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SanctionsSEAE - Haut représentant

[Portrait] Qui est O’Sullivan, le nouveau monsieur Sanctions de la Commission ? Éminent fonctionnaire ou lobbyiste ?

(B2) La Commission européenne a décidé, le 13 décembre, de créer un nouveau poste, centré sur  la mise en œuvre des sanctions de l'UE. Un signe très net de la sensibilité du sujet. Poste confié à un homme expérimenté, bon connaisseur des coulisses de la diplomatie européenne. Mais ses fonctions dans un cabinet conseil ces dernières années interpellent...

Un poste créé sur mesure

Centré sur l'application des sanctions contre la Russie

David O'Sullivan aura pour tâche en tant qu' « envoyé spécial international » d'assurer « la mise en œuvre des sanctions de l'UE » en particulier au niveau international, menant « des discussions continues et de haut niveau avec les pays tiers ». Avec un objectif principal : « éviter l'évasion ou même le contournement des mesures restrictives » imposées à la Russie « depuis le début de sa guerre contre l'Ukraine ». Ce sont les termes même du communiqué officiel. NB : il sera rattaché à la DG FISMA (en chargé des sanctions), sous l'autorité politique de la commissaire (irlandaise) chargée des services financiers, Mairead Mc Guinness.

Pas de chevauchements

Ce poste risque très vite de poser problème en termes de chevauchements : les relations extérieures étant normalement du domaine du Haut représentant de l'UE, des ambassadeurs de l'UE étant présents dans tous les pays du monde ou presque. Et les États membres assurant le relais, notamment à l'ONU ou au Conseil de sécurité. Mais pour la Commission européenne, l'utilité du poste est indiscutable. « Il est toujours bon d'avoir une personne qui se dédie à cette tâche, qui en maitrise l'ensemble des dimensions et l'ensemble des détails » a indiqué Éric Mamer, le porte-parole en chef, interrogé par B2 mardi (20 décembre) au point de presse.

Venir expliquer les détails et empêcher les détournements

Avoir une personne « qui soit en mesure [...] d'expliquer le fonctionnement exact de nos sanctions aux pays tiers, de répondre à leurs questions, d'en améliorer la compréhension, et de faire en sorte que ces pays nous aident dans l'application des sanctions, ou au moins qu'ils ne fassent pas, par erreur, un détournement de ces sanctions, est très utile. » Pour l'Union européenne, c'est en effet « très important de transmettre le message à tous nos partenaires dans le monde qu'il faut aligner les sanctions sur la Russie. Et si ce n'est pas possible, nous attendons de nos partenaires de faire tout ce qu'ils peuvent pour prévenir le contournement des sanctions » a ajouté le porte-parole du Haut représentant, Peter Stano. Les neuf paquets de sanctions sont en effet très « étendus et détaillés » (1).

Des honoraires

Pour sa fonction d'envoyé spécial, David O'Sullivan percevra « des honoraires ». Mais dans une certaine limite. Ils ne pourront pas « excéder la différence entre le montant total annuel [de son] dernier traitement et sa pension d’ancienneté au cours de l’année en question » (5). Et avant de prendre ses fonctions, il devra bien entendu « se libérer de toute autre activité rémunérée » a précisé le porte-parole chargé des questions de ressources humaines.

40 ans de carrière à la Commission européenne

Âgé bientôt de 70 ans (il est né le 1er mars 1953), David O'Sullivan est le fils de l'ancien chef d'état-major irlandais Gerald (Gerry) Sullivan, petit-fils d'un superintendant de la Garda (la police irlandaise) de Dublin. Sorti diplômé du très coté Trinity College de Dublin et du collège d’Europe de Bruges (1975 et 1976), il intègre en 1979 la Commission européenne à la direction des relations extérieures (DG RELEX). L'Irlande vient tout juste d'adhérer à la CEE (en 1973). Ses ressortissants sont alors particulièrement recherchés. David connait une carrière assez fulgurante, de Tokyo à Washington, collectionnant plusieurs postes-clés : DG Commerce, chef de cabinet du président de la Commission européenne, secrétaire général de la Commission, puis numéro 2 du SEAE.

