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Le destroyer italien Caio Duilio assurera le commandement sur zone (Photo : Marine Italienne)
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[Décryptage] L’opération EUNAVFOR Aspides officiellement établie (v3)

(B2 - exclusif) Objectif, modes d'action, zone d'opération, commandements, budget, coordination, renseignement... les éléments principaux de la nouvelle opération européenne en mer Rouge et dans le golfe d'Aden sont aujourd'hui connus. Explications de texte.

Validée par les ambassadeurs adjoints auprès de l'UE (Coreper 1), mercredi (7 février), la décision établissant l'opération EUNAVFOR ASPIDES, « de sûreté maritime pour assurer la sécurité de la liberté de navigation en lien avec la crise de la mer Rouge », a été adoptée par procédure écrite, ce jeudi (8 février). Elle sera politiquement assumée par les ministres des Affaires étrangères de l'UE lors de sa réunion le 19 février. En même temps que la décision de lancement, actuellement examinée par les experts du groupe Relex.

Une décision adoptée au pas de charge

Toute la planification (de la réflexion au lancement) aura ainsi été bouclée en deux mois. Ce qui est rapide pour l'Union européenne, même si certains esprits chagrins (ou réalistes) remarqueront que du point de vue de la situation sur place, c'est quand même un peu lent. Il a fallu jongler, en effet, avec les difficultés politiques. Envisagée au départ comme un appendice de l'opération Atalanta (projet retoquée par l'Espagne), puis comme le développement de l'opération Agenor (projet retoqué par les pays du Golfe), elle a subi une troisième évolution, consistant à redévelopper en urgence la dernière option : monter une opération entièrement nouvelle.

Un objectif stratégique : la liberté de navigation

L'opération EUNAVFOR Aspides doit contribuer à la sûreté maritime (maritime security) le long des « principales voies maritimes de communication » dans la zone. « en coopération avec les autres acteurs majeurs » (article 1-1). L'objectif « stratégique » est d'assurer « une présence navale de l'Union dans la zone d'opération » (article 1-4).

Trois modes d'action

Ils seront de trois types (article 1-5) :

  • 1. « accompagner les navires dans la zone d'opération » (NB : la nature des navires comme leur pavillon n'est pas précisée, il s'agit donc de tous les navires : marchands, plaisance, etc. Par priorité, EUNAVFOR s'occupera des navires de nationalité/pavillon européen, mais elle pourra accompagner aussi tout autre navire ;
  • 2. « assurer une surveillance de la situation maritime dans la zone » ;
  • 3. « protéger les navires contre des attaques multi-domaines en mer » dans la « sous-zone d'opération », « dans le plein respect du droit international », en respectant les « principes de nécessité et de proportionnalité ». NB : on peut remarquer que l'encadrement assez strict de la réplique se distingue du processus de réponse américano-britannique plus préventif. Coté européen, la protection est défensive. Elle induit normalement une capacité de réplique et destruction des menaces (missiles, drones) dans la zone maritime concernée, selon notre analyse. Précisons qu'elle ne peut jouer que dans la « sous-zone d'opération » alors que l'accompagnement des navires se fait dans toute la zone d'opération.

Zone d'opération

La zone d'opération définie dans la décision (article 1-3) est très large. Elle va au-delà même de la zone assez limitée des dernières attaques (lire dossier n°101 Aspides). Elle s'étend ainsi « entre le détroit de Bab-el-Mandeb et le détroit d'Ormuz, les eaux internationales de la mer Rouge, du golfe d'Aden, de la mer d'Arabie, du golfe d'Oman et du golfe persique ». Les « limites exactes (de cette zone), des sous-zones et la Zone d'Intérêt seront définies dans les documents de planification opérationnelle », est-il indiqué.

NB : une façon de garder une certaine souplesse dans la définition de la zone d'intervention des navires européens, mais aussi de préserver l'avenir et, au besoin, de fusionner les différentes opérations maritimes dans la zone (l'opération multinationale Agenor notamment). Option envisagée au début de la planification mais qui n'a pu être réalisée, faute d'assentiment notamment des pays de la région (Émirats arabes unis en particulier). La sous-zone d'opération semble selon nos informations plus strictement limitée à la mer Rouge (sud), au détroit de Bab-el-Mandeb et au golfe d'Aden.

Un commandement tripode grec-italien-français

Comme annoncé, le commandement d'opération sera assuré depuis le quartier-général de Larissa (OHQ) en Grèce. Le commandant d’opération étant lui-même un officier supérieur de la marine grecque : le commodore (contre-amiral) Vasileios Gryparis (1) (article 2) (lire : [Confidentiel] Aspides. La nouvelle opération maritime de l’UE commandée depuis la Grèce).

