Moyen-Orient

[Entretien] L’Union européenne peut jouer un rôle positif pour la reconstruction de l’Irak (Sadiq Al-Rikabi)

Sadiq Al-Rikabi (crédit : MAE Irakien)

(B2 - exclusif) Pour Sadiq Al-Rikabi, ambassadeur de l’Irak à Bruxelles, tout juste accrédité auprès de l'UE, les Européens doivent aider l'Irak à reconstruire son économie, reprendre leurs combattants. Ils peuvent jouer un rôle de leadership, et non de subordonné, dans la résolution des crises de la région. Quant à la coalition contre Daech, elle doit accepter une révision en commun de l'existence, du rôle, du volume de sa présence sur place. Une parole rare, à lire avec attention

Depuis l'assassinat du général iranien Soleimani en sol irakien, le 3 janvier, la situation s'est compliquée un peu plus au Moyen-Orient et dans votre pays en particulier, comment analysez-vous la situation ? 

— Les tensions entre les États-Unis et l'Iran sont un grand défi pour nous et pour toute la région du Golfe, qui est une zone très vulnérable. Nous avons toujours essayé d'encourager tout effort de résolution pacifique. L'Irak essaie d'avoir une position équilibrée entre les deux acteurs internationaux et régionaux. Il est de notre intérêt de maintenir cet équilibre, pour maintenir une relation positive avec les États-Unis comme avec l’Iran, plutôt que d'être un champ de bataille pour une guerre par procuration. Mais notre second défi est le conflit sur le territoire syrien, où il y a plus d’un acteur international et régional, en plus des groupes terroristes représentant une menace pour notre sécurité nationale ainsi que pour la sécurité de la région et de nos voisins européens.

Qu’attendez-vous de l’Union européenne ? 

— Nous attendons des pays européens qu'ils jouent un rôle actif et objectif en faveur du dialogue et de solution non invasive, loin des menaces et des affrontements armés. L'Irak est en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. La victoire finale contre ce dernier résidera dans sa stabilité et son expérience démocratique récente. Nous demandons donc à l'Union européenne de se concentrer sur l'activation de l'accord de partenariat [signé en 2018].

Vous croyez vraiment à la capacité des Européens à influencer l’évolution de la région ? 

— L’Europe a un poids politique et économique et possède une position politique indépendante vis-à-vis des événements dans la région. Elle peut y jouer un rôle de leadership, et non de subordonné, dans la résolution des crises.

Outre l’effort diplomatique, que demandez-vous aux Européens de faire pour votre pays ? 

— L'accord de partenariat entre l'Irak et l'Union européenne a établi un plan d’action et de coopération et a été ratifié par les deux parties. Le moment est venu de mettre cet accord sur le bon chemin.

Le parlement irakien ne souhaite plus cependant avoir des troupes étrangères sur le terrain. Est-ce une réponse émotionnelle à l’assassinat de Soleimani sur sol irakien ? Ou s’agit-il de quelque chose de plus profond ? 

— Après que Daech ait occupé un tiers des territoires irakiens, la coalition internationale s'est formée pour combattre Daech exclusivement, et sous la supervision des autorités irakiennes, avec le respect de sa souveraineté. Nous remercions tout soutien dans la lutte contre Daech. [Mais] l'intégralité des terres irakiennes a été libérée de Daech. Il est nécessaire pour l'Irak et la coalition internationale de s'asseoir ensemble, comme alliés et amis, pour revoir l'existence, le rôle, le volume de sa présence.

Une révision possible justement parce que Daech n'est plus une menace  ? 

— Sur le plan militaire, Daech a été vaincu et nous avons libéré toutes les terres irakiennes. Mais Daech est toujours un défi au niveau de la sécurité. Car les conséquences de Daech sont toujours un défi pour nous, qu’il s’agisse des combattants étrangers, des détenus, des familles, ou des énormes destructions qui déplacent les gens... Les conséquences de cette grande bataille sont nombreuses. Et il n'est pas facile pour nous de tout résoudre.

Il reste aujourd'hui des combattants étrangers venus aux côtés de Daech. Vous demandez aux Européens de les reprendre ?

— Les Irakiens ont été victimes des terroristes qui sont venus du monde entier, y compris d’Europe. Maintenant ces pays doivent prendre leurs responsabilités envers leurs citoyens.

Toujours sur le plan sécuritaire, que répondez-vous aux critiques contre les milices irakiennes, que le gouvernement ne contrôle pas ? 

— Tous les États du monde veulent monopoliser la force. C'est la définition même de l'État. Ici, vous devez prendre en considération deux facteurs. Premièrement, en 2003, après l'effondrement de l'État irakien et de ses institutions, y compris l'armée, les bases militaires irakiennes ont été ouvertes et toutes les armes se sont retrouvées dans les rues. Vous pouviez vous procurer une arme pour quelques dollars. Il n'y avait pas de maison sans armes car il n'y avait plus de réelle sécurité dans les villes, et chaque famille devait se défendre. Le deuxième facteur est qu'en 2014, après l'effondrement de l'État et l'arrivée de Daech à la frontière de Bagdad, on a demandé aux gens de défendre les villes. Ils l'ont fait en civil et avec leurs propres armes, pour éviter que Daech n'entre dans les villes et le massacre qui aurait suivi. Aujourd'hui, pour que l'État reprenne le monopole des armes, il faut du temps et récompenser ces combattants civils qui se battent contre Daech.

À quelle solution travaillez-vous ? La réintégration ?  

— Nous avons besoin d'un vrai plan pour garder certains d'entre eux comme forces de sécurité sous le contrôle du gouvernement. Et certainement pour d’autres, nous devons les remercier de leur sacrifice et leur donner une autre chance de participer à une activité civile. L'Europe peut jouer un rôle à cet égard. 

Sur la question de la réintégration, que ce soit par le conseil ou la formation, voyez-vous un rôle particulier pour la mission européenne EUAM Irak. Y a-t-il un souhait pour qu’elle reste et se développe ? 

— Il y a une différence entre la présence américaine et celle des Européens. Ce n’est pas à moi de décider. C’est au ministère de l’Intérieur de voir s’il y a un besoin pour davantage. Je pense que l'Union européenne peut jouer un rôle plus positif sur le plan civil, de l'économie et des possibilités d'emploi. Elle peut jouer un rôle plus important dans ce domaine que dans celui de l’intégration. 

Quel soutien économique attendez-vous ? 

— En plus de la politique et de la sécurité, nous devrions penser à l’économie. Celle-ci ne repose que sur le secteur public et le pétrole. Nous avons beaucoup à faire. Nous avons besoin d'investissements, de renforcer le secteur privé, de diversifier notre économie en trouvant d’autres ressources que le pétrole. L'Europe peut jouer un rôle en aidant l'Irak à moyen et long terme à cet égard. Nous comptons sur l'Union dans de nombreux domaines : encouragement des entreprises à investir, aide à la construction ou à la reconstruction de l'Irak, renforcement des capacités.

Pensez-vous que l’accord de partenariat pourra augmenter le soutien européen ? 

— Nous travaillons à sa mise en œuvre, qui pourrait commencer d’ici quelques semaines ou mois. Nous voudrions qu’au moins trois sous-commissions soient en place d'ici l'été.

(Propos recueillis par Leonor Hubaut)

Entretien effectué le 24 janvier, dans les locaux de l'ambassade irakienne à Bruxelles, en anglais, actualisé par écrit le 23 février avec l'accord de l'interviewé après son accréditation.

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