Huit pays adhèrent à l’initiative européenne d’intervention d’E. Macron. La lettre d’intention signée
(B2 à Luxembourg) Neuf ministres de la Défense (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, France, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) ont apposé ce lundi (25 juin) à Luxembourg, en marge de la réunion des ministres de la Défense de l'UE, leur signature sur la lettre d'intention créant l'initiative européenne d'intervention (IEI ou EI2)
Ceux qui le peuvent et ceux le veulent
L'objectif est de « développer entre des pays à la fois militairement capables et politiquement volontaires » des habitudes « de travailler ensemble, de pouvoir se préparer, pour le cas échéant être en capacité d'intervenir, là où ils le décideront, au moment où ils le décideront, sur des scénarios extrêmement variés », a expliqué Florence Parly, la ministre française de la Défense à B2. Elle a aussi tenu à démentir toute impression de duplication avec les initiatives en cours.
Pas d'outil ou d'enceinte au plan stratégique
« C'est un champ qui n'est pas couvert aujourd'hui par les initiatives de l'Europe de la défense. La Coopération structurée permanente a une dimension capacitaire. Le Fonds européen de défense va, lui, venir financer pour la première fois, avec de l'argent communautaire, la recherche et développement. Mais, sur le plan stratégique, il n'y a pas d'outil ou d'enceinte permettant d'aborder ces questions. » (Lire : IEI : fédérer les pays militairement capables et politiquement volontaires (Florence Parly)).
Planifier ensemble et agir ensemble
Cette initiative, voulue par le président français « part d’un constat simple : face à des menaces vives et communes, l’Europe doit pouvoir se doter d’une défense forte », a-t-elle expliqué. « L’Europe doit développer une culture stratégique commune : les forces armées européennes doivent se connaître, se comprendre et être capables d’agir vite et efficacement ensemble ». Elle vise à « renforcer les liens entre les forces armées des pays membres » avec l'échange d'officiers, des exercices conjoints d'anticipation et de planification, de partage de doctrine, de rédaction de scénarios d'intervention. « Ce sont ces échanges et ces exercices qui permettront de bâtir la culture stratégique européenne » et d'être prêts au cas où ... (1)
Des moyens fournis ad hoc en cas de crise
De façon volontaire, le nombre de pays a été restreint pour constituer un 'noyau dur' prêt à agir, en cas de besoin. Cela ne signifie nullement que les neuf pays partiront ensemble en cas de coup dur. « Ce pourra être à cinq ou six, voire à moins si nécessaire », précise un expert du dossier à B2. « Il n'y aura pas de force prépositionnée ou dédiée à cette initiative. » Les moyens fournis seront composés de façon ad hoc en fonction d'une crise et pourront varier d'une crise à une autre, d'un pays à un autre. Il n'est ainsi pas interdit de penser que certains pays fourniront davantage les forces spéciales ou de protection, d'autres les moyens logistiques (navires, avions, véhicules) et d'information (renseignement, satellites), ou les services médicaux, les autres enfin les équipements nécessaires à une assistance aux populations (médicaments, aide humanitaire...).
Un secrétariat permanent établi à Paris
Un secrétariat permanent ‘light’ de l’EI2 va être mis en place à Paris, assuré essentiellement par du personnel français et sur le réseau d’officiers de liaison étrangers présents déjà dans les structures françaises de la défense, notamment au CPCO (le centre de planification et de conduite des opérations).
Quatre domaines de réflexion
L’initiative va concentrer son activité sur quatre domaines de réflexion jugés primordiaux selon le texte de la lettre d'intention parvenu à B2 :
- « les prévisions stratégiques et le partage de renseignement ;
- le développement de scénarios et la planification ;
- le soutien aux opérations ;
- les retours d’expériences (lessons learned et la doctrine). »
L'étude de scénarios sur des cas de crises pratiques
Parmi les scénarios pouvant être étudiés figurent : l'évacuation de ressortissants européens, l'action humanitaire en cas de crise avec le soutien des forces armées, des interventions ciblées (biologiques, médicales...), voire une intervention de force, semblent être des scénarios pouvant être étudiés en premier. « Des domaines où nous savons qu'une crise est susceptible de se produire et où nous pourrions avoir à intervenir », selon Florence Parly.
Ceci n'est pas une force
Cette initiative n'est « pas une nouvelle force ou structure d'intervention européenne », ont indiqué les participants, notamment la ministre néerlandaise Ank Bijleveld-Schouten. Simplement, « la situation actuelle en matière de sécurité, le Brexit et les développements géopolitiques signifient qu'il est important pour les pays européens d'accroître leur force ».
