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[Entretien] À la recherche des ADN des personnes tuées autour de Kiev, à Boucha et Irpin

(B2) La première équipe de gendarmes français partie en Ukraine a procédé à plus de 300 recherches ADN à Boucha et Irpin. Très utiles pour les familles afin de pouvoir faire leur deuil sur la dépouille d'un de leurs proches. Mais aussi pour des poursuites en justice.

Les gendarmes sont équipés de laboratoires d'analyses ADN mobile pour être efficace sur le terrain ©NGV/B2

Ce reportage est la suite de celui réalisé sur le terrain avec la deuxième équipe de gendarmes. Lire : [Reportage en Ukraine] Avec les gendarmes français à Chernihiv, mission expertise balistique

Une des premières équipes internationales sur place

La gendarmerie est arrivée très vite après la libération des environs de Kiev, dans les secteurs de Boucha, Irpin et Hostomel pour l'identification. Une décision du président français Emmanuel Macron, après l'appel à l'aide et au soutien international lancé par la procureure générale d'Ukraine pour faire face au nombre d'enquêtes. C'était la première équipe sur place. Elle sera suivie le 22 avril par une équipe d'experts slovaques de médecine légale, sous la direction du docteur Norbert Moravanský.

Une quinzaine d'experts multi-spécialistes

Le 11 avril, au terme d'un long périple par la route de plus de 2200 km, l'équipe de l'institut de recherches criminels de la gendarmerie nationale (IRCGN) est sur place (1) : deux médecins légistes et une quinzaine d'experts en expertise balistique, explosifs, fixation et modélisation de scènes de crime, identification de victimes, empreintes digitales (2). A priori ils doivent rester quinze jours. Ils resteront cinq semaines.

Un travail classique d'identification

« C'est la force de l'institut de regrouper toutes les expertises judiciaire, technique, scientifique », explique le colonel Thibaud Fritz à B2. Les gendarmes ont une botte secrète : leur plateau médico-légal et, surtout, leur laboratoire ADN mobile (Lab'ADN). Un vrai atout dans ce type de situation. Le labo permet d'avoir « des résultats quasi immédiats ». Car une fois lancé, le dispositif permet « d'identifier 20 échantillons toutes les 30 minutes ».

Un travail important

Dans l'urgence, plusieurs corps avaient été enterrés dans des cimetières, des jardins, dans des fosses communes. Certains étaient récents. D'autres dataient de plusieurs semaines. « Le temps était avec nous : il faisait froid », raconte Thibaud Fritz. Mais il fallait faire vite. Plus le temps passe, plus la conservation des corps s'avère compliquée. Avec un corps décomposé, il est « moins facile de distinguer les trajectoires balistiques » précise le gendarme. Certaines victimes ont été atteintes par des tirs d'armes à feux, visées de loin ou abattues à bout portant, selon les autorités ukrainiennes, d'autres ont été écrasées par des chars (3). D'autres sont mortes par explosion d'un obus ou l'effet de souffle (blast).

Les trois primaires d'identification

Pour déterminer l'identité de la personne, les gendarmes procèdent « de façon assez classique » — comme s'ils opéraient en France —, selon des standards bien fixés, des protocoles internationaux (Interpol). « Nous regardons les primaires d’identification (dents, empreintes digitales et ADN) puis ensuite les éléments secondaires, comme les tatouages, cicatrices, grains de beauté, etc. » Ils se basent aussi sur les éléments que peuvent apporter les familles ou les proches (des prélèvements ADN), les autorités (passeports biométriques), les médecins traitants (dentistes).

Colonel Thibaud Fritz ©NGV/B2

Recevoir les familles

Les gendarmes ont ainsi reçu 70 familles sur place pour récolter les éléments nécessaires. « Un moment émouvant, dur » confie le colonel Fritz. « Les familles sont en attente, recherchent des disparus. Elles veulent savoir ce qu'il est advenu de leurs proches. » Mais l'identification formelle viendra plus tard. Elle ne peut être réalisée que par un magistrat une fois tout le processus terminé.

200 dossiers remis à la procureur générale d'Ukraine

Au final, les gendarmes français ont réalisé près de 200 identifications de corps et 300 analyses ADN (4). Ils ont remis près de 200 dossiers à la procureure générale d'Ukraine et à ses équipes d'enquêteurs (5). Ils pourront servir à la Cour pénale internationale (CPI) ou aux procès intentés en Ukraine. La procédure n'est donc pas terminée. Les gendarmes pourront être appelés à venir témoigner en Ukraine ou à la Haye, au siège de la CPI, comme dans n'importe quelle procédure.

Un labo qui intéresse les Ukrainiens

En attendant, comme l'explique l'ambassadeur de France à Kiev, Étienne de Poncins, les « Ukrainiens sont très intéressés » par le Lab'Adn et prêts à l'acquérir. L'outil a montré son efficacité. Et vu l'ampleur de la guerre toujours en cours, il y a une certitude : la question de l'identification des corps retrouvés dans les villes ukrainiennes restera cruciale durant encore de longues semaines.

(Nicolas Gros-Verheyde, à Pontoise)

  1. Une arrivée dont se réjouit dans un communiqué commun les ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères.
  2. La nécessité de projeter des gendarmes spécialistes en identification nait du crash de l'Airbus A320 d'Air France au Mont St Odile en Alsace en janvier 1992. Elle prouve son utilité à d'autres reprises : tsunami de 2004 en Thaïlande, crash d'Air Algérie au Mali en juillet 2014, de la German Wings dans les Alpes-de-Haute-Provence en mars 2015, explosion sur le port de Beyrouth en août 2020.
  3. « Les criminels russes ont tiré et écrasé des civils par des chars » indique Iryna Venediktova le 20 avril après la découverte de neuf lieux de sépulture à Borodianka, renfermant plusieurs personnes dont deux enfants. « Les preuves suggèrent fortement que des civils ont été intentionnellement ciblés de manière généralisée et systématique » ajoute-t-elle quelques jours plus tard.
  4. Il peut y avoir plusieurs analyses ADN pour un même corps (entre le corps et un membre de la famille, par exemple).
  5. Leurs collègues slovaques ont remis de leur côté 72 dossiers au procureur général d'Ukraine.

Nicolas Gros-Verheyde

Directeur de la rédaction de B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne, auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989. (France-Soir, La Tribune, Arte, Ouest-France, Sud-Ouest)

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