NB : Il sera assisté d'un numéro 2 français, le capitaine de vaisseau Geoffroy Roussel. Tandis que le commandement de force (FHQ) sera assuré par l'Italie à bord d'un navire de la classe Orizzonte / Horizon, le destroyer Caio Duilio (D554) doté de capacités anti-aériennes, notamment du système PAAMS (Principal Anti-Air Missile System).

Durée de un an

L'opération est prévue pour durer un an à compter de la date de lancement (article 11-2), soit jusqu'au 19 février 2025 si les délais sont tenus. NB : elle pourrait être reconduite si la menace des Houthis persiste ou, à l'inverse, passer en "sourdine" si celle-ci disparait. Le moment de la révision stratégique n'est pas indiqué de façon fixe, elle interviendra au « moment opportun » (article 11-3).

Un budget modeste

Le budget en coûts communs est défini à huit millions d'euros, pour la première année d'exercice, financé par la Facilité européenne pour la paix (article 9). Il comprend essentiellement les moyens de commandement (état-major d'opération et état-major de force) et ne tient pas compte des moyens opérationnels mis à disposition en mer ou dans les airs par les États membres (navires, avions, drones et personnel).

Une chaine assez classique de commandement et de soutien

La chaine de commandement est celle classique des opérations militaires. Mais certains détails ont été ajoutés qui ne figuraient pas dans les décision précédentes (sur l'opération Atalanta) : en termes d'informations plus régulières ou de soutien technique et informationnel.

Le COPS au centre de la chaine de commandement politique

Ce sont les ambassadeurs du COPS (Comité politique et de sécurité qui assurent la « direction stratégique et le contrôle politique » de l'opération (article 4-1 et s.). La direction militaire étant assurée par le comité militaire qui « assure le suivi de la bonne exécution de l’opération » (article 5-1 et s.). Au niveau politique, c'est le Haut représentant qui est « responsable de la bonne mise en œuvre de la décision, de la cohérence avec l'action extérieure de l'Union » (article 6-1 et s.).

Une information constante

Les ambassadeurs des 27 sont tenus « régulièrement informés de la conduite de l'opération », notamment par le président du comité militaire de l'UE qui vient leur faire rapport à « intervalles réguliers ». Le commandant de l'opération remet « tous les deux mois » un rapport sur la conduite de l'opération (articles 4-3 et 4-4). (NB : une régularité qui n'existe pas automatiquement dans toutes les opérations et témoigne de la sensibilité de Aspides. Le COPS rend compte à son tour au Conseil à « intervalles réguliers » (article 4-5).

Délégations de compétences

Les ambassadeurs du COPS sont habilités à prendre certaines décisions classiques tels que le plan d'opération, la chaine de commandement et les règles d'engagement, ainsi que les nominations des commandants d'opération et de force. Mais la décision « concernant les objectifs et la fin de l’opération militaire » demeure de la compétence du Conseil (article 4-2).

Le Haut représentant de l'UE est habilité à « transmettre à certains Etats tiers désignés » certains documents non classifiés de l'UE article (10-1) ainsi que « certaines informations classifiées » article (10-2). Il peut aussi « conclure tous les arrangements nécessaires en matière d'échanges d'informations » avec des tiers (article 10-5). NB : parmi les États tiers, on peut penser immédiatement aux USA ainsi qu'à la Norvège.

Coordination politique

C'est le Haut représentant et le service européen pour l'action extérieure (SEAE) qui servent de « point de contact principal » avec les Nations unies, les autorités des pays de la région, les acteurs bilatéraux et multinationaux (article 6-2). Une coordination étroite devra être recherchée avec deux organisations en particulier (le Conseil de coopération du Golfe et la Ligue des États arabes) et deux pays partenaires (USA et Royaume-Uni).

Coordination militaire

L'opération se coordonnera « de façon étroite » avec l'autre opération maritime européenne présente à proximité, EUNAVFOR Atalanta (article 6-3), dont la zone d'opération (mer Rouge, golfe d'Aden, océan Indien) recoupe pour partie les mêmes eaux. Elle « coopérera avec l'opération Prosperity Guardian » (NB sous direction américaine), avec les « forces maritimes combinées » (CMF) et les « États volontaires » œuvrant dans la même zone (article 6-4).

Soutien informationnel

L'opération recevra le soutien du centre satellitaire de l'UE (SatCen) et du centre d'analyse du renseignement de l'UE (IntCen) dans le « recueil des informations nécessaires pour remplir ses tâches » (article 6-7). La liaison avec la marine marchande sera assurée à travers le MSCHOA, le centre de sûreté maritime pour la Corne de l'Afrique, situé à Brest en France (article 6-6).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Document : Décision FR / ENG / DE (publié au JO le 12 février)

  1. Et non Vasilios Griparis comme écrit à l'origine. Une décision rectificative du Conseil a été enregistrée.

Mis à jour : Correction de l'orthographe du nom du commandant + (12.1) le texte intégral avec correction des citations selon la traduction officielle

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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