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E. Macron / O. Scholz (Photos : Conseil de l'UE - Fusion : B2)
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[Verbatim] Soutien militaire à l’Ukraine. Entre Paris et Berlin, comme des zestes de nuance. Kiev en arbitre ?

(B2) À fin du Conseil européen, nous avons pu assister à un échange à fleurets mouchetés, par conférences de presse interposés, entre le chancelier allemand et le président français. Des messages subliminaux ont été passés de part et d'autre du Rhin, en particulier sur le futur de la facilité européenne pour la paix. Avec un président ukrainien en guise d'arbitre. A vos décodeurs...

E. Macron / O. Scholz (Photos : Conseil de l'UE - Fusion : B2)

Malgré les dires des uns et des autres, les 27 n'ont pas tout à fait réussi à se mettre d'accord sur les principaux éléments de réforme de la Facilité européenne pour la paix, renvoyant le sujet aux experts et aux ministres, comme en attestent la dernière mouture des conclusions, disséquée par B2 (lire : [Décryptage] Pas encore d’accord sur le fonds d’assistance pour l’Ukraine. Une copie à revoir).

L'Allemagne ne bloque pas, elle veut que tout le monde en fasse davantage (Olaf Scholz)

L'Allemagne est devenue en 2023 le premier fournisseur d'aide militaire à l'Ukraine, juste derrière les Etats-Unis. Mais l'aide allemande ne suffira pas à elle seule. Tous les Européens doivent faire plus, scande le chancelier fédéral. Ce qu'il a dit au Bundestag, mercredi (31 janvier), il l'a martelé, à deux reprises, face à la presse, à son arrivée au Conseil européen et lors de sa conférence finale.

Olaf Scholz face à la presse (Photo : Conseil de l'UE)

Pas de blocage allemand

« Il n'y a pas eu de discussions sur la Facilité européenne pour la paix (...) Nous allons devoir la développer », a affirmé Olaf Scholz. NB : il joue sur les mots. Certes il n'y a pas eu de débat approfondi en soi. Mais le point des conclusions avait été discuté en amont par les ambassadeurs et sherpas. Et plusieurs leaders ont abordé le sujet de façon nette ; les propos de V. Zelensky et E. Macron en témoignent.

Montrer le chemin aux USA

Pour Olaf Scholz, les discussions doivent se poursuivre pour augmenter l'aide de "tous" à l'Ukraine. Une nécessité aussi pour aider le président Biden à trouver une majorité au Congrès américain pour continuer à aider l'Ukraine. NB : un point consensuel parmi tous les leaders. Les Européens montrent la voie aux USA.

Un message essentiel : chacun doit prendre sa part

S'il ne lie pas directement l'avenir de la Facilité européenne à la contribution allemande, le chancelier allemand insiste pour que chaque État membre contribue davantage. Et, le cas échéant, revoie ses engagements à la hausse. Il faut donc davantage de clarté pour comprendre ce que chacun fait très concrètement. Et que chacun réfléchisse à ce qu'il peut faire de plus. À ce stade, « cela ne suffit pas ». « Nous ne faisons pas assez en tant qu'Union européenne », affirme Olaf Scholz, ajoutant qu'il n'est pas perturbé à l'idée que l'Allemagne doive en faire plus.

L'Allemagne en fait-elle vraiment plus que les autres ?

Quant au chiffre avancé par Josep Borrell pour montrer une progression de l'aide militaire européenne (28 milliards en tout déjà fournis par les Européens et 21 milliards promis pour 2024), piqué au vif, Olaf Scholz a répondu, narquois : « Et ça vous l'avez cru ? ». Ces chiffres induiraient en effet que l'aide militaire allemande ne constitue qu'un tiers de l'aide militaire européenne, alors que le chancelier parle de 50%... Mais pour le chancelier, ces chiffres agrègent des données sur des livraisons, commandes et intentions « sur plusieurs années ». « D'après ce que nous avons compris, on y trouve les sept milliards (d'aide militaire allemande programmée en 2024) et les six milliards d'engagements » pour 2025, a-t-il expliqué, réclamant une fois encore davantage de transparence.

Il faut passer à l'économie de guerre !

Sans répondre directement à son collègue allemand, le président français lui a adressé quelques « scuds » par presse interposée (1). Tout d'abord dans son propos liminaire lors de la conférence de presse finale, puis avec des précisions sur l'économie de guerre en répondant à une question de B2.

Emmanuel Macron face à la presse (Flux images : EBS - Sélection B2)

La différence sur le champ de bataille

Dans le cadre de ses « engagements bilatéraux, la France fournit des capacités critiques qui peuvent faire la différence sur le champ de bataille », a d'emblée affirmé Emmanuel Macron.

