B2 Pro Le quotidien de l'Europe géopolitique

Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

Discussion sur les conclusions - vue par les Français (crédit : Elysée)
Diplomatie UE

Un G7 fractionné. Les Européens et Américains sont-ils encore des alliés ?

(B2) Le président américain Donald Trump n’amuse plus guère les Européens. La réunion du G7 à Charlevoix au Québec les 8 et 9 juin l'a montré. Les États-Unis restent un partenaire incontournable. Est-ce encore un allié sûr et fiable ? Difficile à l'affirmer

Au-delà de la bataille sur l'acier, du climat ou du commerce, la problématique du G7 semble en fait se concentrer sur un bras de fer, ancré de défiance UE-USA, autour de questions très géopolitiques : le multilatéralisme, la place de l'Europe dans le monde, la primauté donnée aux États-Unis, la réintégration de la Russie dans le circuit international, etc. A l'image de cette photo qui a été maintes fois diffusée — les chefs et leurs sherpas négociant des conclusions sur une nappe blanche —, la table des négociations semble devoir faire l'objet d'une confrontation et d'une interprétation différente, plutôt que d'un consensus.

Un sommet raté avant même d'avoir commencé

Avant même l'arrivée officielle des Chefs d'État prévue le vendredi 8 juin, le Sommet avait déjà mal commencé. Les présidents français et américain se sont échangés des mots doux sur Twitter à la veille du Sommet, exposant leurs intérêts dans les négociations. Puis le président du Conseil européen, Donald Tusk, a également pris la parole, faisant part de ses commentaires vis-à-vis des États-Unis. Inquiet sur le tournant que pourraient prendre les négociations, il a notamment cherché à avertir les Américains.

Des tweets en bataille

La veille des négociations, le président américain Donald Trump a entrepris, via Twitter, de donner le la au G7. Entre autres, il a souligné de bien vouloir « s'il vous plait, informer le Premier ministre Trudeau et le Président Macron qu'ils taxent les États-Unis de  tarifs massifs et créent des barrières non monétaires ».

Faisant un détour par les produits fermiers que le Canada « taxe » les États-Unis « jusqu'à 300%, faisant du mal aux fermiers et tuant l'agriculture », qui comme « l'Union européenne, n'informe pas le public que, depuis des années, ils utilisent des tarifs massifs et barrières commerciales non monétaires à l'encontre des États-Unis ».

Le président français Emmanuel Macron a également réagi à l'avance via Twitter : « Les tensions montent partout. Ce G7 sera exigeant. Le risque : créer un monde de la loi du plus fort ». Et annonce que « ce n'est ni bon pour nous, ni pour aucun de nos pays amis dans le monde. C’est pourquoi nous continuerons à nous battre ». Chemin qu'il a également pris au cours de sa Conférence de presse aux côtés de Justin Trudeau tenue la veille du G7, où il a déclaré que « peut-être que ça lui est égal aujourd’hui, au président américain, d’être isolé, mais nous ça nous est aussi égal d’être à six si besoin était parce que ces six là représentent des valeurs, un marché économique, qui constitue une vraie force au niveau international aujourd'hui ».

Un ordre international menacé ou menaçant

« À l'évidence, les désaccords entre le président américain et le reste du groupe persistent (...). Ce qui m'inquiète le plus, cependant, c'est que l'ordre international fondé sur des règles soit contesté », regrettait Donald Tusk avant même le début des négociations. « Étonnamment, ce ne sont pas les habituels suspects (usual suspects) qui sont en cause, mais bien le principal architecte et garant de cet ordre : les États-Unis ». Réaliste, le président du Conseil européen a reconnu ne pas pouvoir « forcer les États-Unis à changer d'avis. [Mais] mettre cet ordre à bas n'a pas le moindre sens. » Et d'ajouter : un « nouvel ordre post-occidental [dans lequel] la démocratie libérale et les libertés fondamentales cesseraient d'exister » n'est « ni l'intérêt des États-Unis ni celui de l'Europe ».

Une déclaration finale ...

Après plusieurs heures de discussions, une déclaration finale a pu être approuvée par les Sept. Elle prend en compte plusieurs domaines, comme la lutte contre le protectionnisme commercial et leur engagement à une réforme de l'Organisation mondiale du commerce. Un focus sur la Russie et son implication dans le régime syrien a été réalisé, puis sur la dénucléarisation de la Corée du Nord et de l'Iran. Les Européens et le Japon se sont réaffirmés en faveur de l'accord de Paris sur le climat. Sur une question moins délicate, les Chefs d'États ont partagé le besoin d'une croissance inclusive et à l'égalité entre les femmes et les hommes.

...non approuvée du côté US

Mais coup de théâtre, alors que le sommet était terminé, et le président américain déjà dans l'avion, il a annoncé via Twitter son retrait de la déclaration finale. Un geste de mauvaise humeur en réponse aux commentaires du Premier ministre canadien Justin Trudeau qu'il qualifie de « faux », accompagnés des « tarifs massifs que le Canada applique aux fermiers, travailleurs et entreprises américains ».

Les leçons à tirer : un fossé qui s'agrandit

Une rivalité qui ne date pas d'hier (Pascal Lamy)

Entre USA et Europe, la rivalité commerciale ne date pas de Donald Trump. « On se trouve face à un conflit, une dispute qui ressemble d'assez près à ce qui s'est passé en 2002, où l'administration de G.W. Bush avait pris des mesures de sauvegardes sur l'acier, où l'Union européenne avait trainé les USA devant l'OMC et pris des mesures de rétorsion » (1), a nuancé l'ancien commissaire au Commerce de l'époque Pascal Lamy sur France-Culture.

