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[Portrait] Qui est KSB, l’étrange nouveau ministre hongrois de la Défense ? Influent dans l’ombre

(B2) Financier, consultant, homme de médias, ambassadeur, ce proche de Viktor Orban, descendant indirect d'une vieille famille noble hongroise, a su mener de front une carrière d'investisseur du régime comme de diplomate. Kristof Szalay-Bobrovniczky vient d'être nommé ministre de la Défense.

La traditionnelle revue de troupes par le nouveau ministre de la Défense Kristóf Szalay-Bobrovniczky le 26 mai à Budapest, dans les locaux de la rue Balaton (Photo : MOD Hongrie)

Né le 6 juin 1970, diplômé de l'université de sciences agronomiques de Gödöllő en 1993, Kristof Szalay-Bobrovniczky suit également un diplôme de troisième cycle en gestion à Paris, dans le cadre du programme Copernic avec une bourse de l'État français.

Busineman éclectique

Éclectique, il démarre dans le secteur financier, chez Deloitte, puis au Crédit Lyonnais Hungary. Il évolue ensuite vers les télécoms (Pantel Zrt, une filiale du Néerlandais KPN, puis Deutsche Telekom) et internet. Mais surtout, il crée plusieurs sociétés, qu'on peut qualifier de para-publiques tellement elles sont proches politiquement et économiquement de la sphère publique. Il se définit lui-même comme un serviteur de « l'intérêt national hongrois » devant la commission de la Défense du parlement hongrois, le 18 mai, rapporte 444.hu.

Une famille dans le cercle d'Orban

Alexandra Szentkiralyi (Photo : Kormany.hu/Szentkiralyi)

Il est bien implanté dans la structure de gouvernement. Sa femme Alexandra Szentkirályi a été membre de la Fidesz et adjointe au maire de Budapest (de 2014 à 2019, quand la ville était aux mains de la Fidesz). Elle est aujourd'hui porte-parole du gouvernement depuis 2020, reconduite dans le nouveau gouvernement en 2022. Son jeune frère Vince a été ambassadeur hongrois en Autriche, puis en Finlande et Estonie, avant d'intégrer le cabinet du premier ministre, comme sous-secrétaire d'État aux affaires civiles et sociales.

Un influenceur au service du pouvoir, ou vice-versa

En 2004, il devient éditeur et rédacteur en chef de Heti Válasz, l'hebdomadaire conservateur fondé trois ans auparavant par le gouvernement de V. Orban pour contrebalancer une presse jugée trop à gauche. Co-dirigeant du think tank 'Századvég Alapítvány' (fin de siècle), il prend le contrôle en novembre 2014 de l'Institut de recherche économique qui lui est accolé, le Századvég Gazdaságkutató Zrt. Il conseille le gouvernement Orban et réalise nombre de sondages pour lui, comme le précise le quotidien économique Napi. Un organisme créé en mars 2010 par l'économiste Péter Heim et le politologue András Giró-Szász, devenu ensuite porte-parole du gouvernement.

Ambassadeur au Royaume-Uni

Ses différentes affaires ne l'empêchent pas de devenir ambassadeur de Hongrie au Royaume-Uni en 2016, au lendemain du référendum sur le Brexit. Poste qu'il exerce jusqu'à début 2020, tout en continuant à assumer ses fonctions de capitaine d'industrie. Il sera remplacé en mai 2020 par Ferenc Kumin, un autre fidèle du régime (3).

Influenceur au service de Jansa

Il devient ainsi un des propriétaires de V4NA, une agence de presse destinée à soutenir la bonne pensée gouvernementale dans tous les pays de Visegrad d'Europe centrale. Agence qu'il a enregistrée à Londres le 31 décembre 2018, selon Voice of America. Celle-ci compte parmi ses actionnaires principaux (à 40%), Árpád Habony, une autre éminence grise du pouvoir hongrois. Cette agence a soutenu financièrement la télévision slovène privée Nova24TV, ardente supporter de Janez Janša, leader du PDS et jusqu'à peu le premier ministre slovène, selon Spectrum le blog de Eva S. Balogh.