À la délégation au Japon

Très vite, l'Irlandais part en effet à Tokyo, à la délégation de la Commission au Japon (1981-1985) comme premier secrétaire chargé de l'Économie et du Commerce. Il en a gardé quelques notions de japonais. Mais aussi une sérieuse inflexion vers la diplomatie économique.

Membre de deux cabinets

À son retour, à Bruxelles, O'Sullivan ne traine pas dans des postes d'exécution. Il rejoint le cabinet du commissaire irlandais Peter Sutherland (Concurrence, Affaires sociales, Éducation, 1985-1989). Il sera ensuite dans le cabinet du commissaire Padraig Flynn (Emploi & Affaires Sociales, 1993-1996), dont il devient le chef de cabinet adjoint les deux dernières années. Entre deux, il fait un passage à la task force Éducation en charge des programmes d'assistance aux pays de l'Est (Comett et Tempus), puis à la DG Emploi comme directeur (1996-1998).

Chef de cabinet de Prodi

En février 1999, il revient à l'Éducation comme directeur général, la task force étant devenue une DG, la XXII dans la numérotation de la Commission. La tornade de l'affaire Cresson est passée par là. Il faut remettre de l'ordre dans une direction générale dépendant de la commissaire française, éclaboussée par plusieurs affaires (emploi fictif à son cabinet, recours à des consultants, gestion du programme Leonardo, etc.). Mais il n'y reste que quelques mois. Dès juin 1999, il devient le chef de cabinet du nouveau président de la Commission européenne, l'Italien Romano Prodi.

David O'Sullivan, secrétaire général de la Commission européenne en 2005 (Photo : CE - archives B2)

Secrétaire général

Un an plus tard, à peine, il est propulsé à la tête du secrétariat général de la Commission européenne (2000-2005). Un poste clé dans l'architecture de l'exécutif européen, dont il suit les différentes réformes impulsées par la Commission Prodi. Il y imprime sa marque durant cinq ans. En 2005, sous José-Manuel Barroso, il passe à la tête de la DG Commerce extérieur (Trade), placée sous les auspices du commissaire britannique Peter Mandelson, puis de celle de sa compatriote Catherine Ashton. Il assume notamment les négociations de Doha qui mettent en place un nouveau cadre pour l'OMC. Il suit sa patronne, devenue, à la surprise de tous, Haute représentante chargée des Affaires étrangères.

Dans les coulisses de la diplomatie européenne

Numéro 2 du SEAE

À la création du service diplomatique européen (SEAE), en 2011, O'Sullivan en devient une pièce maitresse. Nommé Chief Operating Officer (COO), un poste créé pour la circonstance afin de compléter le board des secrétaires généraux, dirigé par le Français Pierre Vimont (lire : Le quatuor du service diplomatique se répartit le travail). Ce COO, imposé par Catherine Ashton, a fait fonction de « secrétaire général bis », intervenant sur certains dossiers politiques (Chine, Russie, etc.). Dès 2011, O'Sullivan décrit assez bien les « défis, priorités et success stories » de ce nouveau service qui mettra des années à trouver son rythme de croisière. La superposition de structures et l'empilement des hiérarchies n'auront pas vraiment facilité le fonctionnement du SEAE dans ses premières années (2).

Ambassadeur à Washington

Aux côtés de Jean-Claude Juncker et Martin Selmayr lors d'une rencontre avec Joe Biden, vice-président US - avril 2016 (Photo : Commission européenne - Archives B2)

En novembre 2014, à l'arrivée d'une nouvelle Haute représentante, l'Italienne Federica Mogherini, et de la réforme des structures (lire : Changement à la tête au SEAE à prévoir. Bilan et conséquences), O'Sullivan est éjecté de la direction du SEAE. Mais il ne quitte pas le service diplomatique. Il est envoyé à Washington, comme chef de la délégation de l'UE aux États-Unis. Un des plus beaux postes de la diplomatie européenne. L'occasion pour l'Irlandais d'approcher de près le pouvoir américain, de Barack Obama à Joe Biden. Ce poste ne sera cependant pas de tout repos. Surtout à partir de 2017, quand le Républicain Donald Trump arrive au pouvoir. La nouvelle administration ne manque aucune occasion pour rabaisser l'Union européenne (lire : Washington rétrograde l’ambassadeur de l’UE. Une ‘baffe’ protocolaire qui passe mal à Bruxelles).

