B2 Pro Le quotidien de l'Europe géopolitique

Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

Les auteurs de l'étude se veulent force de proposition, plutôt que d'inquiétude. (©ISS)
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En 2030, quel avenir pour l’Europe ? S’investir davantage dans le monde répondent les chercheurs

(B2) L’exercice de la prospective stratégique est toujours délicat. Les chercheurs des différentes institutions européennes, regroupés au sein de ESPAS (1) s'y sont essayés. Le résultat mérite le détour

Une force de proposition, plutôt que d'inquiétude

Dès l’introduction de cette étude, les auteurs (1) notent que les exercices de prospective sont souvent pessimistes… et pas toujours suivis par les faits, notamment en ce qui concerne la prévision des conflits. Or paradoxalement, selon le « syndrome de Cassandre », plus les informations sont pessimistes, moins les gens ont de propension à passer à l’action. D’où la démarche suivante : « Des prévisions efficaces ne sont pas celles qui terrifient, mais celles qui promeuvent l’action. »

« Les conflits font partie de notre futur »

Tout en notant que la prospective en matière de prévision des conflits reste largement impuissante, les auteurs prévoient un horizon peu optimiste en la matière.

Toujours autant de conflits internes

D’ici 2030, l’Europe devrait rester un territoire majoritairement pacifique. Mais à l’échelle du monde, les auteurs estiment que le nombre de conflits internes ou de guerres civiles devrait au mieux rester stable (de l’ordre d’une quarantaine) et au pire augmenter.

Le terrorisme va perdurer

La menace que représente le terrorisme sera, elle, beaucoup plus immédiate pour les Européens. Rien que d’ici 2022, ce sont 1500 personnes emprisonnées pour ce motif dans l’Union européenne qui vont être libérées. Entre 50.000 et 100.000 autres individus seront toujours surveillés et leur nombre pourrait augmenter. Les auteurs s’inquiètent par ailleurs de l’émergence du terrorisme d’extrême-droite, aujourd’hui minoritaire mais qui pourrait croître sous l’influence des discours populistes.

La guerre intégrale

L’explosion d’une guerre opposant des États puissances n’est pas impossible non plus. D'autant plus que les auteurs envisagent des évolutions géopolitiques majeures comme la disparition de l'Otan ou des alliances d'États nationalistes agressifs - ce sont là les scénarios du pire -. Un tel conflit demanderait des Européens de pouvoir déployer des réponses dans l’ensemble des champs d’intervention militaire, dont certains commencent tout juste à émerger : matériels lourds, robots tueurs, drones, manipulations de l’information et de l’économie, attaques numériques… La connexion toujours plus importante entre les pays et les populations exposera toujours plus les secteurs liés aux communications, sous toutes leurs formes.

L’Europe devra plus s’impliquer

Les auteurs estiment que l’Union européenne s’implique trop peu dans les conflits globaux et qu’elle aurait pu, déjà, fournir plus d’efforts de médiation. Remarquant que la présence de troupes des Nations unies contribue à la stabilisation, ils suggèrent de prendre une part croissante à cet exercice, pour ne pas laisser les autres puissances prendre l’ascendant en matière d’influence sur la politique internationale.

Des facteurs de risques défavorables

Climat : « l’enjeu politique le plus important »

Le réchauffement de 1,5 degré à un horizon 2030 est un facteur de tensions qui risque d’aggraver tous les autres : baisse de la productivité, insécurité environnementale, migrations. Résorber cette tendance sera d’autant plus difficile que la demande d’énergie devrait encore augmenter de 1,7% par an, alors qu’il s’agit de l’un des secteurs de l'économie les plus polluants. Les auteurs estiment cependant que la prise de conscience croissante de cette problématique, dans les milieux dirigeants comme dans les opinions publiques, devrait faciliter l’adoption de mesures plus drastiques qui étaient jusque-là trop impopulaires. Si la stratégie pour le climat de la Commission européenne devrait permettre à l’UE de tenir le rythme, les États membres restent inégaux sur plusieurs aspects : agriculture, énergie nucléaire, économie circulaire. L’enjeu le plus complexe restera tout de même de convaincre les autres acteurs globaux, en particulier les États-Unis et la Chine.

Tensions démographiques et sociales

Alors que la démographie mondiale devrait continuer d’augmenter pour atteindre un milliard d'habitants supplémentaires d'ici 2030, l’Europe sera le seul continent à voir sa population décroître (739 millions d'habitants en 2030, contre 742 en 2017). Si les flux migratoires sont la solution la plus simple pour y pallier, ils restent facteurs de tensions sociales et politiques partout au sein de l’UE. Alors que la croissance européenne sera modeste (+1,4%/an contre +3%/an pour le monde), le vieillissement de la population coûtera 2% plus cher en 2030. Le tout alors que les inégalités devraient continuer de se creuser et que les problèmes de santé devraient se multiplier (obésité, tabac, cancer…). Autant de facteurs susceptibles de contribuer aux tensions sociales et politiques au sein des États membres.

Quelle place pour l’Europe dans le monde ?

La principale inquiétude relevée par les auteurs est la perte d’influence possible d'une Union européenne affaiblie par ses difficultés internes, au profit d’autres puissances qui pourraient, à terme, se passer de l’avis des Européens. « Comment positionner l’Europe dans le monde ? », s’interrogent-ils. Il ne suffira pas de vanter les valeurs démocratiques et les efforts climatiques. Il faudra « se montrer plus actifs dans des domaines où nous ne l’avons pas été assez par le passé, comme la défense ou la gestion des conflits à l’étranger ». Pour eux, c’est en poursuivant la construction européenne et la modernisation de ses institutions que l’UE pourra peser dans le siècle qui vient.

(Romain Mielcarek)

Lire : l’étude de l’ESPAS


(1) L’European Strategy and Policy Analysis System, alias ESPAS, est un dispositif inter-institutionnel faisant intervenir, sur la base du volontariat, les administrations du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, le Service européen d’action extérieure, le Comité économique et social européen, le Comité des régions, la Banque d’investissement européenne et l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne. Florence Gaub, la directrice adjointe de ce dernier organisme, a coordonné la rédaction de cette étude.

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