[Éditorial] Face à la Russie, la défense aérienne est la première priorité
(B2) Les incursions de drones ou avions de chasse provenant de Russie dans des pays européens (Estonie, Pologne...) ne sont pas le fait du hasard. Elles nécessitent une réponse rapide, autrement que par des mots.
Ces violations de l'espace aérien d'États membres de l'Union européenne et de l'OTAN constituent clairement un test politique de la réactivité européenne et euro-atlantique. Mais pas uniquement. L'objectif est aussi "d'user" un maximum les Européens, leurs nerfs, mais aussi leurs forces. La Russie avait déjà procédé de façon semblable en Roumanie et en Bulgarie à la fin des années 2010 pour user et finalement clouer au sol les flottes d'avions de chasse de ces deux pays.
À terme, il s'agit de pousser les Européens dans une course aux armements, où ils ne sont pas sûrs de gagner. La "durabilité" d'un tel processus étant liée à la résilience de la population à supporter de tels sacrifices.
Face à ce test de force, les alliés semblent un peu perdus. À force de dire que la Russie est un adversaire, et de crier haut et fort à la menace, ils ont oublié un principe de base. Face au Kremlin : parler ne sert pas à grand chose. Il faut agir.
La menace de sanctions économiques supplémentaires est à cet égard inopérante. L'effet réel des sanctions s'inscrit sur le moyen, voire le long terme. Pas sur le court terme. Surtout face à un adversaire décidé. Et elle n'utilise pas les mêmes vecteurs. Pour être efficaces, des sanctions devraient en la matière altérer durablement la capacité de la Russie à disposer de drones et chasseurs, ce qui est improbable.
La réponse logique doit se situer sur le même plan : toute incursion supplémentaire dans l'espace aérien territorial (non de la zone aérienne) devrait faire l'objet d'une réplique à la mode turque : avion abattu. La même chose valant pour tous types d'engins pilotés à distance.
Le risque d'une possible escalade côté russe n'en est pas moins à prendre au sérieux. Et les Européens doivent s'y préparer rapidement. Ils doivent ainsi accélérer le renforcement de la défense aérienne. Mais aussi changer de braquet sur la défense de leur pourtour.
Les Européens doivent s'engager, dès maintenant, dans la défense aérienne "anticipée", pour détecter les drones et avions au-dessus de l'Ukraine, protéger le territoire européen et, du même coup, le territoire ukrainien. En assurant au minimum la destruction de tout engin (drone, missile, chasseur) dont la trajectoire va en direction de l'Union au-delà du Dniepr. Et en assumant, que même en excluant la zone du front et plus largement l'est de l'Ukraine, toute intervention de ce type relancera inévitablement le discours du Kremlin sur la co-belligérance - qui n'existe pas formellement en droit international - avec de nouvelles menaces de représailles pointant du doigt une escalade européenne.
Certes, cet élément fait partie des garanties de sécurité que plusieurs pays ne pensaient mettre en œuvre qu'après signature d'un accord de paix entre l'Ukraine et la Russie. Mais attendre cet accord relève du vœu pieux. D'une part, il ne semble pas être pour demain. D'autre part, comment croire que les Russes vont conclure un accord qui comprendrait de telles garanties maximales de sécurité pour l'Ukraine ?
À l'inverse, assurer une 'no-fly zone' au-dessus de tout ou partie de l'Ukraine dès aujourd'hui imposerait à Vladimir Poutine de revoir sa stratégie. Au-delà du courage politique indispensable pour franchir ce pas, se pose évidemment la question du commandement : dans le cadre d'une coalition des volontaires ou dans celui de l'OTAN. Et dans ce deuxième cas, avec le soutien des États-Unis. Irréaliste ? Pas tant que ça. À mesure que l'issue de la guerre échappe au faiseur de paix Donald Trump, ce dernier pourrait voir dans une telle mesure une dernière chance de pousser son homologue russe à renoncer à la guerre. Surtout si ce sont les Européens qui déploient leurs moyens aériens et paient la facture.
Tout signe de faiblesse sera toujours interprété à Moscou comme un laisser-passer.
(Nicolas Gros-Verheyde)