  • NB : Sous-entendu, la France fournit moins sans doute que l'Allemagne, mais c'est plus efficace...

La Facilité, une question de cohérence

Et « Au-delà (du) soutien bilatéral, notre soutien doit se poursuivre au niveau de l'Union européenne ». C'est « une question de cohérence réaffirmée de manière très claire » lors de la réunion. « Nous devons nous doter d'instruments européens qui permettent de préserver la cohérence européenne et la pérennité de l'effort vis à vis de l'Ukraine. » La Facilité européenne de paix devra non seulement « continuer à être mobilisée ». Mais il va falloir la « faire évoluer vers une logique de production et d'acquisition conjointes ».

  • NB : alors que le chancelier dit que la question n'a été abordée, on voit bien qu'il y a un débat autour de la Facilité. La notion de cohérence indiquée par le président français peut vouloir dire "cohérence" avec les autres instruments européens, type ASAP, qui avait prévu une priorité donnée à l'industrie européenne.

Une préférence européenne à mettre en avant

Toute la réflexion doit « aller de pair avec le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne ». « Nous devons assumer une préférence européenne que ce soit dans la facilité européenne de paix transformée. Ou dans les futurs instruments. »

Un rendez-vous manqué sur les munitions...

Sur les munitions, « ce n'est pas normal qu'on ne soit pas au rendez-vous de l'engagement qui avait été pris », reconnait le président français. Il faut « aller, tous, de manière très concrète vers l'économie de guerre, en réalité. Car [dans les faits] nous ne sommes pas encore en économie de guerre. »

...Un retard sur l'économie de guerre

Si la France a « réussi » avec certains industriels à accomplir ce saut, « par exemple, les canons Caesar », il y a « beaucoup de secteurs en France et partout en Europe où nous n'avons pas réussi à  drastiquement baisser les délais et [augmenter] les volumes. C'est cela qu'a fait la Russie. Il faut être beaucoup plus exigeant avec nos industriels. Et il faut mobiliser nos financements là-dessus. »

Utiliser les avoirs gelés

Une partie du soutien pourra venir des avoirs gelés. « Nous avons franchi une étape importante en décidant de séparer les intérêts des actifs russes immobilisés. La seconde étape sera la manière de décider la manière d'utiliser ces intérêts et leur affectation. » NB : un point qui est encore en débat en effet.

(Olivier Jehin & Nicolas Gros-Verheyde)


L'Europe doit être fiable sur ses promesses

Lors de son intervention devant les 27, au début de la réunion du Conseil européen, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a adjuré les Européens de montrer leur unité sur le soutien militaire : « Surtout cette année, il est essentiel et décisif de démontrer la fiabilité totale de l’Europe et l’efficacité de ses décisions. »

Le président ukrainien face aux 27 par vidéoconférence alerte sur le défi présenté par les livraisons en nombre de munitions de la Corée du Nord à la Russie. (Flux images : Présidence Ukraine / Sélection : B2)

Cinq milliards par an, c'est le minimum

« Votre unité est (d'autant plus) nécessaire pour créer le Fonds d’assistance à l’Ukraine au sein de notre Facilité européenne pour la paix. C'est ce type de fiabilité et de soutien à long terme que nous devons désormais confronter aux défis correspondants. » Il faut « pas moins de cinq milliards d'euros par an, pour une durée de quatre ans. C'est une priorité claire ! »

Le retard préjudiciable sur les munitions de l'Europe

Cette année, la Russie « va recevoir un million d'obus d'artillerie de Pyongyang (Corée du Nord). »  L'Europe est-elle au rendez-vous ? « Malheureusement, la mise en œuvre du plan européen visant à fournir un million d’obus d’artillerie à l’Ukraine est retardée. C'est aussi le signe d’une concurrence mondiale dans laquelle l’Europe ne peut pas se permettre de perdre. »

Un message clair aux USA

Évoquant le plan de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine, il a remercié les 27. « L’Europe – aujourd’hui – envoie un signal outre-Atlantique et dans le monde entier : l’ordre mondial fondé sur des règles internationales résistera à tous les défis. L’Europe donne le ton aux affaires mondiales – avec son unité. C'est un fait. Et cela doit le rester. »


  1. Emmanuel Macron est arrivé devant la presse largement après son alter ego allemand ainsi que d'autres dirigeants (Charles Michel & Ursula von der Leyen, notamment). Ce qui lui aura permis de peaufiner son intervention. Son propos était il est vrai dédié à la question agricole avec une volonté très claire de déminer le mécontentement du monde rural.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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