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Trump secoue l’Alliance. Une fêlure sérieuse, mais la cassure est évitée

(B2 au siège de l'OTAN - exclusif) C'est au deuxième jour du sommet de l'OTAN, jeudi (12 juillet), que la tornade Trump, tant redoutée, s'est abattue sur les alliés

Au terme d'une conférence de presse assez longue, de 30 minutes, Donald Trump quitte le sommet sur un air vainqueur (crédit : White House / découpage : B2)

Plusieurs des dirigeants européens se sont évertués, tel Emmanuel Macron, à bien distinguer entre les tweets de Donald Trump et ce qui se passait dans la salle. La réalité est légèrement différente.

Au petit-déjeuner, Trump attaque bille en tête

Le premier acte se déroule mercredi, lors d'un petit-déjeuner avec Jens Stoltenberg, à l'ambassade US à Bruxelles. Une rencontre qui ressort plutôt de l'ordinaire de l'Alliance Atlantique. Les collaborateurs sont présents de chaque côté. Le tout est filmé par les caméras officielles de l'OTAN. L'habitude est plutôt d'avoir, du moins sous cet œil public, une conversation tout en sourires. Il n'en est rien. Donald Trump attaque bille en tête, ses alliés, et en particulier l'Allemagne, accusée de pactiser avec la Russie, devant l'air plus que gêné de l'ambassadrice US et du secrétaire général de l'OTAN, qui se tortille de désespoir.

« Nous protégeons l’Allemagne, la France, … et un certain nombre de ces pays créent un pipeline avec la Russie. […] Nous devons les protéger contre la Russie, mais ils lui paient des milliards de dollars. Ce n’est pas vraiment juste. Et l’ancien chancelier allemand est le président de ce pipeline de gaz. L’Allemagne aura automatiquement 70% de son gaz contrôlé par la Russie. Dites-moi : est-ce juste ? (…) Je pense que non. (…) Et pendant ce temps, l’Allemagne dépense à peine 1% de son PIB pour la défense tandis que les USA plus de 4% », fulmine le président américain.

Une séance de travail plutôt convenue, les craintes se dissipent

Le second acte se produit lors de la séance de travail de l'après-midi consacrée, pour partie, au partage du fardeau. Après les discours de bienvenue d'usage, le président Trump prend la parole. Chacun craint son opprobre, après les tweets de la veille et l'entrevue du matin. Il n'en est rien. « Cela se passe plutôt bien », constate un témoin de la scène. Donald Trump évoque bien la nécessité d'atteindre rapidement le 2%, mais ne mentionne l'objectif de 4% que comme une possibilité qu'il serait bon d'atteindre. Le speech est court : 2-3 minutes. Il ne suscite que peu de commentaires, excepté celui du président bulgare qui se demande comment atteindre pareil objectif. A peine son discours terminé, le président Trump quitte la salle pour quelques bilatérales. Tout le monde sort soulagé de la réunion, confiant que la tempête s'est éloignée.

Un dîner hallucinatoire sur la Corée du Nord

Le troisième acte se produit mercredi soir, ou plutôt il ne se produit pas. La séance est extraordinaire au dire d'un témoin. Invité à parler de la Russie, et de ses relations avec Vladimir Poutine, comme des négociations avec la Corée du Nord, le président Trump ignore volontairement le premier sujet et se concentre sur le second. De façon plutôt hallucinatoire, son intervention décousue évoque certes sa rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, mais surtout des détails anachroniques : le fait que celui-ci ne connait même pas Elton John, ou un coup de fil avec un golfeur. « On avait plutôt affaire à un comique ou un amuseur de salles », commente un témoin. Chacun sort, assez perplexe, de ce « dîner de travail » qui ne se révèle pas à hauteur des attentes. Le trio libéral — le Français Emmanuel Macron, le Belge Charles Michel, le Luxembourgeois Xavier Bettel — s'en va manger une frite et boire une bière à la Grand Place de Bruxelles, au Roi d'Espagne, pour se détendre.

La tornade Trump se répand sur la réunion Ukraine

Le quatrième acte se produit jeudi (12 juillet) au matin. Alors que la réunion a déjà démarré avec la Géorgie et l'Ukraine, le président américain qui n'a pas assisté aux premières prises de parole arrive, s'assied et demande la parole. Le tour de parole s'interrompt. « Quand un président américain le demande, il est d'usage de lui donner la parole », rappelle un observateur. Donald Trump a devant lui une feuille de papier avec quelques notes et chiffres. Trump semble furieux. Et il part d'emblée sur son thème favori : les États-Unis paient trop, les alliés européens paient peu. Et il désigne les pays et les dirigeants qui non seulement ne respectent pas l'objectif de 2% mais en sont très loin : Angela Merkel (Allemagne), Pedro Sanchez (Espagne), Charles Michel (Belgique) sont clairement nommés, voire montrés du doigt.