Un retraité très actif adepte de la consultance

En mars 2019, O'Sullivan prend sa retraite du SEAE mais conserve un bureau à la Commission européenne, comme « conseiller spécial » du président Jean-Claude Juncker pour les relations UE-États-Unis (Carnet 27.03.2019). Ce n'est qu'un poste d'attente.

Pantouflage dans un cabinet de Conseil

En novembre de la même année, O'Sullivan devient conseiller senior du cabinet de conseil Steptoe & Johnson. Son arrivée « renforce notre bureau de Bruxelles en tant que ressource pour les clients faisant des affaires en Europe à travers une gamme des questions européennes » clame le cabinet américain, fier de cette prise utile pour les clients. Il sera chargé d'apporter « sa contribution dans des domaines allant du commerce mondial aux questions réglementaires en passant par la conformité », précise Steptoe (3).

Un certain oubli !

Un pantouflage classique dans les milieux européens. Mais qui étonne toujours. Pourquoi au terme d'une carrière bien remplie, avec une pension confortable, un haut fonctionnaire a-t-il besoin de prêter son carnet d'adresses ? Bizarrement, cette fonction ne figure pas dans la courte biographie qui suit sa nomination par la Commission européenne ni dans le rapport annuel 2019 publié « sur l'activité des hauts fonctionnaires après avoir quitté le service ». Pourtant l'intéressé n'en fait pas mystère ni le cabinet conseil d'ailleurs qui a publié un communiqué public sur cette nomination ?

Une autorisation expresse incomplète

Interrogé par nos soins, le porte-parole de la Commission européenne a assuré que tout était en ordre. David O’Sullivan disposait d’une « autorisation conditionnelle » pour prendre ses fonctions chez Steptoe, sur la base d’une décision du SEAE. Une obligation qui ressort du statut du personnel (4). Or, le rapport 2019, daté du 24 juin 2020, qu'a pu consulter B2 ne fait aucune mention du cabinet conseil. Juste d'une activité de consultant exercée à titre indépendant (Self-employed consultant) aux côtés d'autres fonctions plus académiques (Senior Advisor à European Policy Centre et Distinguished Fellow au German Marshall Fund). Ce qui est légèrement différent.

Sous trois conditions

Une autorisation assortie de trois condition, assez classiques. Premièrement, l'intéressé doit « s'abstenir de tout lobbying ou plaidoyer auprès du personnel du SEAE pour le compte de ses clients, sur des dossiers dont il a été responsable au cours des trois dernières années dans le service ». Deuxièmement, il doit « s'abstenir de toute divulgation non autorisée d'informations reçues dans l'exercice de ses fonctions au cours de son travail au SEAE, sauf si ces informations ont déjà été rendues publiques ou sont accessibles au public ». Enfin, il doit « s'abstenir d'exploiter des connaissances de nature confidentielle en matière de politique, de stratégie ou de processus internes qu'il aurait pu acquérir [durant ses obligations] de service », sauf si celles-ci sont publiques.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le son de la réponse du porte-parole.
  2. Lire aussi son récit dans le Grand Continent à l'occasion des 11 ans du SEAE.
  3. Le cabinet interrogé par B2 n'a pas souhaité commenter la situation. Mais pour l'observatoire des lobbys (Corporate European Observatory), cela ne fait pas de doute, O'Sullivan était considéré comme un homme pro-business (ou télécharger ici)
  4. « Les anciens fonctionnaires qui se proposent d’exercer une activité professionnelle dans les deux années suivant la cessation de leurs fonctions sont tenus de le déclarer à leur institution, en vue de permettre à cette dernière de rendre une décision adéquate en la matière et, le cas échéant, d’interdire l'exercice d'une activité ou de donner son approbation sous réserve de restrictions appropriées. »
  5. Une application de l'article 24, § 3, de la décision de la Commission 4048 du 29 juin 2018.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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