Le forum d'un côté, les troupes de l'autre
« Le but est de créer un forum, avec des États qui ont la même vision, qui analyseront les situations, qui auront des discussions tôt, quand les crises se manifesteront dans une région, et qui, aussi, ensemble, pourront faire évoluer une volonté politique », a indiqué Ursula von der Leyen, la ministre allemande de la Défense. Cette initiative « sera aussi étroitement que possible liée à la politique de sécurité de l'UE » (comme l'a indiqué la déclaration de Meseberg). « Nous savons que nos troupes et, très concrètement, les forces de combat sont impliquées soit dans l'UE, soit dans l'OTAN, ou dans les missions des Nations unies ou les coalitions de lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi il est important, pour nous, d'avoir une structure claire : l'une est le forum et l'autre les troupes. »
Une communauté de pays qui partagent les mêmes idées
Le Danemark est plus enthousiaste. « Nous avons besoin que l'Europe prenne encore plus la responsabilité de sa propre sécurité » a souligné, dans un communiqué, le ministre danois de la Défense Claus Hjort Frederiksen. « Cela ne change pas le fait que l'OTAN et les États-Unis continueront d'être la pierre angulaire de la politique de défense et de sécurité du Danemark, mais c'est un partenariat qui viendra compléter la coopération accrue entre l'OTAN et l'UE. » Cela « nous donne accès à une communauté de pays partageant les mêmes idées »
Une coexistence pacifique entre tous les dispositifs
La Haute représentante de l'UE a, elle aussi, démenti toute impression de recoupement qui a pu exister un moment entre cette initiative et la Coopération structurée permanente. « Cette approche vise surtout à approfondir une compréhension partagée d'un point de vue stratégique, de se préparer et d'avoir des échanges entre nos forces armées. Tout cela ne peut qu'aider à l'approfondissement de la défense dans le contexte de l'UE », a expliqué à B2 Federica Mogherini. « Je ne vois pas de risque de duplication. Au contraire. Je vois, dans ce texte, un soutien à ce que l'on fait. Je pense d'ailleurs que l'expression « servir » les intérêts et les projets de la PESCO figure même dans le texte signé. » Et d'ajouter avoir reçu des « assurances » de cette coexistence harmonieuse entre les deux dispositifs « dans [s]es échanges avec la ministre des Armées et le président (Macron) ».
Après la lettre d'intention, un MOU
Il reste maintenant aux neuf États participants à rédiger un MoU (Mémorandum of Understanding) fondateur de l’IEI, afin de détailler les modalités de participation de chaque État à l’EI2. Les ministres de la Défense ont donné « instruction » à leurs équipes de s'y atteler « aussi vite que possible ».
Commentaire : une structure plus opérationnelle que les dispositifs actuels
Les structures existantes — les battlegroups comme la NRF de l'OTAN — n'ont jamais été utilisées et semblent inutilisables en cas de réelle urgence. C'est un fait. Même si, officiellement, cette assertion est démentie par les responsables européens, sitôt les micros éteints, les mêmes le confirmeront immédiatement. Les récents évènements le prouvent. Qu'il s'agisse de troubles déstabilisateurs internes au Mali ou Centrafrique ; de graves crises humanitaires (type ouragan Irma en 2017 ou le séisme de Haïti 2010) ou d'évènements graves (catastrophes naturelles, technologiques, guerres et conflits), aucun de ces dispositifs n'a pu être ou n'a été mis en œuvre. Quant aux évacuations de citoyens européens en nombre placés face à un danger, cela se passe tantôt très bien (quand un État prend en charge et coordonne l'évacuation de façon ferme)... Sinon c'est le bazar. Espérons que l'Initiative 'Macron' vienne combler ce vide et que l'Europe soit, enfin, dotée d'un groupe de réaction rapide.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Télécharger la lettre d'intention
L'Italie manquante
Un seul pays manque à l'appel : l'Italie, pays pourtant invité depuis le début à l'initiative. La situation interne avec un nouveau gouvernement moins propice aux opérations extérieures comme la tension avec la France en matière migratoire (le ton ayant singulièrement monté ces derniers jours) pourraient expliquer cette 'désertion'. Il faudra veiller à ce que fâcherie ne fasse pas contagion et ait des conséquences en matière industrielle, notamment sur le rapprochement dans le naval entre STX et Fincantieri, une des étapes prévues étant en juin (Lire : L’airbus naval franco-italien en train de naître).
Lire aussi :
- L’initiative européenne d’intervention (EI2) sera « non inclusive », je l’assume (Florence Parly)
- et notre dossier sur l'initiative européenne d'intervention
(1) Il y a quelques semaines, Florence Parly détaillait en deux phases l'IEI. Le premier objectif sera à « court terme ». Il s'agit de « brancher les centres de planification et d'opérations par l'échange d'officiers et par des exercices conjoints d'anticipation et de planification, de partage de doctrine, de rédaction de scénarios d'intervention ». À « long terme », cela mènera à « une culture stratégique commune, en veillant à ce que nous soyons d'accord sur la façon d'anticiper et de réagir à une crise ».
Mis à jour avec la déclaration du ministre danois et des précisions sur les évacuations de citoyens européens