(B2 à Paris) La question des projets de coopération avec l'Allemagne a été au centre d'un échange entre journalistes et la ministre française des Armées, Florence Parly, vendredi 2 juillet
La ministre reste très prudente, calculant ses mots, pour éviter de froisser. Mais on sent une réelle inquiétude sur la volonté allemande d'aboutir. En rappelant à plusieurs reprises à ce qui avait été conclu en juillet 2017, lors du sommet franco-allemand de l'Élysée, au début de la présidence d'Emmanuel Macron (lire : L’avion de combat européen du futur sera-t-il franco-allemand ?), Florence Parly semble vouloir rappeler Berlin à des engagements, pas tout à fait tenus apparemment.
Vous semblez un peu inquiète sur la coopération franco-allemande ? *
— Sur les questions industrielles, l'Union est un combat, en effet. Je ne connais pas de coopération facile. C'est difficile au niveau industriel et encore plus en matière d'industrie de défense. Mais je suis très heureuse que nous ayons pu avoir un accord, sur le sujet le plus ambitieux : le SCAF. Cela ne veut pas dire que l'avion vole déjà, mais nous avons franchi une étape. [Il est vrai] que avons concentré nos efforts sur l'aboutissement de ce projet. Nous avons priorisé. Pour nous, c'était binaire, soit cela passait au Bundestag, soit l'avenir du programme était compromis. C'était une étape 'létale' en quelque sorte, si je peut avancer ce mot.
Mais le programme du système terrestre du futur, le MGCS, est bloqué ?
— On a effectivement moins avancé que le SCAF. Ce projet regroupe une entreprise franco-allemande, KNDS [formée du Français Nexter et de l'Allemand KMW Krauss-Maffei Wegmann] et une autre entreprise allemande [Rheinmettall]. Cela nécessite que les deux industriels allemands trouvent un terrain d'entente. Le débat, aujourd'hui, est de bien insérer Rheinmetall sur les travaux futurs.
Et sur les autres projets : le standard III de l'hélicoptère Tigre, l'avion de surveillance maritime MAWS ?
— Il y a eu un engagement allemand très fort le 13 juillet 2017. Nous sommes en discussion avec les Allemands pour voir comment avancer sur ces sujets. Il faut reprendre de manière dynamique reprendre les programmes de coopération qui n'ont pas beaucoup avancé.
L'achat des Poseidon P8 américains par l'Allemagne ne compromet-il pas le projet MAWS ?
— Les informations venues de l'autre coté du Rhin méritent qu'on approfondisse le dialogue. On doit avoir un échange approfondi sur les MAWS avec les Allemands, afin de voir leurs intentions, de vérifier que cela ne compromet pas ce projet auquel nous tenons énormément. Il y a à la fois un vrai désir d'approfondir le partenariat de 2017 et une vision que nous ne partageons pas totalement qui est de satisfaire un besoin intermédiaire. Il est trop tôt pour dire ce qu'il va se passer. Je mets toute mon énergie pour que le projet aboutisse.
Avec l'Italie et l'Espagne, la France a-t-elle engagé des coopérations ? *
— Notre coopération ne se réduit en effet pas au dialogue franco-allemand. La coopération est déjà engagée sur le Tigre avec l'Espagne, sur l'Eurodrone avec l'Italie et l'Espagne... Mais nous pensons que la France et l'Allemagne, ensemble, peuvent générer des projets importants auxquels des Européens pourront ensuite se rallier. Nous avons toujours dit vouloir démarrer sur des bases bien clarifiées avant d'ouvrir à d'autres partenaires.
Sur l'Eurodrone justement ?
— Nous avons calé tous les éléments du contrat. Et pourrons avancer dès que tous les éléments seront validés. [NB : on doit distinguer dans un programme international la phase de négociation — technico-politique — de celle de validation plus politique. Après la validation allemande, il manque encore les validations espagnole et italienne apparemment.]
Le Rafale a perdu en Suisse. Le président Biden ayant fait pencher la balance en faveur du F-35 ?
— C'est la loi de la concurrence... on ne gagne pas toujours. Mais on gagne souvent, je peux vous l'assurer. Nous sommes sur un marché extrêmement compétitif. Il est normal que chaque pays essaie de faire prévaloir l'excellence de son offre, technologique et industrielle. Quand un président se déplace, il en profite, toujours, pour parler [industries]. Cela fait partie du job. Cela fait aussi partie de mes tâches.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Entretien réalisé, à l'Hotel de Brienne (Paris), siège du ministère des Armées, vendredi 2 juillet, dans une séance de questions-réponses, à bâton rompu, avec les journalistes membres de l'AJD (association des journalistes de défense), dont fait partie B2. Les questions marquées * sont celles posées par B2. L'ordre a été modifié, afin d'avoir une pensée plus fluide. La ministre ayant apporté des précisions au fur et à mesure des questions.
Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)