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Défense, diplomatie, crises, pouvoirs

(de gauche à droite), Jesús Núñez Villaverde (IECAH), Josep Borrell (HRVP), Nicolas Gros-Verheyde (B2), Barbara Gallo et Borja Lasheras (cabinet HRVP) (sélection photo : B2 - flux images Quo Vadis Europa)
'FreeRussie Ukraine CaucaseStabilisation - Paix

[Verbatim] Il faut lever les restrictions sur les armes de longue portée. Ne refaisons les erreurs du passé (Josep Borrell)

(B2) Le Haut représentant de l'UE enjoint aux Européens et Alliés de ne pas faiblir. Et de franchir un pas supplémentaire dans leur soutien militaire à l'Ukraine. Étape inévitable.

Josep Borrell s'exprimait lors du séminaire d'été de l'université internationale Menéndez y Pelayo (UIMP) à Santander. Session à laquelle était présente B2 pour discuter du soutien européen à l'Ukraine et présenter notre dernier ouvrage.

Lever toute restriction sur les armes livrées à Kiev

L'offensive de Koursk : un signal

Pour Josep Borrell, « l’offensive ukrainienne menée à Koursk (NB : en Russie) est un coup dur porté au discours du président russe Poutine ». Mais c'est aussi un signal pour les Européens (et les alliés). Ils doivent « lever les restrictions sur l’utilisation des capacités militaires russes impliquées dans l’agression contre l’Ukraine ».

NB : Un sujet qui pourrait être abordé lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères, le 29 août (lire : à l'agenda du Gymnich), comme chez leurs collègues de la Défense, le 30 août (lire : à l'agenda de l'informelle, à suivre).

Les trois atouts des armes de longue portée

Pour lui cette levée de la restriction n'est pas contestable. C'est l'exercice « même du droit de légitime défense, conformément au droit international ». Elle aurait même trois avantages : 1° « renforcer l’autodéfense ukrainienne en mettant fin au sanctuaire de la Russie pour ses attaques et ses bombardements des villes et des infrastructures ukrainiennes ; 2° « sauver des vies et réduire la destruction en Ukraine ; 3° « aider à faire avancer les efforts de paix. »

Ne pas refaire l'erreur du trop peu, trop lentement

Il faut veiller à ne pas refaire les erreurs du début de la guerre, avertit le Haut représentant de l'UE. Quand les Européens, face à la demande ukrainienne d'armes lourdes, ont seulement décidé d'envoyer des casques ou des gilets pare-balles. « Le soutien (pour) les besoins de la guerre, a été très (trop?) progressivement et (trop) tardivement fait ».

Quand le Haut représentant avait « proposé d'envoyer des avions, dès le début » de l'offensive russe (lire : Facilité européenne pour la paix. L’Europe financera des équipements létaux pour l’armée ukrainienne), chacun se rappelle les cris d'orfraies de certains États membres obligeant à battre en retraite. Josep Borrell regrette cette timidité. Car, « entre les casques du début et les F-16 d'aujourd'hui », il y a « une grosse différence qualitative ».

Un coût en vies humaines

Le retard pris par la « discussion [...] a eu un coût, en vies humaines et en destructions », pour l'Ukraine. Sans autre aide, les prochains mois pourraient être difficiles, avec les Russes qui visent systématiquement les infrastructures critiques d'énergie (1). « S'il fait très froid et si vous n'avez pas d'électricité, [...] l'hiver là-bas pourrait être une terrible crise humanitaire. »

Sans soutien occidental, pas de résistance de l'Ukraine

A ceux qui disent pouvoir « en finir avec cette guerre en une semaine », le chef de la diplomatie européenne répond ironiquement : oui c'est possible, il suffit « d'arrêter de soutenir l'Ukraine ». Ce sera radical. Car « l'Ukraine dépend de manière critique de notre aide ». Mais cette paix serait injuste et dangereuse. « Le conflit prendrait fin, avec des troupes russes dans le pays (NB : et aux frontières européennes), un régime fantoche en Ukraine, un problème d'approvisionnement en blé et avec le peuple ukrainien sous domination ».

À ceux qui pensent pouvoir « négocier une paix avec Poutine », il répond que ce n'est pas une bonne idée. Du moins aujourd'hui. « Il y a un manque de perspective. » D'une part, Poutine ne veut pas négocier. D'autre part, il attend. « Rien ne se passera avant les élections américaines, (chacun) attend de voir qui sera à la Maison Blanche. »

Nous avons commis des erreurs !

En remontant le temps, le Haut représentant voit plusieurs erreurs fondamentales que les alliés et Européens ont commises vis-à-vis de l'Ukraine. Par manque de volonté ou de clairvoyance sur l'attitude russe.

Premièrement, en 1994 à Budapest, « lorsque un traité a été signé par lequel l'Ukraine se désarme nucléairement en échange de la signature par la Russie d'un traité dans lequel elle garantit son intégrité territoriale. Ce qui n'a pas empêché qu'elle soit envahie par la Russie. »

Deuxièmement, en 2008 à Bucarest, lors du sommet de l'OTAN, quand les Alliés repoussent la candidature de l'Ukraine. Souhaitée par certains, refusée par d'autres (NB : Allemagne, France, Belgique notamment). « Nous sommes parvenus à la pire des solutions, en n'acceptant pas la demande mais en promettant que ce sera le cas ». Résultat : « nous ne donnons aucune protection à l'Ukraine. Mais nous avons ainsi fourni un argument à la Russie », qu'elle a utilisée ensuite. C'était « une erreur tactique et stratégique ».

Troisièmement en Syrie, à l'été 2013. Quand « Obama a affirmé qu'il y a une ligne rouge en Syrie (sur les armes chimiques) » promettant une réaction si elle était dépassée. Et, finalement, quand cette ligne rouge est franchie, rien ne se produit. Un laissez-faire bien compris à Moscou par Poutine, tout comme a été observé avec attention le « retrait d'Afghanistan » des troupes de l'OTAN  (à l'été 2021).

Quatrièmement sur l'Ukraine, au printemps 2014, après l'intervention russe en Crimée (et au Donbass), « rien n'a été fait ! Les mesures mises en œuvre étaient essentiellement de petites mesures. Nous ne voulions rien faire. » En attestent les propos de la Chancelière allemande lors de la conférence sur la sécurité en février 2015. « Angela Merkel  dit : je ne vais pas pour armer l'Ukraine ». Etc.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Un manque d'unité européen qui empêche certaines initiatives

Interrogé par B2, le Haut représentant a reconnu que l'Europe manquait d'initiative sur certains conflits. « C'est vrai ! Nous ne nous préoccupons pas activement de certaines des guerres qui se déroulent dans le monde. » Mais il plaide non coupable, mettant en cause « le manque d'unité » des Européens. « Si vous voudriez mener des négociations pour rapprocher l'Arabie Saoudite et l'Iran, cela dépend de la capacité de dialogue avec l'Iran. Et avec certains qui veulent avoir les Gardiens de la Révolution sur la liste terroriste... comment voulez-vous avoir la capacité de négocier ! ». Idem sur la Libye, « avec un État (membre) d'un côté et un autre [État membre] de l'autre, il y a un manque d'unité ». Difficile d'agir...


  1. La Russie a détruit la moitié de la capacité énergétique de l’Ukraine, affirmait le président Volodymyr Zelensky en juin.

Propos recueillis au long de la session du Quo Vadis Europa à Santander mercredi 21 août, en espagnol, anglais et français.

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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