[Actualité] L’Azerbaïdjan menace le prix Sakharov. Le Parlement européen insiste
(B2) Le Dr Gubad Ibadoghlu, militant azéri de la lutte anti-corruption, devait s'exprimer au Parlement européen, mardi 17 décembre. Les autorités azerbaïdjanaises l'en ont empêché. Sa fille, présente à Strasbourg, fait écho de la situation dans le pays. Où toute voix critique du régime Aliyev est réprimée.
L'économiste était l'un des trois finalistes pour le prix Sakharov (lire [Actualité B2]), proposé par le groupe des Verts (lire [Actualité B2]). Arrêté en juillet 2023, il a été empêché de quitter son pays pour l'Allemagne (Dresde) où il devait occuper un poste de professeur invité, à l’université technique de Dresde. Emprisonné jusqu'en avril 2024, il vit depuis en liberté très surveillée, assigné à résidence. Ce que dénonce une nouvelle résolution du Parlement (cf. encadré).
Micros coupés
Les autorités azerbaïdjanaises n'aiment pas être mises sur la sellette. La coupure inopinée du réseau internet du Dr Ibadoghlu n'a presque surpris personne au Parlement européen, mardi matin. Le finaliste du prix Sakharov était injoignable. Il n'avait pas non plus pu rejoindre le bureau de la délégation de l'UE, option envisagée après que les autorités l'ont empêché de prendre l'avion pour rejoindre Strasbourg.
Menaces sur les familles
« Les services secrets de sécurité ont appelé nos proches et prévenu qu’il y aurait des conséquences si mon père s'adressait au Parlement », raconte Zhala Bayramova, avocate à la Cour européenne des droits de l'Homme, fille et représentante de Gubad Ibadoghlu. Le régime fonctionne comme cela, explique-t-elle, « en menaçant les proches, par exemple les mères de journalistes de leur bloquer leurs pensions ».
De l'importance des résolutions du Parlement
La famille Ibadoghlu a obtenu en avril 2024 qu'il sorte de prison, « grâce à la dernière résolution du Parlement européen [lire [Actualité B2]]», affirme sa fille. Assigné à résidence, le professeur a pu rencontrer la ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, ainsi que des parlementaires européens et journalistes, profitant de la COP 29 pour venir le voir. La répression s'est de nouveau abattue sur les médias et militants sitôt les projecteurs de la COP éteints.
L'enfer azerbaïdjanais
« C'est l'enfer », glisse Zhala Bayramova, elle-même réfugiée en Suède, suivie par le centre de la Croix-Rouge à Malmö, spécialisé dans le traitement des personnes en lien avec des actes de torture. Elle y a été rejoint par sa mère, qui grâce à une résolution du Parlement, en septembre 2023, a pu quitter le pays. Un de ses frères, aux États-Unis, « vit sous protection du FBI », en raison des menaces pesant sur sa personne.
La realpolitik des marchés du gaz et du pétrole
Les travaux du Dr Ibadoghlu documentent depuis des années les dessous des marchés de gaz et de pétrole et la corruption du régime Aliyev. Un régime qui « s'est toujours soucié de sa réputation » et qui cherche aujourd'hui à « doubler les contrats de pétrole et de gaz en Europe ».
Citant notamment l’Allemagne et la République tchèque qui « achètent aussi du pétrole et du gaz de l’Azerbaïdjan », Zhala Bayramova, en contact avec ces différents pays, interroge : « l’Union européenne prétend que ses liens économiques lui permettent de répandre les droits de la personne et la démocratie. D'accord, mais comment expliquer que ces pays ne soient pas en mesure d'obtenir que les prisonniers politiques comme mon père voient enfin un médecin, comme nous le demandons depuis des mois ? »
(Emmanuelle Stroesser, à Strasbourg)
Le Parlement appelle l'Union européenne à cesser le double jeu
Le paragraphe le plus important de la nouvelle résolution d'urgence adoptée par le Parlement, jeudi 19 décembre, est le cinquième souligne Petras Austrevicius, co-négociateur (pour Renew). Il demande des sanctions « contre les fonctionnaires azerbaïdjanais responsables de graves violations des droits de l’homme, notamment Fuad Alasgarov, Vilayat Eyvazov et Ali Naghiyev ». Soit, « un fidèle [du président Ilham] Aliyev, son ministre de l'intérieur et le chef du service de sécurité », détaille l'eurodéputé lituanien.
Le Parlement « insiste » aussi pour que « tout accord de partenariat entre l’Union et l’Azerbaïdjan – y compris en matière d’énergie – [impose] des conditions strictes en vue du respect des droits fondamentaux et de la libération de tous les prisonniers politiques ». En conséquence, la Commission européenne doit « suspendre le protocole d’accord de 2022 sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie ».
Documents : résolution du Parlement européen (19 décembre)
Entretien réalisé, mardi 17 décembre, en face à face, en anglais