Des liens indirects avec l'économie russe

Il fonde en 2019 une société d'investissement, Magyar Vagon Befektetési Vagyonkezelő Zrt (dont il est toujours le PDG officiellement selon les sites économiques (1)). Société avec laquelle il acquiert 50% des parts de Transmashholding Hungary (TMH), la filiale de l'entreprise publique russe Transmashholding, spécialisée dans les rails et locomotives, mais aussi la défense (2). Un des dirigeants de TMH, Andrei Bokarev, a été mis sur la touche après avoir été mis sur la liste noire britannique, rappelle le média hongrois Nepszava. TMH gagne en 2018 un méga-contrat en Égypte de 1,17 milliard $ pour la fourniture sur cinq ans de 1100 wagons à la compagnie nationale ferroviaire (ENR).

Les casinos

Il prend aussi pied en 2020 dans les casinos. En avril, il acquiert via sa société London Capital Ltd avec un autre proche de Orban, István Garancsi, les cinq casinos de Budapest, propriété d'Andy Vajna décédé en 2019. Las Vegas Casino Lt génère des bénéfices importants. Près de 15 milliards HUF (± 40 millions €) versés à ses actionnaires en 2019, selon 24.hu. Une reprise en main très bien vue du côté du pouvoir qui y voit une machine à cash bienvenue. Sa concession a été renouvelée jusqu'à 2056.

Propriétaire de firmes militaire

Propriétaire de la société Magyar Aerojet Befektetési Vagyonkezelő, il rachète en 2021 le fabricant tchèque d'avions, Aero Vodochody, en bénéficiant d'un prêt de 53 milliards de Forint auprès de la Banque hongroise de développement, avec l'aide d'une garantie de l'État. L'industriel tchèque est un des principaux acteurs aéronautiques de l'Est européen. Il produit notamment des avions d'entrainement et avions légers de combat, tels le L-39, mais est aussi impliqué dans plusieurs projets européens tels l'Eurodrone.

Des conflits d'intérêt en puissance

Lors de son audition devant la commission de la Défense, le 18 mai dernier, l'intéressé a promis de « résoudre tous les questions de potentiels conflits d'intérêts [...] conformément à législation en vigueur» relate le média hongrois 444.hu.

Un connaisseur dans le monde militaire

Sa grande expérience dans le milieu privé comme dans la sphère diplomatique ne l'ont pas non plus empêché de se trouver en connaissance du milieu militaire. Ayant fait son service dans les Gardes du palais, l'unité militaire affectée au Palais Sandor, siège de la présidence de la République. Il a présidé l'association des réservistes hongrois et en est toujours le président d'honneur. Lui-même est capitaine de réserve. Ce qui lui permet de garder une certaine tradition familiale faite d'officiers ayant servi durant l'empire austro-hongrois. Sa mère Eszter est une descendante de la famille Bobrovniki, originaire de Slovaquie, et son grand-père maternel Tamás a été colonel du régiment hussard.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Il était toujours déclaré comme propriétaire au 28 mai, selon une recherche effectuée par B2 sur les sites hongrois répertoriant la propriété des entreprises.
  2. Elle est classée au 66e rang des principales entreprises russes à sanctionner selon un rapport américain du service d'étude du Congrès. La vente d'une filiale de Rolls Royce, Bergen Engines, avait été bloquée en 2021 par le gouvernement norvégien, comme « contraire aux intérêts de sécurité » (Carnet 25.03.2021). Le Français Alstom qui en était actionnaire (20%) s'en retire, non sans difficultés comme l'indique BFM Business.
  3. Ferenc Kumin a été ancien secrétaire d'État adjoint aux communications internationales de 2012 à 2014 et analyste senior à la Fondation Századvég.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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