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[Entretien] La capacité de mener la guerre aérienne dépasse en complexité tout ce qu’on a pu imaginer (général Lavigne)

Le général d'armée aérienne Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air, en visite sur la base aérienne 120 Cazaux le 9 avril 2020 (SIRPA Air)

(B2 - exclusif) Le SCAF, les défis de l'armée de l'air et les enjeux de son futur poste à l'ACT... Le général Philippe Lavigne actuel chef de l'armée de l'Air et de l'Espace et futur commandant de la Transformation de l'OTAN nous donne quelques clés pour comprendre 

On l'oublierait presque. Mais le système de combat aérien du futur (SCAF) est, aussi, un formidable outil d'intégration et d'innovation des Européens, un fer de lance de la puissance aérienne. Il sera à même répondre aux défis du futur : garder la supériorité opérationnelle, gérer la donnée et partager l'information. Partant de son expérience à la tête de l'armée de l'air, le général Lavigne confie ses priorités pour son nouveau poste, à Norfolk, au commandement de l'ACT, avec l'anticipation en maître-mot.

Le Bundestag a donné, il y a quelques jours, son feu vert au FCAS (ou SCAF selon nos initiales). C'est un soulagement ?

— C'est surtout une belle étape. Ce système de combat aérien du futur sera à la fois la colonne vertébrale, les muscles et la tête de nos capacités futures. Un fer de lance pour notre puissance aérienne. Avec le SCAF, nous façonnons aussi une défense européenne, forte, puissante, concrète. Avec mes homologues allemand (Ingo Gerhartz) et espagnol (Javier Salto Martinez-Avial), nous avons défini nos besoins opérationnels. Et nous continuons de les affiner.

Pourquoi ce processus aussi permanent ?

— La capacité de mener la guerre aérienne dépasse en complexité tout ce qu'on a pu imaginer. Elle passe par la maîtrise du multi-milieux. Ce n'est pas qu'un avion de combat ou des remotes carriers que nous mettons au point, c'est aussi la connectivité entre tous les moyens, ce combat cloud qui va permettre de gérer les données, de façon à offrir les meilleures opportunités, au meilleur moment. On entre dans une nouvelle phase dont on mesure à peine encore tous les éléments.

Où en êtes vous dans cette expression des besoins ?

— Nous avons exprimé déjà des besoins opérationnels. Il y en a ainsi 90 principaux, qui sont déclinés dans les principaux piliers [du SCAF], confiés à nos industries. Mais on intégrera aussi le fruit des recherches et développements futurs, pour avoir en 2040 le système qui corresponde aux menaces du moment, capable d'évoluer au fil du temps. Il y a la technologie qu'on imagine à ce stade — la furtivité, la connectivité — et celles qui viendront après.

À quoi pensez-vous en particulier ?

— La technologie liée aux données est essentielle. Il est fondamental que nous progressions à trois, entre Européens, pour pouvoir discuter ensuite avec nos partenaires américains, afin de pouvoir être interopérables de manière native. C'est important de partager avec nos partenaires américains.

De ces trois ans à la tête de l'armée de l'air et de l'espace, quelle leçon retenez-vous ?

— La puissance et l'agilité. Une armée de l'air et de l'espace au service des opérations doit être, et rester, puissante. La puissance s'acquiert avec des équipements, la connectivité, l'interopérabilité, avec des entraînements et des formations exigeantes, des capacités en qualité et en masse. L'agilité est nécessaire pour être, toujours, au rendez-vous. Nous devrons être plus agiles, car les enjeux, les menaces évoluent très vite, avec la transformation numérique. Nous devons, même dans les processus très longs que sont les grands programmes, pouvoir évoluer, avoir toujours côte à côte les opérateurs et les ingénieurs.

Vous devenez le prochain chef du commandement de la Transformation de l'OTAN. Quel seront vos tâches ?

— Il y a d'abord une réflexion stratégique. Il faut travailler sur la stratégie, les concepts, la doctrine, la formation et l'entraînement. Il s'agit d'avoir une pensée commune et de pouvoir faire face de manière coordonnée, d'être interopérable. Il y a ensuite nos capacités. Il s'agit de proposer des adaptations, pour faire face aux menaces. Nous devons confronter nos besoins aux ruptures technologiques, aux défis émergents, aux nouveaux enjeux.

Car l'environnement n'est plus calme ?

— Oui. Nous assistons à une dégradation de l'environnement sécuritaire et à un spectre [de défis] qui s'élargit : du déni d'accès à la dissuasion nucléaire, en passant par la compétitivité dans l'aviation de combat, le domaine cyber informationnel, les drones, l'espace... L'enjeu, pour nous, est de conserver la supériorité opérationnelle et de faire que nos équipes soient le plus interopérables. Gérer la donnée et la partager devient donc la plus grande des priorités. Le quantique et l'échange d'informations sont le cœur du nouveau système de combat.

Comment pourrait-on définir ce poste : l'homme de l'ombre ou un génie créateur ?

— Les deux ! À ce poste, quand on œuvre pour des enjeux aussi importants, on est l'homme de l'ombre, on agit au profit de l'Alliance, des États qui la composent, au profit d'un intérêt bien supérieur. L'ombre ne signifie pas agir en secret. Il faut le faire dans la plus grande transparence. Mais, en effet, on doit aussi être un créateur, un innovateur, l'homme qui va comprendre les enjeux, comprendre les visions politique, diplomatique, industrielle, technique, sociale et humaine. On doit pouvoir anticiper, dans tous les domaines.

(Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Entretien réalisé par téléphone, jeudi 24 juin, au lendemain du 'Air & Space Power Conference', la conférence des pays de l'IE2, en français

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Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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