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(Photo : DFAE Suisse)
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[Analyse] Le sommet pour la formule de paix de Bürgenstock. Un semi-échec diplomatique pour la Suisse comme pour l’Ukraine

(B2) Réuni à l'initiative de la Suisse dans la station alpine de Bürgenstock, près du lac de Lucerne, les 15 et 16 juin, le sommet n'a pas réussi à articuler une voie vers la paix lucide et claire. Des défections se sont même fait sentir du côté des BRICS mais aussi des pays arabes. Inquiétant...

Quelques mesures concrètes

79 pays, dont les 27 États membres de l’UE, sur les 92 participant au sommet ont signé la déclaration finale affirmant l’intégrité et la souveraineté du territoire ukrainien. Ils s’engagent à « prendre à l’avenir des mesures concrètes » sur trois points : la nécessaire protection des installations nucléaires civiles, la sécurisation de la navigation « commerciale » en mer Noire et la mer d'Azov (« essentielle » pour « la sécurité alimentaire mondiale »), et la libération des enfants ukrainiens et des prisonniers de guerre. Une déclaration signée également par les quatre organisations européennes participant à la réunion (Conseil de l'Europe, Commission européenne, Conseil européen et Parlement européen).

Pas de suite prévue tout de suite ?

« Un message clair aux personnes en Ukraine et à tous ceux directement touchés par les conséquences de la guerre. Une grande partie de la communauté internationale a exprimé sa volonté de s’engager sur la voie du changement », s'est réjouie la présidente de la confédération suisse, Viola Amherd. Mais pour la suite de cette réunion, cela parait plus flou. « Tout dialogue futur avec la Russie doit se fonder sur le droit international et la charte des Nations unies. Et c'est à l'Ukraine de décider quand cela sera possible », reconnait le président du Conseil européen Charles Michel, lors de son discours samedi (15 juin).

Quelques absents de taille

Malgré le faste et le nombre d'invités prestigieux — la présence de 57 chefs d'État et de gouvernement et de 30 ministres —, la réalité est plutôt décevante. Le communiqué final n’a pas été signé par une vingtaine de pays et non des moindres. L’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, le Brésil, l’Inde et l’Indonésie n'ont pas apposé leur signature, suivis par l’Arménie, les Émirats arabes unis, l’Irak, la Jordanie, la Libye, le Mexique, la Thaïlande. Et de nombreux pays n'étaient pas là, à commencer par la Chine, acteur majeur au niveau mondial, la majorité des pays africains (seuls 11 étaient présents sur les 54 du continent) ou du Sud Global.

Photo de famille du sommet de Bürgenstock (© DFAE Suisse)

Commentaire : un semi-échec

Cette conférence organisée par la Suisse s'avère donc un semi-échec. Sur des sujets pourtant consensuels (sécurité nucléaire, sécurité alimentaire, poursuite des crimes de guerre), le sommet n'a pas réussi à drainer davantage que les soutiens à l'Ukraine lors des résolutions votées par l'Assemblée générale des Nations unies (1). Il est même possible de dire que le sommet en Suisse singifie un recul des soutiens à l'Ukraine. Quelques-uns des pays (Arabie saoudite, Brésil, Mexique, Thaïlande, Irak, Jordanie, Libye) qui soutenaient l'Ukraine à New-York, en février 2023, ont ainsi refusé de signer la déclaration commune.

L'Ukraine en position de faiblesse diplomatique

L'idée d'un sommet sur cette formule de paix, sorte de préalable à des négociations avec la Russie, mais sans la participation du principal protagoniste, était très audacieuse. Son objectif était d'amener l'Ukraine sur une position diplomatique forte. Il est raté. Reconnaissons-le. Non seulement, Kiev n'est pas en position de force sur le terrain au niveau militaire, mais sur le plan diplomatique, l'Ukraine subit certaines défections, y compris de pays considérés comme proches du camp occidental. Ce qui devrait inciter à réfléchir. Le conflit au Proche-Orient a-t-il fait évoluer certaines positions ? Sans doute.

Un échec de la diplomatie suisse

Au sortir de la réunion de Bürgenstock, la Russie confirme en fait qu'elle n'a pas perdu toutes ses cartes diplomatiques. Son isolement, voulu par les Occidentaux, reste limité. Le Kremlin pourrait même paraître conforté finalement. Tout l'inverse de l'objectif voulu au départ. La Suisse, de son côté, a perdu une chance de s'imposer comme un intermédiaire de paix. Des pays comme l'Arabie Saoudite ou d'autres paraissent finalement plus propices à rassembler les deux camps. Le seul intérêt de cette réunion aura finalement été de faire revenir le sujet de la paix sur le devant de la table. On ne peut donc parler d'un échec total.

Changer de méthode ?

Comme l'a indiqué le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, lors de la réunion  « il est opportun de trouver des moyens d’impliquer la Russie et la Chine dans le processus visant à mettre fin à la guerre ». Un chef d'État qui condamne pourtant, sans ambages, « l'hégémonie des grandes puissances et l'intimidation des petits États par les grandes puissances », selon le média ivoirien Koaci. Bref, il s'agit de trouver d'autres voies que de grandes réunions, déclamatoires, aux résultats faibles.

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Emmanuelle Stroesser)


Une fausse proposition de paix russe

Faite à distance dans le même tempo, la proposition russe de paix — retrait des quatre oblasts annexés par la Russie et engagement à ne pas adhérer à l'OTAN — a suscité le rejet par l'Ukraine comme par les Européens. « Poutine n'est pas sérieux dans son engagement à mettre fin à la guerre. Il insiste sur la capitulation. Il insiste pour que l’Ukraine cède son territoire, même celui qu’il n’occupe pas aujourd’hui. Il insiste pour désarmer l’Ukraine, la rendant ainsi vulnérable à une future agression. Aucun pays n’accepterait jamais ces conditions scandaleuses », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, face à la presse. (déclaration)


  1. À l'ONU, environ 140 pays ont condamné l'agression russe, mais 45 se sont régulièrement abstenus ou n'ont pas pris part au vote (lire : [Actualité] L’assemblée générale de l’ONU vote pour la paix pour l’Ukraine. Le Sud s’abstient).

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