodéputés à Strasbourg mercredi dernier (24 janvier), pour cause de « lumbago aigu ». Ce qui n'est pas digne d'un débat démocratique.

L'impression qui demeure est finalement celle d'un certain amateurisme et d'une relative méconnaissance du rôle dévolu au Président du Conseil européen. Le retrait étant tout aussi dommageable, voire plus, que l'entrée en campagne, il en reste un goût amer. Celui d'une erreur d'appréciation, plus digne d'un Don Quichotte se battant contre les moulins à vent, et emporté par ses pales, que d'un d'Artagnan partant guerroyer à la lueur de sa fine lame. Dommage...

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Des esprits machiavéliques pourraient même penser à un cadeau indirect à Viktor Orban. En lui permettant d'occuper temporairement le poste de président du Conseil européen, cela pouvait le flatter et le grandir aux yeux de son opinion publique nationale. Et ainsi obtenir quelques concessions sur certains dossiers en cours.
  2. Il n'est pas le seul si on écoute Viktor Orban : « La présidente von der Leyen a également des ambitions, elle doit donc montrer son vrai visage », indiquait récemment sur la radio nationale le Premier ministre hongrois.
  3. La nomination du commissaire européen entre normalement dans la négociation des différents postes entre les partis d'une coalition en Belgique. Elle vaut deux points, selon la loi D'Hondt utilisée pour cette répartition (cf. étude du CRISP de 2011).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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