2% immédiatement, 4% plus tard

La diatribe continue durant plusieurs minutes qui paraissent longues (environ 15 minutes). Il faut atteindre l'objectif de 2% « immédiatement », « avant la fin de l'année », et dépenser davantage ensuite pour atteindre 4% ensuite. Un chiffre que les États-Unis atteignent déjà, le dépassant même puisqu'ils sont à 4,2% (NB : un chiffre qui ne correspond pas à la méthode de calcul de l'OTAN. Dans ses dernières statistiques, les États-Unis sont à 3,50%). L'ambassadrice Kay Bailey Hutchison note fébrilement tout ce que dit son président. Certains membres de la délégation américaine sont blêmes. « Apparemment, ils n'ont été prévenus ni des intentions ni du ton employé par le président », constate un témoin. Le ministre de la Défense, James Mattis, qui semble excédé, s'éclipse quelques minutes. Passé l'intervention du président américain, tout le monde est sonné. Le tour de table reprend, les intervenants mêlant alors une réponse à l'objectif demandé par Donald Trump et le discours prévu en direction du dirigeant ukrainien toujours présent. « Un moment très gênant », relate un observateur. Profitant d'une intervention (celle du Premier ministre polonais, semble-t-il), Angela Merkel se rapproche de Jens Stoltenberg et Donald Trump qui coprésident la réunion. On évacue la question ukrainienne. Et une réunion d'urgence est convoquée dans la foulée à 29 chefs, seuls, pour s'expliquer. Les ministres, diplomates et autres personnes présentes quittent la salle.

Une réunion d'urgence en format chefs seuls, pour s'expliquer

C'est le cinquième acte du sommet : une réunion « apparemment rude, difficile » selon nos informations, où Donald Trump répète son laïus. Il faut atteindre l'objectif de 2% du PIB consacré à la défense « immédiatement avant la fin de l'année, et 4% dans les années à venir », répète Donald Trump. Et il assortit cela d'une menace elliptique : « Sinon... »,  sans finir sa phrase. Le mot revient à trois reprises. « Sinon, on fera autrement », lâche-t-il finalement. (NB : contrairement à ce que prétendent certains médias, notamment Der Spiegel, il ne menace pas alors de quitter l'OTAN, laissant des points de suspension sur les possibles mesures de rétorsion). Au passage, il assassine l'organisation de l'Alliance, toute cette bureaucratie, le bâtiment qui a coûté deux milliards de $, etc. Le secrétaire général est vert. En fait, ce que Donald Trump n'a pas apprécié est l'attitude des médias, et surtout des autres dirigeants de l'OTAN, qui n'ont pas vraiment saisi la mesure de ses demandes. Un sentiment de mépris que l'ancien homme d'affaires a fait sentir à ses partenaires. Jens Stoltenberg comprend qu'il faut redresser la barre et donner le sentiment au principal actionnaire de l'Alliance que ses volontés ont été entendues.

Stoltenberg remet Trump au centre du jeu

Le dernier acte se produit à la conférence de presse de Jens Stoltenberg. Soucieux de préserver l'image de sauveur du président américain, le secrétaire général de l’OTAN a expliqué que « tous les alliés ont reçu fort et clair le message du président Trump ». « Nous avons compris que ce président américain est très sérieux quant aux dépenses de défense. Et cela a un réel impact. (…) En fait, depuis que le président Trump a pris ses fonctions, les alliés européens et le Canada ont augmenté leurs dépenses de défense d’un montant additionnel de 41 milliards de dollars », a poursuivi Jens Stoltenberg. Et d’ajouter pour ceux qui n’auraient pas encore compris : « Il y a un nouveau sentiment d’urgence dû au leadership fort du président Trump sur les dépenses de défense ». Conclusion : « Aujourd’hui, tous les alliés ont convenu de redoubler leurs efforts et cela rendra l’OTAN plus forte ».

(NGV et OJ)


De la substance et la communication

Pour le Premier ministre du pays hôte de la réunion, la réunion a tourné au « parler vrai » sous l’effet de Donald Trump. Charles Michel laisse entendre cependant que le coup de théâtre improvisé, jeudi matin, par le président américain relevait de la communication, la substance du sommet se trouvant dans le communiqué final. Il y a eu « un souhait d’une plus grande contribution européenne, de dépenser plus et plus vite », mais il faut « tenir compte des réalités budgétaires de chaque pays ». Pour Charles Michel, s’il y a lieu de « renforcer la solidarité dans l’Alliance » et d’investir davantage dans la défense comme tous les alliés s’y sont engagés lors du sommet du Pays de Galles, il faut aussi « utiliser convenablement l’argent public » et « atteindre 2% du PIB en 2019 n’est pas réaliste ». Selon le Premier ministre belge, le président américain n’a pas menacé de quitter l’OTAN, laquelle sort renforcée de ce sommet. En définitive, l’éclat de Donald Trump a permis de « se parler franchement les yeux dans les yeux, de renforcer la confiance, d’affirmer une ambition, de prendre nos engagements au sérieux et, sur la base des résultats déjà engrangés de 33 milliards de dollars, peut-être plus de faire mieux ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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