De même dans le conflit entre Airbus et Boeing, les mots ont volé durs durant un certain temps entre les deux rivaux atlantiques. « Si cela n'était monsieur Trump, ceux qui l'entourent avec leur vision chamboule-tout du système multilatéral, on pourrait dire qu'on est dans un cas semble-t-il normal », commente P. Lamy.

Pacta sunt servanda (Commission européenne)

Ce qui prévaut, pour la Commission, c'est « pacta sunt servanda », et rappelle au président américain ses obligations au nom du droit international. En réponse aux questions des journalistes sur le revirement américain de la déclaration finale, le porte parole de la Commission, lundi (11 mai), lors du point de presse quotidien, a assuré que « l'UE continuera de défendre un système fondé sur les règles internationales. La Commission reste fidèle à la déclaration finale du Communiqué et nous prendrons toutes les actions nécessaires à notre niveau pour atteindre et promouvoir les objectifs qu'elle prévoit ». « Le texte reflète les valeurs et politiques que l'UE défend et que nous continuerons à défendre avec nos partenaires. » Jean Claude Juncker, le samedi (9 juin), avait déjà partagé sur son Twitter la volonté de l'UE de défendre ce système.

Une première depuis 1945 (Frans Timmermans)

« C'est la première fois depuis 1945 qu'un président américain ne voit pas comme un intérêt stratégique américain de travailler dur pour s'assurer d'avoir une Europe unifiée et dynamique et une solide relation transatlantique », a indiqué Frans Timmermans, le vice-président de la Commission devant le Parlement européen mardi (12 juin). « Cela signifie que l'Union européenne a besoin plus que jamais de prendre en main sa propre destinée » (2). Même constat du côté allemand.

Être plus offensif (Allemagne)

« Vous pouvez détruire très rapidement une quantité incroyable de confiance dans un tweet. Cela rend d'autant plus important pour l'Europe de rester unie et de défendre ses intérêts de façon encore plus offensive », a souligné le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas. « L'Europe unie est la réponse à l'Amérique d'abord », a-t-il ajouté.

« Je ne crois pas aux miracles. Je crois au travail et à la confiance collective » (Emmanuel Macron)

Le 9 juin, le Président de la République a déclaré via Twitter que malgré la signature d'un communiqué commun, « il ne s'agit pas d'être naïf : une déclaration ne règle pas toutes les divergences », et une fois noté que « le Président Trump a vu qu'il avait face à lui un front uni », rappelé que « se retrouver isolé dans un concert des nations est contraire à l'histoire américaine ». Pour Emmanuel Macron, le Sommet aura tout de même « permis d'illustrer l'efficacité d'un front commun européen, de lever des malentendus sur le commerce et d'amorcer un apaisement », une réussite en soi. De plus, les « échanges ont permis de rétablir la vérité sur les échanges commerciaux entre l’Europe et les États-Unis. Cette compréhension collective est essentielle ».

Ode au multilatéralisme (Theresa May)

Le sommet était, pour la Première ministre anglaise Theresa May, « difficile, avec par moments, des discussions franches. Mais la conclusion [qu'elle] en tire, c'est que c'est seulement par un dialogue continu que nous pouvons trouver des moyens de travailler tous ensemble pour résoudre les problèmes auxquels nous faisons face ». Un coup de pouce aux Européens de la part de Theresa May, qui rappelle que le système international fondé sur les règles du multilatéralisme bénéficient à « tous les citoyens et le monde entier », et « le Royaume-Uni, avec ses alliés et partenaires, continuera de jouer son rôle dans la promotion de cet ordre pour le bénéfice de tous ». 

Commentaire : Une grosse pression sur le sommet de l'OTAN

Après avoir remis en question un certain nombre d'institutions de haut niveau, il semble que la seule qui soit un minimum épargné par le président américain soit l'OTAN. Position à confirmer après le Sommet UE-OTAN qui se tiendra à Bruxelles les 11 et 12 juillet prochains.

(Nicolas Gros-Verheyde & Aurélie Pugnet st.)


La Russie remise au premier plan

Interrogé lors de la conférence de presse, vendredi (7 juin). le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s'est montré disert et direct :  « Lorsqu’il s’agit de la Russie, il faut rappeler les principes. La Russie a violé le droit international en annexant la Crimée, dans l’Ukraine de l’Est. A part cela, il y a de bonnes raisons pour renouer sur d’autres plans... mais nous rejetons la façon agressive de faire de la Russie. Quant à Trump, il ne me surprendra plus ».

Il semble que le but ultime de Trump soit encore une fois de requestionner toutes les décisions prises par ses prédécesseurs, alors qu'il quémande le retour de Vladimir Poutine à la table des négociations, thème par ailleurs qui n'était pas prévu au programme des discussions. Une proposition pour le moins originale alors que ce sont les Américains qui avaient exigé son départ après la Crimée.

Pour autant, alors que le retour du G8 n'a pas convaincu les autres membres, la déclaration du Sommet appuie une demande à la Russie « de cesser son comportement déstabilisant à l'égard des systèmes démocratiques et de cesser de soutenir le régime syrien. Ils ont condamné l'attentat de Salisbury de mars 2018 et ont accepté l'analyse du Royaume-Uni selon laquelle il est fort probable que la Russie ait été responsable de l'attentat ».


Télécharger :

(1) En 2004, le président américain George W. Bush avait qualifié de « injustes » les aides dont bénéficierait Airbus.

(2) It is the first time since 1945 that an American President has not seen it as an American strategic interest to work hard to ensure a vibrant & unified Europe & a robust Transatlantic relationship. This means the EU needs to take its destiny more into its own hands

(3) La France prendra le prochain tour de la présidence tournante du G7, en 2019

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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